La commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen (ECON) a adopté hier de nouvelles règles de lutte contre le blanchiment d’argent qui révisent l’actuel règlement sur les transferts de fonds pour y inclure les actifs numériques. Il s’agit notamment de limiter fortement les transferts de cryptomonnaies vers des portefeuilles dits « non hébergés » (non custodial).
Incomprise par de nombreux bitcoiners, la stratégie des Parlementaires en matière d’actifs numériques ne manque pourtant ni d’audace ni d’ambition. C’est ce qui ressort de notre entretien avec un député européen membre de l’ECON qui témoigne ici sous le pseudonyme de Nicolas Luc.
Bitcoin.fr : Comment expliquez-vous la défiance des bitcoiners à l’égard des positions défendues par le Parlement Européen ?
NL : C’est un problème de communication. Le respect des libertés individuelles, la protection des données personnelles et des intérêts des citoyens européens sont au cœur de notre stratégie, mais il faut croire que nous ne le mettons pas assez en avant.
Bitcoin.fr : Pourtant les dernières propositions, qu’il s’agisse du règlement MiCa ou de la révision du règlement sur les transferts de fonds, alourdissent considérablement les contraintes qui pèsent sur plateformes d’échange d’actifs numériques, au risque de diminuer leur attractivité.
NL : C’est précisément l’effet recherché. Détenir des bitcoins sur une plateforme centralisée n’est pas une bonne pratique. Nous souhaitons, par ces mesures, inciter les utilisateurs à détenir eux-mêmes leurs actifs et à se passer totalement de toute entité centralisée. C’est la meilleure façon de les protéger. Si nous luttons contre les GAFAM, ce n’est pas pour en créer de nouveaux.
Bitcoin.fr : Il faut pourtant bien qu’il y ait des passerelles pour permettre aux investisseurs de passer d’un monde à l’autre ?
NL : C’est une idée reçue. Dans ma famille politique on considère que l’argent c’est du travail et Bitcoin incarne complètement ce principe. Si vous voulez des satoshis, installez une chaudière Sato ou faites quelque chose d’utile pour en obtenir auprès de ceux qui en possèdent déjà. Quant à revenir vers l’euro, quelle absurdité ! Mon souci en tant que parlementaire c’est aussi de veiller à l’intérêt économique des citoyens que nous représentons. Echanger des actifs solides contre une monnaie qui ne cesse de perdre de la valeur est un non sens. C’est pour cela que nous travaillons à un nouveau projet d’harmonisation du traitement fiscal des plus-values issues de la vente d’actifs numériques dans l’eurozone. L’expérimentation française lancée il y a quelques années porte ses fruits : les français sont davantage incités à conserver leurs bitcoins que les portugais ou les allemands. Mais nous voulons aller plus loin. Si on veut vraiment dissuader tout retour vers l’euro, il nous faut une taxation à 100% au premier centime.
Bitcoin.fr : Les positions de certains parlementaires contre la preuve de travail ont également suscité beaucoup d’incompréhension.
NL : Il y a eu beaucoup de débats sur ce sujet et nous n’avons pas encore trouvé de compromis. L’expérience chinoise nous a cependant prouvé que le modèle industriel n’est pas le plus résilient. Une interdiction pure et simple du minage semble être la piste la plus intéressante car ce serait un formidable moteur pour une décentralisation complète de cette activité. Il n’y aurait aucun moyen d’empêcher les particuliers de miner à petite échelle. Un réseau diffus, basé sur des myriades d’entités indétectables, est invulnérable. Pour autant, tous les députés ne sont pas alignés sur ce sujet. Les Verts européens, notamment, se montrent réticents. Ils estiment que le minage industriel est une opportunité pour le développement des énergies vertes. Par ailleurs une complète prohibition ne pourrait être efficace que si elle est universelle. Même si nous parvenions à rallier le GAFI et ses Etats membres, il nous resterait à convaincre tous les autres… pas sûr que la Russie, l’Iran et le Venezuela, pour ne citer qu’eux, aient le même point de vue que nous sur cette question.
Bitcoin.fr : Parmi les sujets en discussion, il y a également la DeFi, les NFT et les stablecoins. Pourquoi le Parlement est-il aussi hostile à ce qui apparait à d’autres comme des technologies pleines de promesses ?
NL : Nous n’y sommes pas hostiles. Ce que nous combattons à travers l’accumulation de contraintes réglementaires ce sont les escroqueries. Un protocole, qu’il s’agisse de DeFi, de NFT ou d’un stablecoin algorithmique, n’a rien à crainte d’une directive européenne s’il est véritablement acéphale. Le problème c’est que beaucoup de ces projets sont faussement décentralisés et dépendent souvent d’une petite équipe de fondateurs qui en tirent tous les bénéfices tout en jurant la main sur le cœur que la gouvernance est décentralisée. Le durcissement réglementaire incite les développeurs à redoubler d’efforts pour concevoir des systèmes réellement horizontaux. Par ailleurs, si on ne passe pas l’épreuve de la réglementation, comment peut-on prétendre résister aux attaques informatiques de plus en plus sophistiquées qui menacent en permanence les capitaux détenus dans les « contrats » pas toujours très « smart » de certains protocoles ?
Bitcoin.fr : L’excès de rigueur appliqué à un secteur encore jeune et vulnérable, ne risque-t-il pas de tuer dans l’œuf un grand nombre d’initiatives prometteuses ?
NL : Cette rigueur fera au contraire gagner beaucoup de temps et d’argent à tout le monde. La décentralisation, la résistance à la censure et la confidentialité doivent être à la base de ces nouveaux réseaux. Ce ne sont pas des propriétés qu’on implémente par la suite, si tout va bien, dans un futur plus ou moins vague. Si notre position semble trop « maximaliste »… soit, nous l’assumons. Nous ne pouvons plus perdre de temps. L’internet européen de demain doit reposer sur une architecture résiliente et la réglementation renforce tout ce qui lui résiste. Voilà la véritable raison de notre acharnement.
Bitcoin.fr : Quelles sont les prochaines étapes avant l’adoption définitive des ces nouvelles directives ?
NL : La route est encore longue. Le vote du 31 mars sera entériné lors d’une session parlementaire, probablement en avril. Si personne ne conteste le texte, il n’y aura pas de vote en plénière. Suivra ensuite le trilogue entre le Parlement, la Commission et le Conseil. Nous espérons que cela nous permettra d’avancer nos propositions de confiscation fiscale et que ce sera également l’occasion de compléter le dispositif actuel par quelques règles inédites. Nous pourrions par exemple interdire aux clients des plateformes règlementées de manger de la viande rouge, de circuler les jours impairs ou de participer à certaines élections. Nous souhaitons également élargir les exigences de connaissance client imposées aux prestataires de services : extrait de casier judiciaire, déclaration de patrimoine, certificat de vaccination, test urinaire, prise de température anale au premier achat… Les idées ne manquent pas ! Comme vous le voyez, les reproches qui nous sont adressés n’ont aucun fondement, l’innovation reste bien au cœur du projet européen.
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