II – Les ambitions de la France concernant la blockchain dans l’Union européenne
« C’est en droit français que, pour la première fois en Europe, nous allons fixer les conditions juridiques et de sécurité dans lesquelles on pourra réaliser les transactions financières décentralisées sur Internet, ce qu’on appelle le blockchain ».
Pour comprendre cette déclaration du Premier Ministre français, il est important de prendre en compte deux critères : le Gouvernement veut faire de l’hexagone un lieu attractif pour les startups françaises et étrangères et souhaite servir de modèle aux réglementations européennes à venir.
Etre un lieu attractif pour les startups
La volonté de la France d’être la première pour réguler l’usage de la blockchain est liée à la course menée par le Gouvernement pour faire de Paris la capitale de la « Smart finance » en Europe.
Pour s’en convaincre, Manuel Valls rapporte les propos de John Chambers, le président de CISCO, qui considère la France comme « la Silicon Valley de l’Europe ».
Néanmoins, face aux autres Etats de l’Union européenne, la France ne part pas forcément gagnante. Dans un article de la Harvard Business Review, la France était montrée, pour la période 2008-2013, comme un pays en perte de vitesse en matière numérique. Conscient de ce retard, le Gouvernement a multiplié les initiatives afin de le combler. Le recours à la blockchain ne semble être pour l’Etat français qu’une mesure parmi autres pour restaurer l’image du pays.
Toutefois, en persistant à mettre à l’écart Bitcoin, il n’est pas certain que les membres du Gouvernement comprennent ce qu’est vraiment la blockchain. Si les objectifs du Premier Ministre sont très ambitieux, la France n’est pas la seule en Europe à s’intéresser à cette nouvelle technologie ; d’autres Etats le font mais en coopération avec la Communauté Bitcoin.
C’est ainsi que de novembre à décembre 2014, le gouvernement britannique a lancé une consultation sur les monnaies numériques. Plus de 120 réponses ont été faites à cet appel, comprenant aussi bien des acteurs majeurs de l’économie et des institutions britanniques, que des universités ou grandes écoles. Ce qu’il y a de particulièrement intéressant, c’est l’intervention d’un nombre très important d’acteurs variés issus de la Communauté des cryptomonnaies du monde entier, tels que Bitcoin Magazine, Coinbase, Circle, Dogecoin, Greencoin, Bitnet, Bitpay, BitReserve, Ripple Labs, SatoshiPoint, Financial Supervision Commission, Isle of Man (la Commission de supervision financière de l’Ile de Man) etc.
Suite à cette étude, le gouvernement britannique annonçait, en octobre 2015, qu’il travaillait sur la création d’un régime approprié aux entreprises liées aux monnaies virtuelles, afin d’attirer des investisseurs et des entreprises étrangères au Royaume-Uni.
Plus récemment en Pologne, le Ministère des Affaires numériques a publié, en février 2016, un document stratégique selon lequel le Bitcoin, la blockchain et les objets connectés pourraient favoriser le développement du pays. Des discussions approfondies entre le Ministère et la communauté Bitcoin et les sociétés blockchain locales ont alors débuté. Le 20 juin dernier, le gouvernement polonais annonçait la création d’un important plan de numérisation, dont un des points était la blockchain et les cryptomonnaies.
Ces Etats peuvent concurrencer l’Etat français dans son désir d’être un modèle pour la création du droit lié à la blockchain et aux cryptomonnaies dans l’Union européenne.
Etre un modèle pour les futures règlementations européennes
Dans son discours, Monsieur Manuel Valls réclamait « une Europe qui garde la maîtrise de ses règles en matière financière ». Cette déclaration, associée au fait que la France sera la première à réglementer la blockchain en Europe, nous permet de lire entre les lignes que le Premier Ministre souhaite que la future réglementation française serve de modèle à l’Union européenne.
S’il n’existe pas actuellement de réglementation européenne spécifique à la blockchain et aux cryptomonnaies, les différentes institutions et organismes européens sont en pleine phase de discussion et de réflexions sur ces sujets.
C’est ainsi que l’Autorité européenne des marchés financiers (AEMF ou ESMA en anglais) a publié deux consultations publiques sur la blockchain et les registres distribués en 2015 et 2016. Si on peut regretter l’absence de réponses des institutions françaises à la première consultation, on peut se réjouir de la participation de membres de la Communauté Bitcoin.
En mai 2016, la commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen concluait dans son rapport sur « Les Monnaies Virtuelles » qu’il faut « toutefois observer qu’une réglementation précoce ne peut être adaptée à une réalité toujours changeante, et est susceptible de transmettre un mauvais message au public à propos des avantages ou de la sécurité des monnaies virtuelles ».
Néanmoins, la Commission européenne vient de proposer en juillet 2016 la modification de la directive anti-blanchiment afin d’y inclure notamment les devises virtuelles.
On constate donc l’apparition de deux courants : l’un sécuritaire qui vise à réglementer l’usage des cryptomonnaies et un second qui considère qu’il est trop tôt pour réglementer une technologie en pleine évolution comme la blockchain.
Si l’Etat français entend influencer l’Union européenne dans la création de ce nouveau droit, il n’a aucune garantie d’être suivi par les institutions européennes et les autres Etats membres. Par ailleurs, il devra relever de nombreux défis pour réussir la mise en place de sa nouvelle réglementation.
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Sources :
bitcoin.fr/axelle-lemaire-non-au-bitcoin-oui-a-la-blockchain/
hbr.org/2015/02/where-the-digital-economy-is-moving-the-fastest
www.gov.uk/government/speeches/digital-transformation-in-government-and-blockchain-technology
www.coindesk.com/poland-explore-blockchain-tech-government-digitization-effort/
bitcoin.fr/appel-de-l-esma/#more-1039
bitcoin.fr/eloge-du-bitcoin-au-parlement-europeen
www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//NONSGML+REPORT+A8-2016-0168+0+DOC+PDF+V0//FR
bitcoin.fr/commission-europeenne-vers-une-nouvelle-directive-pour-bitcoin
A propos de l’auteur : Avocat au Barreau de Paris, Michelle Abraham a été collaboratrice de la Délégation des Barreaux de France à Bruxelles et a exercé près de quatorze ans dans des cabinets d’affaires parisiens. Elle travaille actuellement sur les bitcoins et le défi réglementaire que leur développement implique.