Entretien avec Tim May : Aux origines du mouvement cypherpunk

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A l’occasion des dix ans de la publication du livre blanc de Bitcoin, le magazine Coindesk s’est entretenu avec Timothy C. May, auteur, en 1988, du Manifeste Crypto Anarchiste (The Crypto Anarchist Manifesto), texte de référence des Cypherpunks : « Il y a 30 ans environ, je me suis intéressé aux implications d’une cryptographie forte, pas tant en ce qui concerne l’envoi de “messages secrets” que sur ses conséquences sur la monnaie, le contournement des  frontières et les transactions sans contrôle gouvernemental.

J’en suis venu à appeler cela la “crypto-anarchy” et, en 1988, j’ai rédigé le Manifeste Crypto Anarchiste), inspiré d’un autre manifeste célèbre et basé sur “l’anarcho-capitalisme”, une variante bien connue de l’anarchisme […].

J’ai exploré ces idées pendant plusieurs années depuis ma retraite d’Intel en 1986 (grâce au cours de l’action a été multiplié par 100 !). Je passais quotidiennement de nombreuses heures à lire des documents cryptographiques et à réfléchir aux nouvelles structures que la technologie était sur le point de rendre possibles. Des choses telles que les paradis des données dans le cyberespace, les nouvelles institutions financières […] et, bien sûr, la monnaie numérique.

À peu près à la même époque, j’ai rencontré Eric Hughes [1] et il est venu chez moi, près de Santa Cruz. Nous avons alors décidé de rassembler certaines des personnes les plus brillantes que nous connaissions pour explorer ce sujet et nous nous sommes tous rencontrés dans sa maison nouvellement louée à Oakland Hills à la fin de l’été 1992.

Lors de cette première réunion, j’ai apporté des billets de Monopoly que j’avais acheté dans un magasin de jouets […]. Je les ai distribués et nous avons simulé un monde “crypto”, avec des paradis de données, des marchés noirs et des remailers. Des systèmes comme ce que deviendra plus tard “Silk Road” ont été imaginés. De nombreux journalistes m’ont demandé pourquoi je n’avais pas largement diffusé ma preuve de concept “BlackNet”. Je réponds généralement “Parce que je ne voulais pas être arrêté et emprisonné » […].

Nous avons commencé à nous rencontrer tous les mois, voire plus souvent, et une liste de diffusion [2] s’est rapidement formée. John Gilmore et Hugh Daniel l’ont hébergée. Il n’y avait pas de modération, pas de filtrage, pas de “censure” (au sens large, sans référence une censure gouvernementale qui n’existait pas encore). L’esprit “pas de modération” allait de pair avec “pas de leader”. Si 80% des réflexions et des messages ne provenaient que d’une vingtaine de personnes, il n’y avait pas pour autant de structure réelle. Nous pensions que cela fournirait une meilleure protection contre d’éventuelles poursuites du gouvernement.

Ce mode de fonctionnement correspondait à une structure peer-to-peer polycentrique, distribuée, sans permission. Une forme d’anarchie dans le vrai sens du mot [an-arkhê : sans origine, sans commandement]. Cela avait déjà été exploré par David Friedman au milieu des années 70 dans son livre “The Machinery of Freedom”, et par Bruce Benson qui, avec “The Enterprise of Law”, a étudié le rôle des systèmes juridiques en l’absence d’autorité supérieure.

Cela a probablement influencé la façon dont Satoshi Nakamoto a conçu Bitcoin par la suite. »

 

Source : coindesk.com 

 


[1] Eric Hughes, mathématicien et développeur, est considéré comme l’un des fondateurs du mouvement Cypherpunk, aux côtés de Timothy C. May et John Gilmore. Il est connu pour avoir fondé et administré la liste de diffusion Cypherpunk et pour avoir rédigé le manifeste Cypherpunk en 1993.

[2] C’est sur cette liste de diffusion, la Cryptography Mailing List, que la première spécification de Bitcoin a été publiée sous le pseudonyme de Satoshi Nakamoto.