The Anita Posch Show : Entretien avec Sébastien Gouspillou

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Sébastien Gouspillou, cofondateur et président de Bigblock Data Center a participé ce mois-ci au podcast Bitcoin d’Anita Posch (épisode 103). Voilà une traduction de cette interview :

Bienvenue dans un nouvel épisode de l’émission Anita Posch, où j’ai le plaisir de vous tenir au courant des sujets liés au Bitcoin à l’échelle mondiale, ainsi que de l’impact local qu’il a sur des gens comme vous et moi. Mon invité aujourd’hui est Sébastien Gouspillou, co-fondateur et CEO du centre de BigBlock DataCenter, en France. Big Block exploite plusieurs fermes minières en Russie, en Asie centrale et en Afrique. La mission de Sébastien est de qualifier la France au concours mondial de preuve de travail. Nous approfondirons les activités et les effets écologiques du mining de Bitcoin. Comme toujours, vous pouvez trouver cette interview en version audio dans votre lecteur de podcast préféré et également en vidéo sur YouTube […].

– Sébastien, dans l’agroforesterie, que faisiez-vous ?

J’étais chez APC, un groupe qui crée et gère des plantations durables en Asie du Sud-Est, sur le modèle de la Triple Bottom Line (3 P, PEOPLE, PLANET AND PROFIT).

–  Il existe une négation de la crise climatique chez certains Bitcoiners. Quel est votre point de vue sur ce sujet ?

Le changement climatique est incontestable, on voit déjà clairement ses effets dans certains pays où nous travaillons. Au Tadjikistan, au Kazakhstan ou en Russie. Au Tadjikistan, tout l’écosystème est perturbé, de nombreuses tempêtes se succèdent, les saisonnalités se dérèglent vraiment. Au Kazakhstan, les températures augmentent deux fois plus vite que dans le reste du monde ; nous avons des températures très élevées, pendant des étés de plus en plus long. En Sibérie, nous avons eu plusieurs mois très chauds en 2020. Ces Bitcoiners qui nient le changement climatique ne doivent jamais voyager dans ces pays…

–  Comment avez-vous découvert Bitcoin? Quand en avez-vous entendu parler pour la première fois ?

Mon associé, Jen François, qui est aussi mon plus vieil ami, m’en a parlé en 2010 ou 2011, on ne sait plus, mais au tout début. Il a essayé en vain d’attirer mon attention sur le sujet pendant des années. J’ai vraiment commencé à réaliser ce qu’était le bitcoin en 2015. En 2016, nous avons installé nos premières machines.

–  Qu’est-ce qui vous a incité à travailler dans l’environnement Bitcoin ?

J’ai eu la chance de visiter des fermes en Asie fin 2015, ça m’a vraiment impressionné, déclic, c’était ça que je voulais faire…

– Quelle est la propriété ou les caractéristiques les plus intéressantes de Bitcoin à votre avis, qu’est-ce qui le distingue de tous les autres systèmes de paiement ou monétaires ?

C’est juste le meilleur système monétaire dont l’humanité puisse rêver. Nous sommes très proches d’une monnaie parfaite, nous touchons à l’idéal de nombreux monétaristes (Friedman, Hayeck, ou même Maurice Allais).

– Vous avez été invité à prendre la parole devant la commission d’information sur les crypto-monnaies de l’Assemblée nationale française le 22 mai 2018 pour parler de l’importance des crypto-monnaies et notamment de l’exploitation minière en France. Lors de cette audition vous êtes revenu sur les mythes ou hypothèses erronées qui entourent le minage. Discutons-en.

– Mythe # 1 : Une seule transaction Bitcoin produit X pollution par le CO2

Cette histoire de consommation par transaction n’est pas pertinente : tout le monde s’accorde à dire que la grande performance de « la blockchain » c’est l’immuabilité de ses données. C’est pour permettre cette immuabilité que Bitcoin consomme, et non pour effectuer 5, 10 ou 10000 transactions. Bitcoin n’est pas seulement un système de paiement, c’est tout un système monétaire.

Si je vous paie avec une pièce d’or, un Louis, par exemple, c’est une transaction de pair à pair, pas d’intermédiaire. La transaction elle-même ne dépense pas directement d’énergie, on dira qu’elle consomme zéro. Mais quelle est l’énergie dépensée pour extraire, transporter, stocker et sécuriser les stocks d’or des banques et des banques centrales ? Si on l’inclut dans le calcul, cette transaction avec un louis d’or, réputée dépenser zéro électricité, aura finalement coûté plus cher que la consommation d’électricité pour une famille américaine pendant 6 mois. Je peux faire le même raisonnement avec la carte bancaire Visa : si je vous paie en euro avec ma visa, ce n’est pas seulement l’énergie demandée par Visa qui doit être prise en compte pour calculer la dépense énergétique de cette transaction, mais le système monétaire euro dans son entier. C’est-à-dire les salaires pharaoniques des banquiers centraux et des patrons de banques privées, leurs coûts de fonctionnement, les coûts d’impression de la monnaie par le crédit, avec toute l’énergie dépensée pour rembourser cet emprunt et ses intérêts. Le coût environnemental de ce système monétaire n’est évidemment pas proportionnel au nombre de transactions Visa. C’est la même chose pour le bitcoin et je le prouve : lors des pics de transactions importants sur le réseau Bictoin, il n’y a pas plus de consommation que la veille ou le lendemain. Non, définitivement, parler de coût énergétique par transaction sur Bitcoin, ce n’est pas pertinent.

Mythe # 2 : La consommation d’énergie Bitcoin est une catastrophe écologique

Pour tous ceux qui ne voient pas l’intérêt du bitcoin, c’est totalement inutile et donc, ça consomme trop. D’accord. Cela n’en fait pas un désastre écologique. Qui a jamais dit que les éclairages de Noël étaient un désastre écologique ? Les appareils électroniques en veille consomment plus que bitcoin, c’est inutile, c’est du pur gaspillage, on le sait, on s’en offusque, mais qui qualifie ça de catastrophe écologique ? En cherchant un peu, je trouve des tonnes d’exemples d’activités inutiles, inutiles pour moi, j’entends, qui consomment autant ou plus que Bitcoin. Alors, non, désastre, je réfute, évidemment. Mais l’important n’est pas tant la quantité d’énergie consommée, mais quelle énergie consommée ? Aujourd’hui, les fermes Bitcoin sont là où il y a une capacité excédentaire pour produire de l’électricité : cette production peut être carbonée ou non. Mais demain, le bitcoin mining se fera principalement à partir de sources propres, c’est certain ; parce que les producteurs d’énergie renouvelable peuvent vendre leur surplus à bas prix, ce n’est qu’un surplus : les centrales au charbon peuvent bien sûr aussi avoir la capacité de produire plus, mais elles n’ont pas de surplus, contrairement aux énergies renouvelables. Si elles veulent nous vendre de l’énergie, elles doivent la produire et donc acheter du charbon. Les énergies renouvelables ont un avantage concurrentiel décisif, leurs exploitants ne paient pas leur matière première. Actuellement, le prix des hydrocarbures augmente, c’est structurel, on en extrait de moins en moins. Les seuls mineurs à les utiliser sur le long terme seront les pays producteurs.

– Mythe n ° 3 : Le Bitcoin est principalement extrait en Chine avec du charbon

C’est une légende : la Chine est le plus grand pays minier, oui ; le mix énergétique de la Chine est à 65% carboné, oui. Mais ce n’est pas sur les centrales au charbon que l’extraction se fait principalement, c’est sur les centrales hydroélectriques. Rien qu’au Sichuan, il existe plus de 500 barrages ; c’est aussi des dizaines de milliers de petites centrales au fil de l’eau. Leur surplus suffirait à alimenter 4 réseaux Bitcoin supplémentaires. En Russie, il y aurait assez de surplus hydroélectriques pour alimenter 6 réseaux Bitcoin. Donc, non, Bitcoin n’est pas noir de charbon, cette blague.

–  Mythe # 4 : Bitcoin n’est pas utile – Mais qu’en est-il du Pétrodollar, du coût de la défense militaire et de la guerre ?

Bitcoin n’est pas seulement utile, il est essentiel : c’est déjà un contre-pouvoir contre les États tentés par une surveillance totale des populations par la monnaie (CBDC) ; c’est un moyen d’échapper au joug des dictateurs (35% de la population mondiale vit sous un gouvernement autoritaire) et d’offrir des services financiers à 40% de la population mondiale que le système bancaire ignore. Bitcoin utile ? Imagine ce monde sans Bitcoin.

Le secteur minier participera activement à la transition énergétique…? comment ?

C’est simple ; aujourd’hui, tous les projets renouvelables sont subventionnés. Malgré ces efforts des Etats, la rentabilité de ces centrales n’est pas évidente, il faut souvent beaucoup de temps pour trouver un équilibre économique. Le Bitcoin mining offre une autre forme de subvention aux producteurs verts. Avec une mine, les productions durables réduisent le gaspillage d’énergie. Il faut comprendre que la création d’une centrale électrique durable a un coût environnemental. Mais une fois construite, la faire tourner à 100% plutôt qu’à 50% est neutre… donc en consommant les surplus, notre empreinte CO2 est nulle.

Aujourd’hui, le minage de bitcoins devient un régulateur de l’électricité d’un pays, d’une région, il sera bientôt un optimiseur de production-distribution mondiale. Imaginez le changement de paradigme pour les producteurs d’électricité verte, écoutez ce que le mineur a à leur dire: quelle que soit votre production, il y a désormais un client de dernier recours : à tout moment, qu’il fasse froid ou chaud, été comme hiver, je vous achète la partie de votre production que jusqu’ici, vous ne saviez valoriser. Pour motiver la transition énergétique, aider financièrement le secteur des énergies renouvelables est la voie que les gouvernements ont choisie ; Le minage de Bitcoin fait exactement la même chose…

– Qu’en est-il du Halving ? (la réduction de moitié des jetons minés)… Une théorie affirme que la puissance de haschage diminuera, lorsqu’il ne restera plus de nouveau bitcoin à exploiter et que l’exploitation minière sera financée uniquement par les frais de transaction, et donc la consommation d’électricité chutera.

Oui, Nic Carter défend cette idée, notamment : ça n’est pas clair pour moi. À mon avis, le HASHRATE continuera d’augmenter et ne se stabilisera que lorsque le prix du bitcoin sera li même stabilisé. Mais cela n’implique pas forcément une augmentation de la consommation électrique proportionnelle, l’amélioration énergétique des équipements entre bien sûr également en jeu.

– Où sont vos installations?

Russie, Asie centrale, Afrique.

Une installation en Afrique

Au Congo vous minez dans le Parc National des Virunga. Les Virunga jouent un rôle important dans la compensation des émissions de carbone. Le parc et les plantations de la province sont en deuxième position après l’Amazonie en termes de superficie forestière totale, selon le W.W.F. En 2014, une petite centrale hydroélectrique a été construite grâce à un investissement de l’Union européenne. Une autre centrale hydroélectrique – financée en grande partie par Howard Buffett, un fils de l’homme d’affaires milliardaire Warren Buffett – a commencé à fonctionner en 2015 à la limite sud des Virunga. Pouvez-vous parler de ce projet ?

La bataille du directeur du parc est titanesque : 5 millions de personnes vivent autour du parc ; l’énergie première là-bas, c’est le charbon de bois, le Makala, la demande est énorme. De fait, le braconnage dans le parc est systématique. La seule façon de freiner cette déforestation, préjudiciable à toute la planète, est d’offrir une alternative aux populations. Créer de la petite hydro pour pouvoir leur apporter de l’électricité est juste indispensable… Et évidement, l’électricité est un facteur indispensable au développement économique et social. Nous sommes là pour accompagner ce projet tant que nous lui serons utiles. En parallèle, nous avons des opérations en projet dans 5 pays africains. La seule façon d’apporter l’électricité aux personnes qui n’y ont pas accès est de créer de nouveaux petits réseaux décentralisés. Le développement de ces réseaux peut être aidé par le bitcoin mining, dans de nombreux cas, il y a du travail. La ferme est en activité depuis septembre 2020.

Il ne fait pas trop chaud au Congo pour miner ?

Sur l’équateur, la température, stable, atteint rarement 30 degrés.

Irkoutsk (Russie)

À Irkoutsk, nous travaillons avec Baikal Mining, ce n’est pas notre ferme. Nous sommes simplement hébergés…

Kazhakhstan

Nous sommes arrivés au Kazakhstan en 2018, l’exploitation minière y était encore confidentielle. C’était en même temps que Bitfury, qui a monté la première grosse ferme. Fait intéressant, le gouvernement préfère maintenant vendre la surcapacité aux mineurs plutôt qu’à l’État Russe ; en fait, d’immenses fermes ont été créées dans ce pays en 2019-2020, avec l’approbation des autorités. Nous y sommes toujours présents, mais nos développements sont ailleurs, maintenant.

– Pourquoi exploitez-vous uniquement du bitcoin ?

Pourquoi le mineur d’or ne mine pas le cuivre ? Nous croyons au bitcoin, nous exploitons le bitcoin, c’est tout.

– Puis-je en tant que personne privée participer au mining ? Ou seulement des entreprises ? Combien cela coûte-t-il ? Quels sont les avantages et les inconvénients du mining ?

L’investissement dans le mining n’est pas recommandé pour les purs débutants ; Je vois que beaucoup de gens, des connaisseurs des cryptos, ne comprennent pas le mécanisme économique, alors imaginez le niveau de compréhension d’un tout nouvel entrant… Au-delà de cet aspect de connaissance, n’importe qui peut devenir client, individu ou entreprise. Pour miner, vous devez vouloir participer à la sécurisation du réseau, devenir un bitcoiner actif. Si le seul objectif est de gagner de l’argent, achetez simplement du Bitcoin et gardez-les 5 ans (ne craquez pas si ça baisse !).

–  Comment vendez-vous votre production de bitcoins ?

Forcément par une plateforme, KRAKEN ou PAYMIUM. Que des mineurs vendent hors marché, en OTC (Over The Counter) est difficile à comprendre pour moi, c’est priver le marché de la vue de ces opérations et d’un soutien du prix (même insignifiant). Et je n’aime pas trop l’idée que des bitcoins neufs puissent avoir plus de valeur que d’autres.

–  Quel est l’impact d’un halving sur les mineurs ?

Nombre d’entre eux doivent fermer. Même chose que dans un marché baissier.

–  Qu’est-ce qui vient en premier : le prix suit-il le taux de hachage ou le taux de hachage suit-il le prix?

Le hashrate suit le prix ; le contraire n’est absolument pas vrai, c’est une erreur fondamentale de nombreux analystes, même au sein de l’écosystème. Le prix du Bitcoin est basé sur l’offre et la demande, c’est tout. Le mining ne fait en aucun cas le prix.

Quel est l’impact géopolitique de cette activité ?

Chaque pays disposant de larges ressources électriques non carbonées aura un avantage économique sur les autres pays.

Comment l’utilisation et vos explorations du bitcoin ont-elles changé votre comportement ou votre vision de la vie ?

Surtout cela m’a donné de l’espoir. Avant d’arriver à Bitcoin, j’ai beaucoup réfléchi au fonctionnement du monde, à cette économie en croissance rapide pendant des décennies qui n’a pas pu sortir les masses de la grande pauvreté, tout en enrichissant sans limite quelques privilégiés. J’en suis venu à la conclusion que le problème était d’ordre monétaire. Dès lors, Bitcoin pour moi est porteur de beaucoup d’espoirs, c’est la promesse d’un monde meilleur.

Qu’est-ce que la plupart des gens oublient lorsqu’ils parlent de Bitcoin ? Ou que manque-t-il dans le discours public à ce sujet ?

Les gens en Europe, en Occident en général, oublient que s’ils ont des banques, s’ils ont des gouvernements démocratiques et bienveillants, ce n’est pas le cas partout, et cela peut ne pas durer ici.

Si je devais acheter une annonce sur toutes les plateformes de médias sociaux et que vous pouviez décider du court message que nous diffuserons dans le monde, que dirait-il ? Que voulez-vous que les gens sachent ?

« Voulez-vous résister ? Donnez-vous les moyens de quitter le système, demandez à être payé en Bitcoin. »

Les gens pensent que le seul moyen d’avoir du bitcoin est d’acheter ou de miner. Mais gagnez-les, exigez du bitcoin quand vous vendez votre vélo, votre voiture, ou quoi que ce soit.

– Où les gens peuvent-ils vous trouver et suivre votre travail ?

Sur Twitter et sur le site web de BigBlock Datacenter

Source : https://bitcoinundco.com/en/sebastien-gouspillou