Vidéo : intervention de Bruno Le Maire à la Paris Blockchain Conference 2019

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Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances, est intervenu ce matin à l’issue de trois tables rondes consacrées à l’impact de la blockchain sur les équilibres économiques mondiaux, le financement des entreprises et la production de biens et services innovants :

« Je suis en tout très heureux de conclure cette première conférence internationale organisée à Paris sur la Blockchain.

Elle est organisée au ministère de l’Economie et des Finances pour démontrer le soutien de l’État à cette technologie et notre volonté de faire de la France une référence en matière de la Blockchain.

Je crois en la Blockchain, je crois en cette technologie et donc je crois à la nécessité de la réguler correctement pour qu’elle puisse se développer dans les meilleures conditions possibles. Pourquoi est-ce que la France a décidé à travers ses autorités publiques de prendre cette technologie au sérieux et de lui donner tous les moyens de se développer ?

D’abord parce qu’au-delà de l’innovation technologique, il y a dans la Blockchain une aspiration politique, celle de décentraliser la confiance et de remplacer une autorité verticale par la certification collective. Chacun voit bien aujourd’hui que c’est un des défis importants que de rétablir de la confiance, rétablir de l’autorité et que cette confiance elle peut venir tout simplement de l’avis collectif des citoyens qui se font confiance mutuellement à travers cette chaîne. Ce n’est pas une utopie anarchiste ou libertaire comme certains essayent de la décrire, c’est une confiance mutuelle qui se construit sur une base profondément démocratique.

La deuxième raison c’est que la Blockchain est un modèle concurrentiel auquel je crois aussi profondément parce qu’il s’érige par principe contre les monopoles. On voit bien aujourd’hui que cette question de la situation monopolistique de certains géants du numérique est devenue du point de vue financier, du point de vue technologique, du point de vue économique mais aussi du point de vue politique, un sujet absolument majeur et que la Blockchain, en réintroduisant la concurrence, peut être un des éléments qui permet de lutter contre ces monopoles et cette domination économique. C’est un élément parmi d’autres. Ce que nous avons décidé sur la taxation des géants du numérique et que je suis allé expliquer à Washington, il y a quelques jours, dans le cadre des réunions internationales de printemps du FMI, est aussi une manière de rétablir la justice et de l’équité dans des situations qui sont monopolistiques.

Mais grâce au protocole Blockchain, ce que je constate, c’est que les cartes sont rebattues, que le pouvoir numérique est rebattu, puisque grâce au protocole Blockchain, les utilisateurs ont la faculté de créer, d’animer leur propre réseau de transfert d’argent, de commerce, de services sans l’intermédiation d’aucune plateforme. Donc la Blockchain, c’est une liberté concurrentielle dans un monde qui a tendance à devenir monopolistique.

Enfin, la dernière raison, la Blockchain va avoir un impact sur nos entreprises et que je préfère que la France ait un temps d’avance dans ces technologies plutôt que d’avoir un temps de retard. Prenez l’exemple de la finance, chacun voit bien que les marchés financiers sont construits sur un édifice très complexe d’infrastructures : les places de marché, les chambres de compensation, les systèmes de règlement-livraison. Avec une seule finalité : garantir la sécurité totale des transactions. Je crois que le protocole Blockchain pourra, à terme remplacer ces infrastructures et fournir une solution complète et décentralisée qui permettra de réaliser des transactions, d’enregistrer et de stocker de la valeur. Cette révolution, elle est déjà en marche et je me félicite d’ailleurs de l’initiative de Place Liquid Share qui utilise la Blockchain Ethereum et qui s’est installé à Paris pour moderniser nos infrastructures de marché. Je vois que de nombreuses autres fintech se développent sur la base de cette technologie et je m’en réjouis.

On parle très souvent de la Blockchain dans la finance. Mais il y a de nombreux autres secteurs économiques qui sont concernés par la Blockchain. Je peux citer l’exemple de l’agriculture et la traçabilité totale des produits que la Blockchain permet. Je peux citer la question de l’alimentation avec le projet Collecting Food qui a été justement mené par une startup française et qui cherche à renforcer la traçabilité de nos aliments. Je pourrais citer les services, je pourrais citer les contrats intelligents qui permettent d’automatiser certaines tâches au profit du consommateur. Je pourrais citer mille exemples.

Qu’est-ce que cela prouve ? Cela prouve que la Blockchain, c’est une sécurité donnée aux consommateurs dans les secteurs économiques. C’est une liberté donnée aux entrepreneurs face au monopole de certains géants du numérique. C’est dans le fond, au-delà d’une révolution économique, une vraie révolution démocratique. Le doute a saisi tous nos compatriotes. La critique, le scepticisme a saisi tous nos compatriotes et je ne crois plus possible, je vous le dis très sincèrement, de rompre avec ce doute ou avec ce scepticisme par un acte d’autorité. La solution viendra du consommateur, du citoyen, de tous ceux qui participent à la vie économique. La Blockchain est un moyen de rétablir cette confiance démocratique.

C’est la raison pour laquelle à mon sens la France doit prendre toute sa part dans cette révolution technologique.

Nous avons tous les moyens d’être leader. Nous avons d’abord des startups qui réussissent dans ce domaine. Il y a dans cette salle beaucoup d’entrepreneurs qui justement se sont saisis de cette technologie. Nous avons engagé au début de l’année une consultation pour mieux identifier les acteurs de la Blockchain et nous avons recensé 200 projets actifs ou en cours de développement en France. J’en ai déjà cité certains. C’est bien la preuve qu’il y a un foisonnement d’activités et d’initiatives sur la Blockchain qui sont de très bonne augure. Nous avons également des centres de recherche et de formation : l’Institut national de recherche dédié aux sciences du numérique, l’Ecole polytechnique où nos étudiants et chercheurs sont désormais formés à cette technologie sont 2 exemples, parmi d’autres, de centres de recherche et de formation efficaces consacrés à la Blockchain. Nous avons également des grands groupes qui permettent le développement de cette technologie. Je pourrais citer Carrefour qui a lancé la première Blockchain alimentaire en Europe pour plus de transparence et de sécurité alimentaire. Je pourrais citer également Engie qui travaille à un projet de suivi des consommations d’eau, de gaz et d’électricité par la Blockchain.

Nous devons donc sur la base de ces technologies, de ces centres de recherche, de ces grands groupes qui ont commencé à développer la Blockchain, mettre en place un cadre qui soit le plus attractif possible, qui permette à la fois d’accompagner, de faciliter et de réguler.

Nous l’avons fait dès 2017 pour développer la Blockchain dans le secteur financier. Je rappelle que nous avons été la première nation européenne à définir le concept de Blockchain dans le domaine monétaire et financier. Nous avons permis l’utilisation de la Blockchain pour enregistrer les transactions sur les instruments financiers qui représentent près de 2 000 milliards d’actifs. Nous avons, dans la loi de finances pour 2019, établi un cadre fiscal et comptable qui est adapté aux crypto actifs et qui est favorable à leur développement. Et enfin, la semaine dernière, nous avons voté définitivement le projet de loi PACTE qui crée cadre unique au monde pour garantir la sécurité des émissions de jetons et de transaction sur crypto actifs.

Je tiens à remercier les parlementaires que j’ai vus tout à l’heure, Laure de la Raudière, Pierre Person, Jean-Noël Barrot, qui ont permis d’écrire ces pages, de vous écouter vous les acteurs du numérique et les acteurs de la Blockchain, pour que nous ayons un cadre qui soit le plus favorable possible. Je rappelle que ce qui a été retenu comme dispositif c’est que les émetteurs d’actifs numérique et les intermédiaires peuvent solliciter un visa ou un agrément qui ne sera pas obligatoire mais optionnel. L’autorité des marchés financiers pourrait établir sur cette base une liste blanche des projets et intermédiaires qui ont reçu cet agrément qui reste facultatif. Nous avons eu de très longs débats à l’Assemblée nationale pour savoir s’il fallait rendre cet agrément obligatoire ou facultatif.

Moi je crois à la concurrence, je crois à la liberté, je crois à la responsabilité, et je pense qu’il vaut beaucoup mieux avoir un cadre optionnel où chacun a la liberté de s’inscrire sur cette liste blanche ou non, plutôt que d’avoir un cadre obligataire. En tout cas, je suis convaincu que ce cadre que nous avons mis en place dans la loi PACTE va faire de la Blockchain en France un modèle de référence à l’international.

Il faut maintenant que nous franchissons une nouvelle étape. Nous y croyons, nous avons les atouts pour le développer, nous avons un cadre de régulation fixé dans le cadre de la loi PACTE. Je pense que maintenant il faut aller plus loin et accélérer encore le déploiement de cette technologie.

Le premier enjeu c’est de permettre le déploiement de cette technologie dans toute l’industrie et dans nos services. Trois filières industrielles vont dès maintenant s’engager pour développer la technologie Blockchain dans leurs activités. Il s’agit de l’industrie de la construction pour sécuriser les étapes du parcours de rénovation thermique, l’industrie agroalimentaire pour développer des outils de traçabilité qui vont devenir de plus en plus essentiels pour le consommateur en matière d’alimentation, et l’industrie énergétique pour émettre et sécuriser les certificats de production d’énergie solaire. L’Etat accompagnera le développement de la Blockchain dans ses trois filières et dans toutes les filières suivantes dans le cadre de ces contrats stratégiques de filière. J’invite toutes les autres filières que nous avons mises en place à participer à ce développement de la Blockchain.

Le deuxième défi, c’est de continuer à soutenir l’innovation dans cette technologie de pointe. Nous avons des centaines de projets Blockchain, certains dont on me parle régulièrement mais qui n’ont pas les financements suffisants pour garantir et commercialiser leurs produits. L’Etat doit investir à travers les fonds dont il dispose pour l’innovation de rupture dans la Blockchain. Nous avons, tous dispositifs confondus, 4,5 milliards d’euros disponibles pour financer les innovations de rupture ces cinq prochaines années, notamment via le plan Deep Tech et le Fonds pour l’innovation de rupture financé par des cessions d’actifs. Je redis à quel point je préfère voir l’Etat investir dans l’innovation de rupture à travers ces financements plutôt que de continuer à toucher des dividendes dans des activités qui ne sont pas au cœur de ce que doit faire l’Etat. Nous allons lancer à court terme le concours d’innovation croissance, financé par le Programme d’investissements d’avenir avec un appel à projets qui est ouvert jusqu’au 14 mai et qui permettra de financer des projets innovants à fort potentiel pour l’économie française notamment fondée sur cette technologie Blockchain.

Le troisième élément essentiel, c’est de continuer à adapter notre environnement juridique à la Blockchain au niveau national mais aussi au niveau européen et international. Je vous ai parlé du cadre du projet de loi PACTE mais des modifications de notre cadre juridique seront certainement nécessaires pour permettre l’adaptation de cette technologie à d’autres secteurs.

Nous avons un guichet qui s’appelle « France expérimentation » qui devra assurer un accompagnement prioritaire et renforcé des porteurs de projet Blockchain dans les défis juridiques qu’ils rencontrent – car j’ai entendu plusieurs start-ups me dire : « Nous, on veut développer la Blockchain dans tel ou tel secteur, mais on se heurte à tel ou tel problème juridique ». Ici au ministère de l’Economie et des Finances nous avons mis en place les dispositifs pour répondre à vos problèmes juridiques et vous permettre de lever ces obstacles.

Face à cette technologie qui est par définition une technologie internationale, ce cadre de régulation ne sera efficace que si nous sommes capables de mettre aussi en place une régulation au niveau européen et international. Je vais donc proposer à mes homologues européens la mise en place d’un cadre unique de régulation des crypto actifs inspiré de l’expérience française et permettant l’instauration d’un véritable level playing field au niveau européen. Notre régulation est la bonne. Elle a été saluée au niveau international. Je vais proposer que cette régulation française de la Blockchain serve de modèle pour le développement d’une régulation de la Blockchain au niveau européen afin de construire un marché unique la Blockchain. Je veux également continuer à encourager les travaux sur ce sujet au niveau du G20 à la suite de l’initiative que j’ai porté avec mon homologue allemand l’année dernière.

Nous devons, enfin, engager une réflexion sur le modèle de développement économique lié à la Blockchain et sa conciliation avec l’exercice de notre souveraineté. Il y a en effet des questions de sécurité qui vous sont renvoyées sans cesse à la figure lorsque vous parlez de la Blockchain. Nous devons les traiter sans les écarter d’un revers de main comme si cela ne méritait pas considération. Chacun sait que l’utilisation de crypto actifs peut permettre le financement d’activités illicites, le financement du terrorisme, ou le blanchiment d’argent. C’est un reproche qui est fait fréquemment. Nous devons y apporter des réponses fortes pour que nous puissions développer ces technologies en toute sécurité. La Blockchain suscite également des défis environnementaux. On parle sans cesse de l’activité de minage qui permet de valider les transactions dans les protocoles Blockchain mais qui requièrent des quantités considérables d’énergie qui sont incompatibles avec nos objectifs environnementaux.

Nous avons donc besoin d’avancées technologiques. C’est le dernier point sur lequel je voudrais insister pour répondre à ces deux défis. Nous devons avoir une technologie qui soit durable et qui utilise moins d’énergie que ce n’est le cas actuellement. Nous avons ici des représentants de la Fondation Tezos qui ont lancé une initiative qui a justement développé un projet de Blockchain plus prometteur, plus efficient, et moins consommateur d’énergie. J’encourage tous les entrepreneurs présents à avancer dans cette technologie.

Toujours sur ces questions de sécurité et de sûreté de la technologie, je souhaite également engager une mission de réflexion pour permettre le développement d’un modèle de Blockchain sûr, compatible avec l’exercice de notre souveraineté – car chacun voit bien que la mainmise technologique par un petit nombre d’acteurs sur d’importantes capacités de calcul et de financement pourrait poser un problème de souveraineté majeur.

Voilà les quelques éléments que je voulais vous présenter ce matin. Vous voyez qu’à mes yeux nous avons avec la technologie Blockchain une technologie essentielle pour le 21ème siècle, pour notre économie, pour le commerce, et pour le rétablissement de la confiance des consommateurs.

Cette question de la confiance en économie est une des grandes questions politiques du 21ème siècle. La Blockchain sera une réponse à ce défi. Mais pour que cette réponse soit bonne, il faut qu’elle s’inscrive dans le cadre d’une régulation qui soit ouverte et efficace. C’est la régulation que nous avons proposée dans le cadre de la loi PACTE.

Il faut que nous nous servions de cette première étape pour la développer au niveau européen et au niveau international. C’est ce que nous allons faire. Il faut que vous ayez les financements disponibles pour pouvoir vous développer. Il faut viser grand, il faut viser fort si on veut pouvoir faire concurrence aux géants américains ou chinois. Le développement des moyens financiers est à mes yeux essentiel pour permettre le développement de cette technologie. Il faut enfin garantir la sûreté et la sécurité absolue de la technologie. Je suis convaincu que nous pouvons faire de la France, le leader européen de la Blockchain, et demain un des leaders mondiaux de cette technologie dont vous voyez qu’elle est pour moi prometteuse et pleine d’avenir.

Merci à tous et merci de votre présence ce matin. »