Robert Ophèle : « l’essor des crypto-actifs est probablement irrépressible »

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Pour Robert Ophèle, président de l’Autorité des marchés financiers, qui s’exprimait la semaine dernière lors du Colloque du Conseil scientifique de l’AMF, l’essor des crypto-actifs est « probablement irrépressible » car il « traduit des questions légitimes ». Certes cet essor s’accompagne de dangers : « plateformes fantômes » mises en place par des escrocs, « projets sans réalité »« publicités mensongères », white papers « sans consistance », « montages toxiques type options binaires et CFD », « marchés secondaires opaques propices aux abus de marché »

Mais ces risques traités, les crypto-actifs « correspondent à une réponse efficace à des questionnements légitimes » et « interpellent la finance intermédiée traditionnelle » souvent trop lente, trop coûteuse et qui finance mal l’économie.

En conséquence l’AMF, pour qui « le statu quo n’est pas une option », préconise donc « une approche d’encadrement fondée sur deux piliers : un visa/label optionnel pour les ICO qui respecteraient certaines conditions » et « un statut spécifique pour les plateformes effectuant des transactions sur crypto-actifs«  afin d’organiser le marché secondaire.

 


Extrait du discours de Robert Ophèle :

« La réglementation des crypto-actifs est en retard sur le phénomène, elle se cherche et hésite encore entre une approche restrictive et une approche plus ouverte.

Dans une approche restrictive, on considère que la crypto-finance est fondamentalement une finance de contournement de la réglementation. Les jetons à vocation de simple instrument d’échange seraient fondamentalement des supports de blanchiment et de financement d’activités criminelles, les autres jetons seraient des moyens d’échapper au fardeau réglementaire qui accompagne les instruments financiers -Prospectus et MIFID dans l’Union européenne – […].

Dans une approche plus ouverte, on essaie d’encadrer le phénomène avec des exigences de transparence, tant dans les caractéristiques des émissions que dans les opérations sur le marché secondaire, qui tiennent compte des caractéristiques inhérentes à ces produits et à la technologie des registres distribués qui les nourrissent. C’est la démarche que préconise l’AMF, j’y reviendrai.

En tout état de cause, le statu quo n’est pas une option car l’essor des crypto-actifs recèle des dangers multiples, mais il pose des questions légitimes et il est probablement irrépressible.

L’essor des crypto-actifs s’accompagne de dangers multiples :

– comme beaucoup de produits vendus via internet, ils attirent les escrocs avec des plateformes fantômes, des projets sans réalité, des publicités mensongères ;

– on observe également des white papers (des documentations) sans consistance, des montages toxiques type options binaires et CFD, des marchés secondaires opaques propices aux abus de marché, des vols de crypto-assets dans des wallets (portefeuilles électroniques) mal protégés…

Mais cet essor traduit des questions légitimes et interpelle la finance intermédiée traditionnelle et sa réglementation :
– le coût de certaines opérations financières (transferts, appel public à l’épargne …) est trop élevé et les temps d’exécution sont trop lents ;
– les marchés traditionnels restent trop fragmentés et ne permettent pas à des entreprises non établies de toucher une cible mondiale ;
– ils ouvrent peu la possibilité de financer des projets à un stade très précoce de leur mise en œuvre ou de financer le développement d’un service ou d’un produit par ses potentiels futurs utilisateurs.

Leur essor est cependant probablement irrépressible. D’abord donc parce qu’ils correspondent à une réponse efficace à des questionnements légitimes. Ensuite, parce que la porosité avec la finance traditionnelle est forte et ce par deux canaux :
– D’abord par le canal de la technologie. La technologie DLT et la cryptologie avancée sont des outils dans lesquels investissent les intermédiaires financiers traditionnels et les infrastructures de marché pour améliorer leurs services et réduire les coûts.
– Ensuite par le canal de l’ingénierie financière. Le développement de marchés dérivés organisés, la cotation de certificats trackers de la valeur de certains crypto-actifs, l’intégration de ces instruments dans les supports traditionnels de la gestion collective banalisent ces produits et leur permet de s’intégrer dans la gestion traditionnelle.

On peut penser que cet essor peut désormais s’accélérer à tout moment, par exemple si un géant du WEB comme Amazon décidait de diffuser des tokens propriétaires comme instrument de règlement alternatif dans son réseau.

L’AMF préconise donc une approche d’encadrement fondée sur deux piliers : un visa/label optionnel pour les ICO qui respecteraient certaines conditions, un statut pour les plateformes respectant certaines normes. Bref un encadrement pour le marché primaire et un encadrement pour le marché secondaire.

J’ai eu l’occasion d’évoquer dans le détail ce premier pilier devant la Commission d’information de l’Assemblée nationale sur les monnaies virtuelles, je vous y renvoie. Mais je voudrais dire un mot du caractère optionnel que nous préconisons pour notre visa car cette optionalité peut susciter le débat. Après tout, le prospectus est obligatoire pour les levées de fonds au-delà d’un certain seuil.

Pour être crédible, une réglementation doit être respectée, or rendre obligatoire un visa de l’AMF pour une ICO est délicat à faire respecter. On peut l’imposer pour des initiateurs résidents en France, mais ils n’ont alors qu’à s’installer dans un pays limitrophe. On peut sans doute l’imposer pour les ICO commercialisés en France mais s’agissant de produits proposés en anglais par internet, l’accroche est mince. En l’attente d’une réglementation au minimum européenne, le visa optionnel, incitatif, me semble la meilleure approche.

Le second pilier, celui du marché secondaire est particulièrement sensible. On pourrait avoir tendance à développer un statut s’inspirant simplement de celui des établissements de monnaie électronique qui permettrait d’assurer les diligences de la lutte contre le blanchiment et de conservation des valeurs dans de bonnes conditions de sécurité […].

Le second pilier devrait donc bien consister en un marché secondaire organisé autour d’un statut spécifique pour les plateformes effectuant des transactions sur crypto-actifs mais celui-ci devrait intégrer des éléments communs avec le statut des établissements de monnaie électronique ou des établissements de paiement, et des éléments de ceux des entreprises d’investissement et de leurs plateformes de négociation de titres afin d’apporter une sécurité aux investisseurs sur les mécanismes de formation des prix.

Si on encadre l’activité, il faut naturellement en tirer ensuite les conséquences réglementaires pour les détenteurs d’actifs. Accepter ainsi que des ICO bénéficiant du visa soient éligibles à l’actif de certains fonds d’investissement alternatif ouverts aux professionnels et accepter, lorsqu’ils sont négociables sur des plateformes réglementées, qu’ils puissent figurer à l’actif de certains fonds d’investissement alternatifs également ouverts aux investisseurs non professionnels.

Ces évolutions sont nécessaires. L’exemple des pays qui ont été en avance sur la diffusion de ces technologies avec les excès qui l’ont accompagnée montre que ces évolutions réglementaires sont désormais urgentes pour permettre à l’écosystème de la blockchain de se développer dans un cercle vertueux de confiance. L’idéal serait, à l’évidence, qu’un tel cadre se mette en place au niveau international ou au moins européen. Mais on observe des degrés de maturité bien différents d’un pays à l’autre, même à l’intérieur de l’Union européenne. La France n’est d’ailleurs pas la seule à être dynamique dans ce domaine, la Suède en est ainsi un bon exemple de pays ouvert à ces innovations. Il est donc souhaitable que la France avance sans attendre pour encadrer cette “tokenisation” de la finance. »

 

Source : amf-france.org