Si Zola avait connu les altcoins en 2022

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Dans cet article il est question d’une étude comparative entre le roman d’Émile Zola l’Argent et le marché des crypto-actifs (Bitcoin, Monero et les altcoins en général…), le roman y sera quasiment divulgâché.

Si dans le passé des parallèles entre Bitcoin et la réforme protestante ont déjà été effectuées [1,2], ici il sera traité en tant qu’actif financier seulement, cependant cela n’exclut pas de se pencher sur d’autres périodes historiques [3,4] ainsi que de le faire sur des sujets plus vastes tel que le numérique distribué en général (TCP/IP, Torrent, Nostr…) ou d’autres phénomènes humains (délires mégalomanes ou antisémites…).

L’Or, tel Bitcoin (un jour), est synonyme de noblesse

En quantités limitée, son extraction nécessite de l’énergie, infalsifiable… Bref, vous l’aurez compris dans ce parallèle Bitcoin est comparé à l’or, ce n’est pas nouveau c’était même au début de Bitcoin (d’où l’expression « miner »…). Avec les L2/3 (RGB, Taro, Discret Log Contracts…) [5-9] Bitcoin devient bien plus que de l’Or numérique, cependant une des composantes de Bitcoin est d’être un Or numérique et c’est un aspect pouvant servir à vulgariser Bitcoin [10-13].

Dans l’Argent, Aristide Saccard, le protagoniste, est conscient que l’or est un actif dont la fiabilité est avérée et détenue par de grandes familles installées, une sorte de preuve de richesse qui va de soi chez les grands de ce monde, citation :

« À cette heure, il se sentait cette misère d’être, sur le pavé, moins qu’un débutant, qu’auraient soutenu l’illusion et l’espoir. Et une fièvre le prenait de tout recommencer pour tout reconquérir, de monter plus haut qu’il n’était jamais monté, de poser enfin le pied sur la cité conquise. Non plus la richesse menteuse de la façade, mais l’édifice solide de la fortune, la vraie royauté de l’or trônant sur des sacs pleins ! » L’Argent, Émile Zola, chapitre 1

Le paradigme de cette époque est que la création de richesses (biens/services, entreprises…) permet in fine d’augmenter son numéraire en Or. Si initialement la conversion totale du capital en Or donne 1 kilogramme d’Or, cependant il est possible en créant/développant/spéculant/« marketant » des actions/entreprises de pouvoir espérer acheter dans le futur non pas 1 kilo mais 2 kilos d’Or !

De même aujourd’hui beaucoup d’altcoiners ne s’en cachent pas, les altcoins sont un moyen d’augmenter son numéraire en Bitcoin. Si initialement la conversion totale du capital en bitcoin donne 1 bitcoin, cependant il est possible en créant / développant / spéculant / « marketant » de l’altcoin de pouvoir espérer acheter dans le futur non pas 1 mais 2 bitcoins ! Il est même question d’arbitrage dans différent pays, citation :

« Il tourna la tête, se reconnut, vit qu’il se trouvait sous la porte de la maison Kolb, un banquier qui s’occupait surtout d’arbitrages sur l’or, achetant le numéraire dans les États où il était à bas cours, puis le fondant, pour vendre les lingots ailleurs, dans les pays où l’or était en hausse ; et, du matin au soir, les jours de fonte, montait du sous-sol ce bruit cristallin des pièces d’or, remuées à la pelle, prises dans des caisses, jetées dans le creuset. » L’Argent, Émile Zola, chapitre 3

Rien de nouveau sous le soleil, certains ont même essayé de créer leur empire de la crypto en commençant par ce type d’arbitrage avec Bitcoin comme un certain Sam dit le « banquier frit », mais, comme Saccard, cela s’est mal terminé à la fin…

Plus le temps passe et plus la volatilité de Bitcoin devrait se réduire et les prix s’harmoniser géographiquement, impliquant que la quantité de Bitcoin nécessaire pour effectuer des arbitrages rentables devrait augmenter.

Enfin, il est souvent reproché à Bitcoin d’avoir un prix déjà trop élevé et que cela n’est pas avantageux aux nouveaux entrants. Cependant, de ce point de vue-là Bitcoin a toujours une volatilité élevée comparée à l’Or, d’ailleurs dans le roman il est sous-entendu que la spéculation sur l’Or est devenu un club réservé aux plus fortunés, citation :

« Et, depuis le matin, plus de six millions avaient passé là, assurant au banquier un bénéfice de trois ou quatre cents francs à peine ; car l’arbitrage sur l’or, cette différence réalisée entre deux cours, étant des plus minimes, s’appréciant par millièmes, ne peut donner un gain que sur des quantités considérables de métal fondu. De là, ce tintement d’or, ce ruissellement d’or, du matin au soir, d’un bout de l’année à l’autre, au fond de cette cave, où l’or venait en pièces monnayées, d’où il partait en lingots, pour revenir en pièces et repartir en lingots, indéfiniment, dans l’unique but de laisser aux mains du trafiquant quelques parcelles d’or. » L’Argent, Émile Zola, chapitre 3

Si le parallèle entre l’or et la composante valeur de réserve (ou valeur refuge) de Bitcoin se maintient, alors la volatilité du Bitcoin finira par converger vers celle de l’Or. Sauf si des L2/3 (RGB, Taro, DLC…) donnent une composante de crypto-bourses pour crypto-actions (« bourses-chiffrées » et « actions-chiffrées » pour les puristes) créant une activité économique (de nouvelles formes d’actions numériques chiffrées sur un réseau distribué) laquelle participera à augmenter le prix du Bitcoin et sa volatilité.

Une banque universelle de toutes les promesses

L’axe principal du roman est l’évolution de la banque dite « banque universelle» que le protagoniste crée afin de servir ses « projets civilisationnels ». Il est question du développement industriel de l’Est de la Méditerranée et du Moyen-Orient en général et tout cela pour des raisons pseudo-religieuses, le protagoniste étant un catholique convaincu et zélé il souhaite « rendre leurs grandeurs » aux civilisations antiques de la bible, citation :

« Sous les éclats de sa voix aiguë, tout s’animait, s’exagérait. D’abord, on mettait la main sur la Méditerranée, on la conquérait, par la Compagnie générale des Paquebots réunis ; et il énumérait les ports de tous les pays du littoral où l’on créerait des stations, et il mêlait des souvenirs classiques effacés à son enthousiasme d’agioteur, célébrant cette mer, la seule que le monde ancien eût connue, cette mer bleue autour de laquelle la civilisation a fleuri, dont les flots ont baigné les antiques villes, Athènes, Rome, Tyr, Alexandrie, Carthage, Marseille, toutes celles qui ont fait l’Europe. » L’Argent, Émile Zola, chapitre 2

Ethereum pourrait être l’équivalent de cette banque dans le sens où il est question d’un réseau de jetons numériques dont le but est de changer le monde, un des narratifs d’Ethereum était de créer un monde « open-source et distribué » [14]. Cependant ce sont les effondrements des bourses d’échanges Celsius, Voyager, Luna et FTX durant l’année 2022 qui ressemblent le plus, sous biens des aspects, à une version 2.0 de l’Argent dans lesquels Do Kwon, Alex Mashinsky et SBF sont des Saccard modernes [16-18].

Les références et comparaisons à des aspects psychologiques voire religieux sont fréquents dans l’Argent, les comportements et motivations des différents acteurs du roman sont très proches de ceux observés dans les milieux du développement personnel, religieux ou altcoiners en 2022, citation :

« Sa maison de commerce périclitait, toute sa fortune était liée à celle de l’Universelle [la banque de Saccard, le protagoniste], à ce point que la baisse possible devait être pour lui un écroulement ; et, anxieux, dévoré de sa passion, ayant d’autres ennuis du côté de son fils Gustave qui ne réussissait guère chez Mazaud, il éprouvait le besoin d’ être rassuré, encouragé. D’une tape sur l’épaule, Saccard le renvoya plein de foi et d’ardeur. » L’Argent, Émile Zola, chapitre 10

La valeur boursière de la banque universelle de Saccard ne reposait pas sur des infrastructures telles que des voies ferrées, des usines ou n’importe quel autre appareil de production de bien et services concret et palpable, citation :

« Il attaqua le jeu avec une violence extrême, l’Universelle succombait à la folie du jeu, une crise d’absolue démence. Sans doute, il n’était pas de ceux qui prétendaient qu’une banque peut laisser fléchir ses titres, comme une compagnie de chemins de fer par exemple : la compagnie de chemins de fer a son immense matériel, qui fait ses recettes ; tandis que le vrai matériel d’une banque est son crédit, elle agonise dès que son crédit chancelle. » L’Argent, Émile Zola, chapitre 11

Ainsi, la valeur boursière de la banque universelle de Saccard ne reposait que sur une promesse dans le futur (renouveau civilisationnel des villes antiques) c’est-à-dire un biais de télicité [15]. À titre de comparaison les protocoles distribués que son Bitcoin, Monero, Helium ou Nostr ont des infrastructures que sont les nœuds, les appareils de minage, les logiciels et différentes unités de production de biens et de services (associations, entreprises…) ayant un lien direct ou indirect avec Bitcoin (produits liés à Bitcoin…).

Ci-dessous, les cartes des nœuds des protocoles Bitcoin, Monero, Helium et Nostr en Europe en janvier 2024 :

Figure 1: en haut à gauche le réseau de relais Nostr (https://nostr.watch/relays/find), en haut à droite le réseau de noeuds Bitcoin (https://bitnodes.io/), en bas à gauche le réseau de noeud Monero (https://tools.rino.io/network/), en bas à droite le réseau de relais Helium (https://explorer.helium.com/).

Ces infrastructures de protocoles distribués sont concrètement des autoroutes (ou voies ferrées) de l’information pour des transactions économiques, de l’hébergement de donnés, ou des points d’accès au réseau TCP/IP… Or, concernant les Celsius, Voyager, FTX et autres naufrages crypto de 2022, il n’est pas du tout question de cela, la valeur de ces entreprises et de leurs jetons ne sont liés qu’à la confiance de leurs déposants et ne résiste pas aux coups durs comme l’a montré 2022. Quand quelqu’un vous dit que le Bitcoin n’a pas de valeur ou qu’il ne comprend pas d’où vient la valeur, n’hésitez pas à lui montrer ce genre de carte (bitnodes.io) en lui expliquant que c’est une partie de la réponse.

Remarque : C’est la baisse des coûts d’acquisition/fonctionnement du numérique qui fait qu’il est possible de déployer de tels réseaux sans directives de l’État ou d’organisations de grandes entreprises (PDG, CA…), sauf pour Helium qui est à la base une start-up. Typiquement si Ethereum a commencé comme ces réseaux distribués, en revanche le passage à la preuve d’enjeu marque une mutation vers une structure de plus en plus centralisée et administrée, comme une forme de privatisation progressive au profit de la fondation et au détriment de la « plebnet » laquelle a « build » le réseau à l’origine… (au début du moyen-âge la population payait des impôts pour qu’une armée la protège, à la fin du moyen-âge l’armée veillait à ce que la population paye l’impôt…).

Le « yield » de la banque universelle tenait sur du vent et, bien entendu, le krach a fini par arriver, citation :

« La catastrophe de l’Universelle venait d’être une de ces terribles secousses qui ébranlent toute une ville. Rien n’était resté d’aplomb et solide, les crevasses gagnaient les maisons voisines, il y avait chaque jour de nouveaux écroulements. Les unes sur les autres, les banques s’effondraient, avec le fracas brusque des pans de murs demeurés debout après un incendie. Dans une muette consternation, on écoutait ces bruits de chute, on se demandait où s’arrêteraient les ruines. Elle, ce qui la frappait au cœur, c’était moins les banquiers, les sociétés, les hommes et les choses de la finance détruits, emportés dans la tourmente, que tous les pauvres gens, actionnaires, spéculateurs même, qu’elle avait connus et aimés, et qui étaient parmi les victimes. » L’Argent, Émile Zola, chapitre 11

De même, tout comme la banque universelle de Saccard fait banqueroute, les bourses d’échanges altcoins de 2022 (Celsius, Voyager, FTX…) se sont lamentablement effondrées [16-18].

S’en poursuit de long procès, citation :

« L’accusation lui reprochait : le capital sans cesse augmenté pour enfiévrer les cours et pour faire croire que la société possédait l’intégralité de ses fonds ; la simulation de souscriptions et de versements non effectués, grâce aux comptes ouverts à Sabatani et aux autres hommes de paille, lesquels payaient seulement par des jeux d’écritures ; la distribution de dividendes fictifs, sous forme de libération des anciens titres ; enfin, l’achat par la société de ses propres actions, toute une spéculation effrénée qui avait produit la hausse extraordinaire et factice, dont l’Universelle était morte, épuisée d’or. » L’Argent, Émile Zola, chapitre 12

Cela ne vous rappelle rien ? Remplacez « le capital sans cesse augmenté pour enfiévrer les cours et pour faire croire que la société possédait l’intégralité de ses fonds la simulation de souscriptions et de versements non effectués, grâce aux comptes ouverts à Sabatani et aux autres hommes de paille  » par « alameda research rachète les FTT de FTX pour que FTX fasse croire que les fonds ont bien été racheté ».

Puis remplacez « par des jeux d’écriture ; la distribution de dividendes fictifs, sous forme de libération des anciens titres ; enfin, l’achat par la société de ses propres actions » par « alameda research achète plus de FTT ce qui augmente artificiellement le prix des FTT, cela gonfle leur capital théorique leur permettant de racheter des FTT… ».

Enfin, remplacez « dont l’Universelle était morte, épuisée d’or » par « FTX bloquant les retraits par manque de bitcoins », puisque le cours des dits FTT était bien au-delà de la valeur en Bitcoin (actif en quantité finie de 21 000 000 dont l’émission est indexée à l’énergie…), l’étalon « Or numérique » qu’est Bitcoin fait office de garde fou par rapport à un gonflage artificiel d’actif ne reposant sur rien…

Ainsi, vous obtenez en FTX la version 2.0 de la banque universelle de Saccard dans L’Argent d’Émile Zola… En annexe une spéculation qui vaut ce qu’elle vaut sur le marché haussier de 2025.

La foule, la pleb et le mépris…

Tout comme dans le monde des crypto-actifs, les « petits épargnants » sont totalement méprisés par les grands acteurs financiers, citation :

« Il regarda le péristyle se vider, les marches se couvrir de la lente débandade de tout ce monde échauffé et las. Autour de lui, l’encombrement du pavé et des trottoirs continuait, un flot ininterrompu de gens, l’éternelle foule à exploiter, les actionnaires de demain, qui ne pouvaient passer devant cette grande loterie de la spéculation, sans tourner la tête, dans le désir et la crainte de ce qui se faisait là, ce mystère des opérations financières, d’autant plus attirant pour les cervelles françaises, que très peu d’entre elles le pénètrent. » L’Argent, Émile Zola, chapitre 1

« Et, de leur prodigalité, de tout cet argent qu’ils jetaient de la sorte en vacarme, aux quatre coins du ciel, se dégageait surtout leur dédain immense du public, le mépris de leur intelligence d’hommes d’affaires pour la noire ignorance du troupeau, prêt à croire tous les contes, tellement fermé aux opérations compliquées de la Bourse, que les raccrochages les plus éhontés allumaient les passants et faisaient pleuvoir les millions. » L’Argent, Émile Zola, chapitre 6

« Elle n’était point une naïve, une nigaude, que l’on pût tromper ; même ignorante de la technique des opérations de banque, elle comprenait parfaitement les raisons de ce surmenage, de cet enfièvrement, destiné à griser la foule, à l’entraîner dans cette épidémique folie de la danse des millions. Chaque matin devait apporter sa hausse, il fallait faire croire toujours à plus de succès, à des guichets monumentaux, des guichets enchantés qui absorbaient des rivières, pour rendre des fleuves, des océans d’or. » L’Argent, Émile Zola, chapitre 7

Une certaine créature mythologique de la communauté française a brillamment détaillé la manière dont les médias traditionnels méprisent les premiers à avoir donné sa chance à Bitcoin [19]. En 2030 si les mêmes qui crachaient 15 ans avant sur les « pigeons du Bitcoin » retournent leurs vestes il ne faudra surtout pas oublier de leur rappeler ce qu’ils ont fait (d’autant qu’ils l’auront acheté au prix ou ils l’auront compris…). Internet n’oublie pas [20]…

Les petites bourses rêvent d’enrichissement rapide et sont prêt a confier leur capital à ceux qui les font le plus rêver, citation :

« Les petits rentiers dévots des quartiers tranquilles, les pauvres prêtres de campagne débarqués le matin du chemin de fer, bâillaient de béatitude devant la porte, en ressortaient rouges du plaisir d’avoir des fonds là-dedans. » L’Argent, Émile Zola, chapitre 8

Remarque : cela me rappelle une citation de Jean-Paul Marat laquelle donnait approximativement cela « Oh peuple, décidément tu te feras toujours avoir, les vampires ne te flattent que pour mieux se rapprocher de ta gorge ».

Les débats sur l’intérêt ou la légitimité de la spéculation existaient déjà, citation :

« Oui, la spéculation. Pourquoi ce mot vous fait-il peur ?… Mais la spéculation, c’est l’appât même de la vie, c’est l’éternel désir qui force à lutter et à vivre… Si j’osais une comparaison, je vous convaincrais… Il riait de nouveau, pris d’un scrupule de délicatesse. Puis, il osa tout de même, volontiers brutal devant les femmes. Voyons, pensez-vous que sans… comment dirai-je ? sans la luxure, on ferait beaucoup d’enfants ?… Sur cent enfants qu’on manque de faire, il arrive qu’on en fabrique un à peine. C’est l’excès qui amène le nécessaire, n’est-ce pas ? » L’Argent, Émile Zola, chapitre 3

De nos jours, qu’il soit question des altcoins ou même de Bitcoin, forcé de constater qu’il est difficile d’envisager le développement des crypto-actifs sans l’appât du gain que permet la spéculation et cela malgré la proportion très élevée d’escroqueries. Les protocoles open-source et distribués existaient bien avant Bitcoin (TCP/IP, Torrent, Tor…) mais n’attirent presque exclusivement que des passionnés, militants, spécialistes ou lanceurs d’alertes pas l’individu lambda.

Lorsque vient le moment du procès après la banqueroute, là encore le parallèle est frappant :

« D’autre part, quelle étrange façon d’apprécier les responsabilités ! Pourquoi ne poursuivait-on pas aussi les administrateurs, les Daigremont, les Huret, les Bohain, qui, outre leurs cinquante mille francs de jetons de présence, touchaient le dix pour cent sur les bénéfices, et qui avaient trempé dans tous les tripotages ? Pourquoi encore l’impunité complète dont jouissaient les commissaires-censeurs, Lavignière entre autres, qui en étaient quittes pour alléguer leur incapacité et leur bonne foi ? Évidemment, ce procès allait être la plus monstrueuse des iniquités, car on avait dû écarter la plainte en escroquerie de Busch, comme alléguant des faits non prouvés, et le rapport remis par l’expert, après un premier examen des livres, venait d’être reconnu plein d’erreurs. L’Argent, Émile Zola, chapitre 12

Le procès de FTX et la question des dédommagements des clients de FTX ne sont pas terminés, néanmoins il est peu probable que toute cette affaire se solde par un compromis juste et équitable. Cependant SBF sera très vraisemblablement punie de manière exemplaire contrairement à Saccard qui dans le roman s’en sortira et repartira pour de nouvelles aventures boursières tout aussi rocambolesques, citation :

« Et, en effet, l’évidente bonne foi d’Hamelin, l’héroïque attitude de Saccard qui tint tête à l’accusation pendant les cinq jours, les plaidoiries magnifiques et retentissantes de la défense, n’empêchèrent pas les juges de condamner les deux prévenus à cinq années d’emprisonnement et à trois mille francs d’amende. Seulement, remis en liberté provisoire sous caution, un mois avant le procès, et s’étant ainsi présentés devant le tribunal en qualité de prévenus libres, ils purent faire appel et quitter la France dans les vingt-quatre heures. C’était Rougon qui avait exigé ce dénouement, ne voulant pas garder sur les bras l’ennui d’un frère en prison. La police veilla elle-même au départ de Saccard, qui fila en Belgique, par un train de nuit. Le même jour, Hamelin était parti pour Rome. » L’Argent, Émile Zola, chapitre 12

Nous verrons si SBF trouvera « miraculeusement » un soutien politique pour éviter les barreaux.

En revanche, le parallèle entre les deux époques pêche qu’en aux notions de clés privées, d’auto-hébergement et de preuve de travail, car les équivalent du XIXe de ces notions sont très différentes voire inexistantes.

Au XIXe le Bitcoin de l’époque étant l’Or, ainsi la « clé privée de l’époque » est la connaissance de la cachette des pièces d’Or car c’est cette information qui assure la propriété auto-hébergée des pièces d’Or. De même, mettre ses pièces d’Or dans le coffre d’une banque est analogue à garder ses bitcoins sur une plateforme d’échange. En pratique la manière de cacher de l’Or change selon la quantité, cela est différents dans Bitcoin car c’est le niveau de sophistication de cybersécurité qui change avec le nombre de bitcoins (portefeuille « chaud » ou « froid », multi signature…) mais surtout il est possible de faire des copies de sa clé privée ce qui revient à cacher l’information de la cachette et la cachette mais avec l’Or il est possible de copier l’information de la cachette mais pas la cachette.

Concernant les « nœuds », à l’époque les banques et notaires pourraient être considérés comme les nœuds d’un « réseau humain » (ou papier) dans le sens où ils sont les détenteurs des registres de comptes non par un protocole informatique mais par la loi. De plus n’importe qui peut avoir un nœud mais pour être banque ou notaire il faut une autorisation. Le XXIe siècle est bien plus participatif dans le sens ou avec un SBC (raspberry pi, arduino, libre computer…) et un système d’exploitation adapté (Raspiblitz, Umbrel, Run Citadel…) n’importe qui peut devenir nœud du réseau car dans cet univers « le code c’est la loi ». Ce genre de changement de paradigme est encore peu appréhendé par les défenseurs du système « classique » (fiat, banques…) dans le sens où cela prend à rebrousse-poil la manière « classique » de fonctionner (statut légal, diplôme…) [21].

Il est question dans le roman de manière anecdotique de preuve de travail car on y parle de mines d’Or, cependant c’est fort éloigné de la notion actuelle de preuve de travail dans Bitcoin. Si les mines d’Or peuvent être comparées de nos jours à des endroits où le prix du kWh est faible, par contre les NerdMiner ou Bitaxe n’ont pas d’équivalent car au XIXe siècle il n’était pas possible de miner à petite échelle chez soi à perte (modique) de l’Or dans le but d’assurer l’incensurabilité des transactions en Or…

Ainsi, c’est sur ce genre de points que les comparaisons historiques ont leurs limites, de nos jours contrairement au XIXe les évolutions technologiques sont de plus en plus accessibles aux petits acteurs. Car les coûts marginaux d’acquisition et de fonctionnement des instruments (électroniques, logiciel) baissent et cela avantage de manière marginale les petits acteurs [4] dont les « droits numériques » sont assurés par l’aspect source libre et distribué des protocoles.

Presse spécialisée et conflit d’intérêt et/ou d’influence

Il est également question dans ce roman de presse et notamment des liens entre cette dernière et les pouvoirs de l’argent. De manière décomplexée, Saccard utilise un journal (l’Espérance) afin d’avoir l’influence nécessaire qui permettra à ses affaires de prospérer, citation :

« Les bureaux de L’Espérance, le journal catholique en détresse que, sur l’offre de Jantrou, Saccard avait acheté, pour travailler au lancement de l’Universelle, se trouvaient rue Saint-Joseph, dans un vieil hôtel noir et humide, dont ils occupaient le premier étage, au fond de la cour. » L’Argent, Émile Zola, chapitre 6

« Jantrou, du reste, bien qu’officiellement il ne fût que directeur de L’Espérance, où il écrivait des articles politiques d’une littérature universitaire soignée et fleurie, que ses adversaires eux-mêmes reconnaissaient ‘du plus pur atticisme’, était son agent secret, l’ouvrier complaisant des besognes délicates. Et, entre autres choses, c’était lui qui venait d’organiser toute une vaste publicité autour de l’Universelle. » L’Argent, Émile Zola, chapitre 6

« Sans parler de la campagne quotidienne menée sous ses ordres, par L’Espérance, non point une campagne brutale, violemment approbative, mais des explications, de la discussion même, une façon lente de s’emparer du public et de l’étrangler, correctement. » L’Argent, Émile Zola, chapitre 6

Dans les milieux des altcoins il existe également une presse spécialisée, laquelle fait la promotion de divers altcoins, de là à faire un parallèle, il n’y a qu’un pas… Une certaine créature mythologique de la communauté Bitcoin française a brillamment détaillé tout cela [23,24].

Dans un autre style, Pierre Carles dans Pas vu pas pris [25,26] parle de la connivence entre milieux d’affaires et presse à travers la chaîne de télévision Canal + qui à l’époque était nouvelle dans le sens où la pluralité de chaînes télévisuelles privées était relativement nouvelle en France (et internet était perçu comme une obscure invention à l’avenir incertain…).

Dans un style proche mais parodique, le vidéaste Usul dans 3615 Usul a parodié le documentaire de Pierre Carles mais pour cette fois-ci prendre comme décor l’industrie du jeu vidéo et sa presse spécialisée [27], pour ensuite parler plus en détail de la connivence de ces milieux et la réalité du fameux « chèque d’Activision » [28].

Pierre Carles et Usul ont même fait une conférence dans laquelle ils parlent de ces thématiques et des récentes évolutions de ces dernières [29] et la boucle est bouclée…

Si un tel phénomène se répète tant de fois dans différents domaines c’est qu’il est plausible que des mécanismes incitations/sanctions le favorise et que dès qu’un nouveau marché économique émergera le phénomène se répétera. Charge aux futurs acteurs économiques (producteurs, consommateurs…) de gérer cela au mieux sachant que nous avons maintenant beaucoup du recul historique dans différents domaines. Émilien Dutang (le OG Dark_Emi_) par exemple s’est lancé à bras le corps dans la dénonciation de certains acteurs et de leurs mécaniques plus ou moins malveillantes [30].

Si certains sites de presse altcoins sont des versions numériques des journaux d’antan, il n’est pas à exclure que ces techniques d’influence de l’opinion puissent prendre de nouvelles formes. Les « influenceurs » (terme un peu fourre tout) sont de nouveaux modus operandis, plutôt qu’un bataillon de journalistes, il est question de quelques mercenaires vidéastes. Dans le monde d’internet le rapport coûts/bénéfices des « influenceurs » pourraient s’avérer plus avantageux qu’un journal, les « influenceurs » sont des mercenaires flexibles plus appropriés à l’instabilité d’internet et ils paraissent (du moins encore aujourd’hui) plus proches de leur public.

Enfin, concernant les lettres d’investissements rien de nouveau sous le soleil les nouvelles versions numériques utilisent les mêmes ressors que leurs ancêtres papiers. Ils jouent sur vos sentiments, votre peur de manquer quelque chose, vous donnent quelques anecdotes qui les font passer pour des experts, vous mettent en confiance en expliquant qu’en ayant un petit truc en plus que les autres n’ont pas il est possible de faire de grands rendements, puis ils vous proposent leurs services…

Annexe :

Il y a quelques jours la SEC a approuvé plusieurs ETF Bitcoin spot [30] et il est possible de faire une expérience de pensée pour une entreprise fictive que nous appellerons « caillou noir », partons de quelques axiomes simples :

– Indépendamment du statut légal « spot » [31,32] ou pas, dans tous les cas vis-à-vis du client les ETF Bitcoin de « caillou noir » sont des « bitcoins IOU » (« bitcoins je te dois »), wrapped, papiers détenus par un tier de confiance humain/légal, ce n’est pas du Bitcoin « auto-hébergé » (self-custody).

– « Caillou noir » ne se fait pas hacker (même par lui-même…).

– Durant le marché haussier l’ETF Bitcoin de « caillou noir » connaîtra en début/milieu 2025 une forte hausse, un maxima fin 2025 puis une forte baisse en fin 2025 et/ou début/milieu 2026.

– Une majorité des détenteurs d’ETF Bitcoin de « caillou noir » ne sont pas là pour la technologie, ils retireront de l’argent de leur ETF pendant la forte hausse et/ou la forte baisse.

Cela étant posé nous avons trois cas possibles concernant le « contenu réel » pour admettons 100 euros d’ETF Bitcoin :
– Cas 1 : les 100 euros sont convertis en Bitcoin (hébergés par « caillou noir ») moins des frais (par exemple 1 euro de frais pour 100 euros).
– Cas 2 : les 100 euros sont convertis en d’autres produits financiers (actions, obligations, Or…).
– Cas 3 : les 100 euros sont un mix des deux propositions précédentes.

Dans le premier cas les 100 euros d’ETF sont directement indexés à du Bitcoin, ainsi qu’importe la hausse ou la baisse du cours et le volume des retraits, « caillou noir » est en mesure de permettre à ses clients de retirer leur argent moyennant des frais « raisonnables », tout va bien. Néanmoins l’histoire très récente des échanges centralisés (Mt.Gox, FTX…) ou des « bitcoins IOU » en général, laisse à penser que ce cas est le moins probable (en plus il existe déjà Paymium pour ça).

Dans le deuxième cas, les 100 euros d’ETF n’étant pas directement indexés à du « bitcoin IOU » mais composés d’autres actifs (actions, obligations, Or…), en cas de retrait massif des clients lors d’une forte baisse ou d’une forte hausse, « caillou noir » doit être certains d’avoir les liquidités nécessaires pour permettre à ses clients de retirer leur argent moyennant des frais « raisonnables ». Si ce n’est pas le cas (les autres actifs ne performent pas autant que Bitcoin, l’argent a mystérieusement disparu…), alors il reste à « caillou noir » plusieurs possibilités :
– augmentation des frais de retraits.
– blocage des retraits.
– demander un « assouplissement quantitatif » à une banque centrale.
– se faire « hacker »…
– trouver un bouc émissaire (russes, virus, aliens…).

L’histoire très récente des échanges centralisés (Mt.Gox, FTX…) où des « bitcoins IOU » en général laisse à penser que ce cas est le plus probable.

Dans le troisième cas, les 100 euros d’ETF sont un mélange des deux cas précédent, il en résulte que « caillou noir » a plus de marge de manœuvre, concrètement les conséquences fâcheuses liées au manque de liquidité du deuxième cas sont d’autant plus limitées qu’il a une partie de la liquidités des ETF directement en Bitcoin. Concrètement, si sur les 100 euros la partie indexée en Bitcoin représente 90 %, alors les conséquences fâcheuses du deuxième cas seront limitées (frais bas, pas de blocage des retraits…), a contrario si la partie indexée en Bitcoin représente 10 % alors on se dirige vers un scénario à la FTX…

Ce troisième cas étant le plus probable, la question est de savoir qu’elle sera la proportion de « bitcoins réels » détenus par « caillou noir » entre début 2025 et fin 2026, la moindre fuite d’information (employé, espion, information indirecte…) pourrait ou pas être une étincelle qui déclenchera l’explosion de « caillou noir ».

Références :

[1] https://bitcoin.fr/la-reforme-bitcoin/
[2] https://bitcoin.fr/fiat-cain-et-crypto-abel-le-mythe-et-ses-interpretations/
[3] https://bitcoin.fr/esquisse-historionomique-bitcoin-par-analogie-au-protestantisme/
[4] https://bitcoin.fr/la-societe-de-lignee-la-societe-contractuelle-puis-la-societe-de-cles-de-chiffrement/
[5] https://bitcoin.fr/introduction-au-protocole-rgb-en-anglais/
[6] https://bitcoin.fr/space-kek-28-rgb/
[7] https://bitcoin.fr/taro-des-stablecoins-sur-le-lightning-network/
[8] https://bitcoin.fr/sortie-de-la-version-alpha-de-taro/
[9] https://bitcoin.fr/theo-pantamis-realiser-des-contrats-sur-bitcoin-sans-risque-de-contrepartie-avec-les-dlc/
[10] https://ploum.net/bitcoin-bubble/index.html
[11] https://cryptolettre.substack.com/p/1-bitcoin-le-nouvel-or-numrique
[12] https://blog.lavoiedubitcoin.info/post/rois
[13] https://blog.lavoiedubitcoin.info/post/L-or-des-fous
[14] https://blog.lavoiedubitcoin.info/post/maximaliste
[15] https://bitcoin.fr/esclave-du-futur-certes-mais-sous-quel-regime/
[16] https://bitcoin.fr/ftx-en-faillite-demission-de-sam-bankman-fried/
[17] https://bitcoin.fr/france-culture-la-faillite-de-la-plateforme-ftx-peut-elle-en-entrainer-dautres/
[18] https://bitcoin.fr/les-paris-perdus-de-ftx/
[19] https://www.youtube.com/watch?v=-QCoj7lBvcc
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[21] https://bitcoin.fr/leconomie-des-pyramides-hierarchiques-et-celle-des-reseaux-distribues-ou-les-raisons-profondes-du-desamour-des-elites-envers-bitcoin/
[22] https://www.youtube.com/watch?v=p2dS0Za2yN8
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[24] https://www.pierrecarles.org/Pas-vu-pas-pris
[25] https://www.youtube.com/watch?v=cNdH0l4O9Cw
[26] https://www.youtube.com/watch?v=XOwCKKOhDaM
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[29] https://www.youtube.com/watch?v=EiFzo9ZKcXA
[30] https://bitcoin.fr/les-etf-bitcoin-spot-obtiennent-lapprobation-de-la-sec/
[31] https://www.sec.gov/news/speech/peirce-remarks-regulatory-transparency-project-conference
[32] https://cointelegraph.com/news/hester-peirce-expresses-strong-support-for-crypto-spot-etfs-and-regulatory-structure


A propos de l’auteur

Thomas Mang, ancien doctorant au CEA de Grenoble, est ingénieur en Photonique depuis 2017. Passionné par les technologies du numérique (l’impression 3D, Bitcoin), il s’y intéresse non pas à travers le prisme des « sciences dures » mais par les sciences humaines : l’histoire ou l’anthropologie.

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