Sociétés crypto, faites attention au décret PSAN !

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La plupart des sociétés dans le secteur des cryptomonnaies seront prochainement affectées par les conséquences du décret n°2019-1213 du 21 novembre 2019 relatif aux prestataires de service sur actifs numériques (PSAN). L’échéance est courte : les derniers textes d’application du décret (deux instructions et la modification du règlement général de l’Autorité des Marchés Financiers) sont attendus courant décembre.

La publication au journal officiel du décret PSAN le 22 novembre 2019 a suscité des enthousiasmes parmi les sociétés crypto. Néanmoins, le diable se cache dans les détails. Si les grandes lignes de la nouvelle réglementation française ont été globalement vues, les conséquences ne sont pas toujours pleinement appréhendées, ce qui risque de provoquer des réveils douloureux.

I –Les grandes lignes de la réglementation française PSAN

L’écosystème a accueilli favorablement le droit au compte renforcé. La législation a également reconnu un statut juridique spécifique aux PSAN en dix catégories. A terme, il y aura trois séries d’acteurs qui seront affectés différemment par la réglementation.

Droit aux comptes renforcé

La loi PACTE et son décret d’application ont permis la création d’un droit au compte renforcé en faveur des sociétés crypto. Mais, soyons clair : le bénéfice de cette réglementation ne s’appliquera pas à toutes les sociétés du secteur.

Il ne pourra être invoqué que par les sociétés ayant : i) été enregistrées auprès de l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) ou ii) reçu le visa de l’AMF au titre des Initial Coin Offerings ou de l’agrément optionnel des PSAN.

La reconnaissance du statut PSAN

Les activités de prestataire sur service numériques sont, à présent, regroupées, selon l’article L54-10-2 du code monétaire et financier, en dix catégories :

1) le service de conservation pour le compte de tiers d’actifs numériques,

2) le service d’achat ou de vente d’actifs numériques en monnaie ayant cours légal,

3) le service d’échange d’actifs numériques contre d’autres actifs numériques,

4) l’exploitation d’une plateforme de négociation d’actifs numériques,

5) les services :
a) la réception et la transmission d’ordre sur actifs numériques pour le compte de tiers,
b) la gestion de portefeuille d’actifs numériques pour le compte de tiers,
c) le conseil aux souscripteurs d’actifs numériques,
d) la prise ferme d’actifs numériques,
e) le placement garanti d’actifs numériques,
f) le placement non garanti d’actifs numériques.

Il est essentiel pour les acteurs de l’écosystème de voir à quelle catégorie ils appartiennent. La catégorie ou les catégories définies, les sociétés crypto seront à même de voir quelle réglementation leur est applicable.

La réglementation PSAN aboutit à trois séries d’acteurs :

  • Acteurs soumis à un enregistrement obligatoire : Il s’agit des PSAN liés aux points 1 (le service de conservation pour le compte de tiers d’actifs numériques) et 2 (le service d’achat ou de vente d’actifs numériques contre du fiat).
  • Acteurs souhaitant obtenir l’agrément optionnel de l’AMF : ils appartiennent aux sociétés crypto enregistrées dans les catégories 1 et 2 (qui souhaitent en plus avoir l’agrément de l’AMF) ou aux catégories 3 à 5 dont l’enregistrement n’est pas obligatoire mais qui peuvent bénéficier du visa de l’AMF.
  • Acteurs non soumis à l’obligation d’enregistrement et ne souhaitant pas ou ne pouvant pas répondre aux critères pour bénéficier de l’agrément de l’AMF (il s’agit des catégories 3 à 5).

II – Les points qui doivent attirer l’attention

Les complexités des réglementations font souvent fuir les acteurs du secteur crypto qui ont parfois tendance à vouloir les ignorer. Or, dans le cas présent, il est important que chacun se rende compte que certaines dispositions de la nouvelle réglementation sont obligatoires et que leur non-respect entrainera des sanctions pénales.

Certains points de la réglementation ne sont pas optionnels mais obligatoires 

L’article L. 54-10-3 du Code monétaire et financier prévoit qu’avant d’exercer leur activité, les prestataires des services mentionnés aux 1) et 2) de l’article L. 54-10-2 sont enregistrés par l’Autorité des marchés financiers.

L’article L. 54-10-4 du même code précise que l’exercice de la profession de prestataire des services mentionnés aux 1) et 2) de l’article L. 54-10-2 est interdit à toute personne n’ayant pas été enregistrée au préalable par l’AMF.

Si le point 2) concernant le service d’achat ou de vente d’actifs numériques contre du fiat est relativement aisé à identifier, le point 1) lié au service de conservation pour le compte de tiers d’actifs numériques pose plus de difficultés.

Selon l’article D. 54-10-1 du code monétaire et financier, cette première catégorie est définie de la manière suivante :

« Constitue le service de conservation d’actifs numériques pour le compte de tiers le fait de maîtriser, pour le compte d’un tiers, les moyens d’accès aux actifs numériques inscrits dans le dispositif d’enregistrement électronique partagé et de tenir un registre de positions, ouvert au nom du tiers, correspondants à ses droits sur lesdits actifs numériques.

Le prestataire de service de conservation ainsi défini traite les événements affectant les actifs numériques ou les droits associés dans des conditions définies par le règlement général de l’Autorité des marchés financiers.

Lorsque la technique de cryptographie utilisée par le dispositif d’enregistrement électronique partagé sur lequel sont inscrits les actifs numériques est la cryptographie asymétrique, les moyens d’accès à un actif numérique sont constitués par des clés cryptographiques privées. ».

La détention des clés privées et la tenue d’un registre de position pour le compte d’un tiers, qui caractérisent la catégorie n°1), peuvent donc se retrouver dans nombreuses activités de prestataires de service techniques. Il est donc dès à présent essentiel pour ces prestataires de voir si leur activité correspond dans les termes de la définition précitée.

L’article ne faisant pas de distinction entre une activité professionnelle principale ou accessoire, les sociétés concernées sont directement visées si elles exercent une telle activité même à titre accessoire.

Les sanctions pénales liées au non-respect de la règlementation

Le respect de la réglementation ne doit pas être ignoré car le code monétaire et financier prévoit des sanctions pénales. L’article L. 572-23 fixe qu’« Est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende le fait, pour toute personne soumise à l’obligation de déclaration mentionnée à l’article L. 54-10-3, de ne pas souscrire cette déclaration ou de communiquer des renseignements inexacts à l’Autorité des marchés financiers.

Est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende le fait, pour toute personne agissant soit pour son propre compte, soit pour le compte d’une personne morale, de méconnaître l’une des interdictions prévues à l’article L. 54-10-4 ».

Néanmoins, ces sanctions ne seront applicables qu’après l’adoption de l’ensemble des textes d’applications de cette nouvelle réglementation. Ces documents devraient être publiés courant décembre 2019.

A compter de cette date, les procédures d’enregistrement seront obligatoires. La loi prévoit une période transitoire de 12 mois à compter de la publication des textes d’application pour s’enregistrer auprès de l’AMF pour les personnes exerçant déjà les activités 1 et 2.

Attention, cette dérogation n’est pas valable pour les sociétés qui débuteront leur activité après la publication du dernier texte d’application. Ces entreprises devront impérativement s’enregistrer préalablement à toute activité auprès de l’AMF. Autrement, les sanctions pénales leur seront applicables.

Conclusion

Cette réglementation, qui était attendue, risque de ne pas faire que des heureux. Les instructions en préparation (l’instruction PSAN liée au référentiel d’exigences en matière de cybersécurité, l’instruction relative au régime applicable aux prestataires de services sur actifs numériques) et la modification du règlement général de l’AMF auront pour objectif avant tout de protéger les investisseurs et d’assurer la pérennité des services fournis.

Il y aura beaucoup de demandes mais les élus ne seront pas aussi nombreux et dans ce cadre les petites entreprises seront clairement désavantagées.


A propos de l’auteur

Avocat d’affaires au Barreau de Paris, Michelle Abraham est une ancienne collaboratrice de la Délégation des Barreaux de France à Bruxelles. Elle travaille actuellement sur les crypto-monnaies, les blockchains et le défi réglementaire que leur développement implique. Michelle Abraham est notamment membre de l’Association ChainTech et du Cercle du Coin et participe à la commission Blockchain de l’AFNOR.

cabinetmichelleabraham.fr –  twitter.com/CabinetMAbraham