L’administration fiscale prend position sur le régime fiscal en matière de TVA applicable aux offres publiques de jetons

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L’administration fiscale a publié le 7 août dernier un rescrit de portée générale qui clarifie le régime fiscal en matière de TVA applicable aux offres publiques de jetons. Cette prise de position était attendue depuis un certain temps par la communauté et s’inscrit dans le cadre des avancées législatives et réglementaires récentes [1] qui visent à créer un cadre juridique, fiscal et comptable clair et cohérent pour les émissions d’actifs numériques.

 

Rappel des règles

Sont soumises à TVA les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel.

Une opération entre dans le champ de la TVA s’il existe un lien direct entre le service rendu / le bien livré et la contrepartie fournie. Ceci implique de pouvoir prouver l’existence d’un avantage individualisé au profit du client et que le prix versé soit en relation avec l’avantage obtenu.

En cas d’échanges de prestations réciproques, le lien direct est généralement établi sauf si l’une des obligations sous-jacentes est incertaine.

 

Position de l’administration fiscale

Lors de l’émission de jetons qui peuvent être échangés contre des biens ou des services, l’opération future d’échange du jeton contre le bien ou le service auquel il donne droit n’est souvent que potentielle (elle dépend du lancement effectif de l’activité par l’émetteur des jetons, de l’absence de piratage du contrat intelligent jusqu’à l’échange du jeton, etc.). Dans ces circonstances, il ne peut y avoir de lien direct entre, d’une part, l’émission du jeton et, d’autre part, la fourniture du service ou la livraison du bien sous-jacent, ces dernières obligations étant incertaines. L’opération d’émission des jetons n’est donc pas soumise à TVA.

Ceci n’empêche pas la déduction de la TVA d’amont (TVA qui a été facturée à la société émettrice – par exemple : les honoraires de conseil juridique pour préparer l’ICO) par le recours à la théorie des frais généraux : les dépenses d’amont – bien que sans lien direct avec des opérations taxables – présentent un lien direct avec l’ensemble de l’activité économique du redevable (ainsi, cette capacité de déduction est perdue pour un redevable qui serait considéré comme n’exerçant pas une activité économique telle une société holding passive).

En revanche, l’opération ultérieure d’échange du jeton contre un bien ou un service est soumise à TVA si elle se réalise. La base d’imposition à la TVA est alors le prix payé pour acquérir les jetons échangés indépendamment de leur variation de valeur entre la date d’émission et la date d’échange. Ceci dit, si le prix payé pour le jeton lors de l’émission est « sans relation » avec la valeur du service fourni ou du bien livré, l’administration fiscale estime que les opérations doivent être considérées comme réalisées à titre gratuit ou sans contrepartie suffisante. Dans ce cas, il existe un risque de remise en cause de la déduction de la TVA d’amont pour défaut d’activité économique.

Pour les jetons qui donnent accès à des biens ou des services déterminés lors de l’émission, l’administration fiscale indique que le régime des bons (tels les bons d’échange de type “coffret cadeau”) est applicable. Ceci peut conduire, dans certaines hypothèses particulières, à devoir collecter de la TVA lors de l’émission du jeton ou son transfert (bien entendu, la TVA ne sera pas collectée une deuxième fois lors de l’utilisation du jeton). Dans la majorité des cas, la TVA sera néanmoins due non pas lors de l’émission du jeton mais lors de son utilisation.

En ce qui concerne les security tokens, l’administration fiscale vise le cas spécifique des jetons donnant droit à des dividendes et octroyant un droit de vote, et considère que leur émission n’est pas dans le champ de la TVA.

Pour les jetons qui constituent des unités de valeur non monétaire acceptés par des personnes physiques ou morales comme un moyen d’échange (vraisemblablement bitcoin par exemple), l’administration fiscale précise – en ligne avec la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union Européenne – que les opérations de change de ces actifs numériques contre des devises traditionnelles sont exonérées de TVA.

 

Conclusion

La position de l’administration était attendue et est en ligne avec l’analyse que celle-ci avait pu fournir dans certains dossiers suite à des demandes de rescrit. La publication de ce rescrit de portée générale (les rescrits sont généralements individuels et non publiés) traduit vraisemblablement une volonté de l’administration fiscale de sécuriser le régime fiscal applicable aux émetteurs d’actifs numériques, contribuant in fine à l’attractivité du régime des émissions d’actifs numériques institué par la loi PACTE.

Suite à cette prise de position, l’administration fiscale considère que dans la majorité des cas, ne sont pas soumises à TVA les émissions de jetons, que celui-ci soit un utility token, un security token ou un jeton “moyen d’échange”. S’agissant des utility token pouvant être échangés contre un bien ou un service, la TVA sera en revanche généralement due lors de l’échange du jeton contre le service ou le bien auquel il donne accès.

Dans ce contexte, les émetteurs de jetons qui auraient par erreur collecté la TVA lors d’une ICO et l’auraient reversée au Trésor Public devraient pouvoir former réclamation. Les émetteurs de jetons qui préparent actuellement une opération sont invités à se faire conseiller sur l’applicabilité de ce rescrit à leur situation particulière.

 

[1] Règlement n°2017-07 du 10 décembre 2018 de l’Autorité des Normes Comptables, loi n°2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi PACTE.

 


A propos de l’auteur

Avocat au sein de l’équipe de Droit fiscal du cabinet Bredin Prat, Adrien Soumagne est également secrétaire général de la Chaintech. Il intervient sur des sujets de fiscalité des transactions, ainsi qu’au cours de contrôles et contentieux fiscaux. Il dispose d’une expertise particulière sur les questions juridiques et fiscales relatives aux actifs numériques.