Sur le minage égoïste

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« Comme bien souvent, tout est parti d’une discussion sur le forum bitcointalk en décembre 2010. Celui-ci a donné lieu à plusieurs articles (citons Meni Rosenfeld en 2011 et Lear Bahack en 2013). L’un d’entre eux s’est imposé dans cette vaste littérature (443 citations à ce jour sur Google Scholar) : Majority is not Enough : Bitcoin Mining is vulnerable.

Ecrit par un professeur de l’université Cornell et un étudiant en thèse devenu professeur assistant au « Technion » en Israël, l’article développe un formalisme bien connu des informaticiens : la théorie des automates (ou « state machine » en anglais). Les auteurs modélisent la stratégie du minage par une chaîne de Markov cachée qui dépend essentiellement d’un paramètre noté γ représentant en quelque sorte la « connectivité » du mineur (voir plus loin).

Ils concluent que si le taux de hachage du mineur est supérieur à q_{\min} = \frac{1 - \gamma}{3 - 2 \gamma}alors la meilleure stratégie pour le mineur consiste à suivre une stratégie déviante de rétention des blocs. En particulier, si q > \frac{1}{3} alors quelle que soit la « connectivité » du mineur, celui-ci a toujours intérêt à suivre une autre stratégie que la stratégie « honnête » consistant à publier les blocs dès qu’ils les découvrent avec une preuve de travail correcte.

Il s’en est suivi des dizaines et dizaines d’articles censés améliorer ladite stratégie et/ou proposant des modifications possibles du protocole Bitcoin, pour le rendre moins vulnérable à de telles attaques. Le professeur de l’université Cornell évoqué plus haut n’a pas hésité à publier sur son blog : « Bitcoin is broken »…

La communauté scientifique semble avoir avalisé cette conclusion. Elle est même enseignée dans un « mooc » proposée par l’Université de Princeton et dans un livre à l’appui du cours. Précisons tout de même, pour nuancer, que cette communauté se réduisait jusqu’à peu à quelques chercheurs seulement se retrouvant généralement dans des conférences comme celle organisée annuellement par l’International Financial Cryptography Association ou Scaling Bitcoin. Même si la stratégie n’a apparemment jamais été mise en pratique (seules quelques personnes affirment l’avoir détectée), l’attaque est considérée comme théoriquement dévastatrice.

Néanmoins, la plupart des articles lus autour du sujet ne nous semblent pas convaincants. Ils se contentent de répéter que la stratégie est efficace car les honnêtes mineurs sont amenés à brûler de l’énergie pour rien ou bien que la proportion des blocs minés par le mineur égoïste dans la blockchain officielle est supérieure à ce qu’il serait s’il minait honnêtement comme les autres mineurs. Une étude quantitative supplémentaire nous a paru nécessaire qui prendrait en compte à la fois le coût de l’attaque et sa durée. »

Introduction d’une étude de Cyril Grunspan (Leonard de Vinci Pôle Universitaire, De Vinci Research Center) et de Ricardo Pérez-Marco (CNRS, IMJ-PRG).

Pour lire la suite : cyrilgrunspan.fr