Publiée à la dernière minute, le 9 décembre 2017, l’ordonnance « blockchain » (officiellement l’ordonnance n°2017-1674 du 8 décembre 2017 relative à l’utilisation d’un dispositif d’enregistrement électronique partagé pour la représentation et la transmission de titres financiers) a enfin été adoptée.
Cette ordonnance est importante car elle permet d’inscrire l’émission ou la cession de titres financiers dans une « blockchain ».
Néanmoins, si (I) le rappel des conditions de création de l’ordonnance permet de comprendre ce qu’a voulu faire le Gouvernement, il y a lieu de constater que (II) les apports de ce texte apparaissent aujourd’hui limités.
I – Rappel des conditions de création de cette ordonnance
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Contexte de réglementation expérimentale de la blockchain par voie d’ordonnances
L’ordonnance du 8 décembre 2017 est la seconde étape d’un système expérimental d’introduction des protocoles de registres distribués (ou « blockchains ») dans le droit français.
La première étape a eu lieu avec l’ordonnance n°2016-520 du 28 avril 2016 sur les bons de caisse qui permet d’inscrire des minibons (financement de « type obligataire ») sur la blockchain.
La fiche d’impact réalisée à cette occasion relevait que l’ordonnance devait permettre aux plateformes de financement participatif (« crowdfunding ») de diversifier leurs offres aux investisseurs et de capter de nouveaux émetteurs (SARL).
L’ordonnance a créé deux nouveaux articles (L223-12 et L223-13) dans le Code Monétaire et Financier qui ont défini pour la première fois dans le droit français la blockchain comme étant un « dispositif d’enregistrement électronique partagé ».
Malheureusement, cette première étape est pour le moment restée inachevée : le décret d’application permettant l’utilisation des minibons n’a toujours pas été publié plus d’un an après l’entrée en vigueur de l’ordonnance.
Une seconde étape a été ouverte par le Gouvernement dans le cadre de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (aussi appelée « loi Sapin II »). Cette loi a permis au Gouvernement de prendre par voie d’ordonnance les mesures nécessaires pour : « adapter le droit applicable aux titres financiers et aux valeurs mobilières afin de permettre la représentation et la transmission, au moyen d’un dispositif d’enregistrement électronique partagé, des titres financiers qui ne sont pas admis aux opérations d’un dépositaire central ni livrés dans un système de règlement et de livraison d’instruments financiers ».
Avec cette nouvelle ordonnance, le Gouvernement voulait ouvrir l’expérimentation de la blockchain : en passant du secteur de niche des minibons à un secteur beaucoup plus étendu, celui des titres financiers.
A la demande de l’opposition (prise en la personne de Madame le Député Laure de la Raudière), le délai pour la publication de l’ordonnance a été réduit de 18 mois à 12 mois.
La loi Sapin II ayant été publiée le 9 décembre 2016, le Gouvernement avait jusqu’au 9 décembre 2017 pour publier son ordonnance.
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Originalité de l’élaboration de l’ordonnance faite à travers la consultation des milieux concernés
L’ordonnance a la particularité d’avoir été précédée par deux consultations publiques menées par la Direction du Trésor :
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une première consultation publique de mars à mai 2017, portant sur le projet de réformes législative et réglementaire relatif à la blockchain. Cette consultation visait à consulter l’ensemble des parties prenantes intéressées sur le périmètre, les principes et le niveau de règlementation à retenir dans le cadre de cette réforme. Conscient que la technologie des registres distribués avait une dimension internationale qu’elle ne pouvait ignorer, la Direction du Trésor avait présenté une traduction en anglais de sa consultation afin que le plus grand nombre puisse y répondre ; et
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une seconde consultation en septembre et octobre 2017, portant sur le projet d’ordonnance comprenant 11 articles modifiant le Code Monétaire et Financier et le Code de Commerce.
On peut considérer que cette procédure de consultation est louable car, la technologie de la blockchain étant complexe et évoluant très rapidement, la participation des milieux concernés est essentielle.
Toutefois, rien ne dit que les réponses apportées à ces consultations ont eu une influence notable compte tenu du résultat final obtenu.
II – Les apports Limites de l’ordonnance « blockchain »
- Les apports de l’ordonnance « Blockchain »
L’ordonnance du 8 décembre 2017 comporte huit articles.
Elle se borne dans la plupart des cas à insérer l’expression « dispositif d’enregistrement électronique partagé » dans les articles du Code Monétaire et Financier et dans le Code de Commerce aux côtés des termes « compte-titre » ou « en compte », ainsi qu’à appliquer ces dispositions dans certaines collectivités d’outre-mer (les îles de Wallis et Futuna, la Polynésie française) et en Nouvelle-Calédonie.
Selon le rapport présenté au Président de la République à l’occasion de la publication de cette ordonnance, le terme de « dispositif d’enregistrement électronique partagé » (DEEP) correspond à la manière dont la technologie « blockchain » est déjà désignée par les dispositions de l’article L. 223-12 du Code Monétaire et Financier relatifs aux minibons.
« Cette désignation demeure large et neutre à l’égard des différents procédés afin de ne pas exclure des développements technologiques ultérieurs. Cette dénomination recouvre les principales caractéristiques de la « blockchain » : sa vocation de registre et son caractère partagé ».
Cette nouvelle précision du rapport renvoie au principe de neutralité technologique, qui ne permet pas au Gouvernement de privilégier une technologie plus qu’une autre. On peut donc imaginer dans l’avenir que les titres financiers pourront être mis sur des protocoles de registres qui n’ont pas toutes les caractéristiques des blockchains actuelles.
Il y a lieu, en outre, de remarquer que la version finale de l’ordonnance présente plusieurs différences avec le projet d’ordonnance proposé par la Direction du Trésor en septembre dernier.
Le projet voulait, d’une part, faire un ajustement des codes existants en y insérant l’expression « dispositif d’enregistrement électronique partagé » et, d’autre part, créer de nouveaux articles dans le Code Monétaire et Financier :
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l’article L211-3-1 qui indiquait que pouvait être inscrits dans la blockchain :
« 1° Les titres de créance négociables ;
2° Les parts ou actions d’organismes de placement collectif ;
3° Les titres de capital émis par les sociétés par actions et les titres de créance autres que les titres de créance négociables, à condition qu’ils ne soient pas négociés sur une plate-forme de négociation, au sens du chapitre préliminaire du titre II du livre IV du présent code », et
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l’article L211-3-2 qui relevait que « les droits sur des titres financiers inscrits dans un dispositif d’enregistrement électronique partagé sont régis par la loi française lorsque le siège social de l’émetteur est situé en France ou que l’émission est régie par le droit français ».
Or, l’ordonnance publiée au Journal Officiel ne retient finalement que les propositions d’ajustement des articles des codes et supprime tous les nouveaux articles.
Le rapport présenté au Président de la République relève que l’ordonnance « ne crée pas d’obligation nouvelle, ni n’allège les garanties existantes relatives à la représentation et à la transmission des titres concernés ».
L’impression générale est que le Gouvernement, pressé par le temps, a voulu supprimer tous les articles où des questions n’étaient pas résolues, pour les traiter, nous l’espérons, dans le décret d’application à venir.
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Les effets limités de l’ordonnance
Le Gouvernement a donné à l’ordonnance une entrée en vigueur différée. Il a fait coïncider la date d’entrée en vigueur de l’ordonnance à la date de publication du décret d’application et au plus tard le 1er juillet 2018.
Comme pour l’ordonnance sur les bons de caisse, les points importants (tels que les conditions de fonctionnement et d’inscription sur la blockchain, ainsi que les titres financiers et les nantissements pouvant y être inscrits) sont renvoyés à un décret d’application.
Néanmoins, il y a lieu de voir qu’en pratique, l’ordonnance aura un effet limité du fait des clauses liées au droit de préemption ou aux procédures d’agrément se trouvant généralement dans les statuts des sociétés ou dans les pactes d’associés.
Par ailleurs, les sociétés émettrices devront au préalable donner leur accord pour une telle inscription de leurs titres sur la blockchain et il n’est pas dit qu’elles acceptent massivement de le faire.
On retrouvera plus facilement des cas d’usage de cette ordonnance dans les sociétés de crowdfunding avec la création de véhicules d’investissement utilisant la blockchain.
En conclusion, l’ordonnance a le mérite d’introduire dans le droit français la possibilité d’inscrire des titres financiers sur une blockchain. Toutefois, si le texte pose les grands principes, il n’apporte aucune précision sur le fonctionnement in concreto de cette inscription.
Dans un écosystème qui évolue très rapidement, l’ordonnance « blockchain » risque d’être rapidement dépassée.
Source : legifrance.gouv.fr
A propos de l’auteur
Avocat d’affaires au Barreau de Paris, Michelle Abraham est une ancienne collaboratrice de la Délégation des Barreaux de France à Bruxelles. Elle travaille actuellement sur les crypto-monnaies, les blockchains et le défi réglementaire que leur développement implique. Michelle Abraham est notamment membre de l’Association ChainTech et du Cercle du Coin et participe en tant que co-coordinatrice du comité Terminologie de la commission Blockchain de l’AFNOR.