Réactions au projet MiCA (réglementation européenne des marchés des cryptomonnaies)

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La proposition MiCA (Markets in crypto-assets) pour une réglementation européenne des marchés des cryptomonnaies, sera soumise au vote de la Commission des affaires économiques et monétaires du Parlement Européen lundi 14 mars 2022 dans l’après midi. Les 159 pages de la version finale du compromis établi par les différents groupes parlementaires sont disponibles ici. Certains amendements n’ont pas encore trouvé de compromis et doivent encore être discutés [1]. En cas d’adoption, le texte sera soumis ultérieurement à la Commission Européenne.

Le document de travail envoyé aux députés a suscité de nombreuses réactions dans la communauté. En voilà quelques-unes, traduites ici en français.

Pierre Person, député de Paris

En l’état, [Le règlement MiCa] condamne définitivement l’avenir des crypto-actifs en Europe. En interdisant le Bitcoin et l’Ether, en compliquant l’utilisation des NFT et de la DeFi, le Parlement européen hypothèque notre souveraineté monétaire et financière.

MiCa est une rupture significative avec le principe de neutralité technologique. Il interdit l’émission ou l’offre d’échange de crypto-actifs qui reposent sur des protocoles de preuve de travail. Cela conduit à une réglementation mortelle qui exclut le bitcoin et l’ether de l’Europe. Si chacun de nous doit défendre une société plus écologique et vertueuse, interdire le PoW est une vision simpliste et caricaturale. De plus, cela revient à interdire une activité – l’exploitation minière – qui n’existe pas sur le territoire européen. La question n’est pas la consommation d’énergie du Bitcoin, mais l’origine de cette énergie. Il serait plus pertinent d’interdire l’exploitation minière des énergies fossiles et de favoriser les acteurs qui se tournent vers les énergies renouvelables excédentaires pour améliorer la rentabilité de ces moyens de production.

MiCa fait également référence aux NFT. Seuls les NFT qui ne sont pas listés sur des plateformes sont considérés comme hors du périmètre de la règlementation des crypto-actifs. Une représentation NFT d’une épée dans un jeu vidéo sera donc régie par une autorité de marché de la même manière qu’un actif financier. L’Union européenne condamne le développement de nos entreprises en imposant une régulation déconnectée de leur activité. Le NFT est un standard technologique, c’est le sous-jacent qui doit faire l’objet d’une réglementation. Avons-nous réglementé TCP/IP ? Qu’il s’agisse de DeFi ou de NFT, ces technologies sont encore à un stade précoce de développement. Ce sont les futurs cas d’utilisation que nous devrons réglementer, pas la technologie. Le Parlement transpose l’ancienne réglementation financière mondiale dans une nouvelle technologie structurellement différente.

Les eurodéputés ont adopté une ligne dure sur les crypto-actifs, pensant qu’ils protègent les citoyens. En réalité, cette version est mortifiante pour notre compétitivité alors que, dans le même temps, le président Biden a signé une loi appelant les États-Unis à adopter pleinement ce nouvel écosystème. Une fois de plus, nous allons à l’encontre de l’Histoire. Encore une fois, on laisse des opportunités aux autres tout en se vantant d’avoir une bonne régulation. Si ce texte est adopté tel quel, nous en paierons le prix en termes de compétitivité et d’intérêt des citoyens européens.


L’ADAN (Association pour le Développement des Actifs Numériques)

L’ADAN réaffirme sa ferme opposition à toute interdiction des activités liées à la preuve de travail dans l’Union Européenne. Il y a quelques semaines, nous avions déjà mis en garde contre l’inefficacité et les effets délétères de cette proposition préjudiciable à la compétitivité du secteur de la cryptographie en Europe, contre-productive pour les objectifs environnementaux et nuisible à la souveraineté technologique. Atteindre les objectifs environnementaux fixés nécessite une approche holistique. Les initiatives existantes dans le secteur en faveur de la transition écologique doivent être encouragées. L’exploitation minière est une opportunité d’optimiser l’efficacité énergétique au sein de l’Union Européenne.


William O’Rorke, avocat (cabinet ORWL)

MiCA (Market in Crypto Assets) est un projet de régulation visant à établir un cadre européen spécifique pour les stablecoins et les « fournisseurs de services sur actifs virtuels » (VASP). Fondamentalement, c’est la prochaine grande étape pour l’industrie européenne (accès au marché de l’UE/niveau de conformité similaire à finance traditionnelle). Toujours en cours de négociation, la dernière version contient deux propositions contestées : (i) une interdiction de l’extraction et du commerce de jetons basés sur de preuve de travail (Bitcoin) et (ii) l’assimilation de la plupart des NFT à des instruments financiers/actifs numériques. Ces propositions nuisent à la compétitivité européenne et à une législation qui mérite mieux qu’une interdiction aveugle et inutile ou l’assimilation des NFT à des instruments financiers.

Même si c’est une terrible nouvelle pour le secteur, tant l’impact politique et le manque de vision deviennent difficiles à cacher, ce n’est pas la fin. Sous réserve qu’il soit adopté lundi, MiCA sera probablement modifié lors du trilogue (un cycle de négociation à venir [avec la Commission Européenne]). Chez ORWL, nous vérifions dans un premier temps si ces textes législatifs sont conformes aux principes généraux et aux droits fondamentaux des règles de l’Union européenne. Au cas où…


Adli Takkal Bataille, président du Cercle du Coin

Merci à ceux qui ont publié contre le règlement MiCa et ses mesures, criantes de bêtises et de manque d’humilité. Si vous pensiez que nous n’avions pas sombré dans la bureaucratie du « capitalisme de connivence », en voici un parfait exemple.

Quelques réflexions :

Pourquoi les deux principales mesures de ce texte (Ban des cryptos POW | NFT considérés comme des actifs financiers) sont des non-sens absolus au regard de la sacro-sainte « protection des citoyens » et du package idéologique écologique complètement anti-démocratique et irrationnel ?

1. Pas de concertation : Tout d’abord, il est impressionnant de voir à quel point cette mesure se passe totalement du consentement des citoyens. Nos gouvernants choisissent comme bon leur semble les innovations acceptables ou non. Nous étions habitués avec les banques centrales. Il est regrettable de voir que de manière arbitraire 2% de la population (directe) va connaître un impact négatif sur leurs actifs financiers. Cela sans compter les entreprises, les capitaux, les salariés, et tous les divers acteurs de ce nouveau monde. Cette mesure vient littéralement enlever une liberté qui ne nuit pour l’instant à personne si ce n’est les organes de pouvoir qui eux peuvent se sentir menacés par la possible perte de contrôle engendrée par ces nouvelles technologies. Ce règlement n’est qu’une première étape.

2. Sur la consommation : Le sempiternel et mille fois débunké argument de la consommation énergétique est ici à son firmament, utilisé pour justifier une interdiction. Doit-on rappeler que le mining consomme moins que les lumières de Noël chaque année ? Les a-t-on interdites ? Doit-on rappeler que le mining est à plus de 50% alimenté par des énergies renouvelable ? Je serais curieux de voir ce qu’engendrerait un bannissement de toutes les industries en dessous de ce ratio. Doit-on rappeler que le minage est une chance pour financer le renouvelable ? Ces quelques arguments, sur la myriade de ceux disponibles, sont hélas complètement mis de côté au profit d’une bataille idéologique creuse et dénuée de toute raison. Le Bitcoin consomme de l’énergie ! Oui ! Comme toute activités humaines, et son service rendu vaut cette conso ! Mais pour le pouvoir, il est dur de vouloir accorder à ses citoyens un service légitime et universel qui ne serait plus dans leur main : celui de librement stocker et échanger de la valeur. Ne vous trompez pas, tous ces arguments ne sont que fumée, le but est de tuer Bitcoin.

3. Ignorance technique : Ce texte est d’autant plus sidérant qu’il vient prendre une décision relative à un mécanisme technique d’informatique distribuée. C’est totalement délirant. Depuis quand nos députés sont-ils à même de juger de la légitimité technique d’une solution ? Car, beaucoup l’oublient, mais c’est le Proof-of-Work qui permet d’avoir le réseau de paiement et de conservation d’actifs le plus fiable du monde, sans interruption et sans corruption. Ce choix de design est avant tout technique, permettant de lutter contre Sybil. Il est d’autant plus marrant de voir ces députés à la moraline sociale autoriser un système plus ploutocratique en fait que le POW, c’est à dire le POS qui permet aux plus riches de continuer de s’enrichir, contrairement au POW qui est librement accessible et compétitif. Oui, on peut considérer que le POW n’est pas la panacée, mais c’est pour l’instant le meilleur des mondes possibles pour les réseaux à consensus décentralisé. L’avenir nous réserve peut-être d’autres solutions plus satisfaisantes, mais le présent… Le présent c’est celui du marché des cryptomonnaies tel qu’il est, et son leader incontesté est Bitcoin, et son second est Ethereum, lui aussi en POW pour l’instant. Un bannissement de ces deux actifs signifie littéralement la mort de l’industrie en UE.

4. Augmentation des risques : Pour reprendre le but de ce règlement, il est censé aller dans le sens des citoyens, investisseurs et épargnant. Bitcoin et Ethereum sont les cryptomonnaies ayant la plus grande capitalisation et liquidité, donc les plus sures. Interdire l’accès à ces cryptos via les plateformes financières, c’est avant tout mettre à risque l’investisseur car celui-ci n’aura accès qu’à des actifs plus risqués au sein des cryptomonnaies. Un non-sens financier total. De plus les utilisateurs déterminés vont aller sur des plateformes plus risquées puisque non autorisées ou supervisées. C’est bien connu, interdire une technologie c’est la laisser aux brigands, aux naïfs et aux plus déterminés. Encore un bénéfice/risque négatif pour le citoyen.

5. Obsession réglementaire : Ne devions-nous pas devenir les « champions de la blockchain » ? Ne devions-nous pas mettre en place des cadres permettant de favoriser l’innovation ? Où sont donc toutes ses bonnes intentions, l’enfer comme toujours en est pavé. Notre folie réglementaire va potentiellement détruire une des industrie de demain. Et tout cela par incompréhension. Nous établissions le terme de meta-monnaie dans « Bitcoin, La monnaie acéphale » car c’est la monnaie d’après, mais c’est aussi celle qui est au dessus de la monnaie. Eh oui, Bitcoin est multi-usage, il peut servir à des preuves, il peut servir en tant que moyen de paiement (Salvador), il peut servir d’actif financier. De même pour Ethereum qui peut aussi épouser différents usages, ainsi que pour les NFT qui revêtent différentes natures. Alors que fallait-il faire ? Ne surtout pas calquer des cadres limitants mais considérer la pluralités des usages possibles et les intégrer à la loi. Lorsque que vous utilisez un couteau pour votre repas, ce n’est plus une arme blanche. L’usage est la clef. Le texte ne comprend pas du tout cette nuance, il est monolithique et met à risque de nombreux citoyens et acteurs. Les protocoles de consensus décentralisé et leur jetons sont protéiformes et doivent être considérés comme tels. Ne pas le faire est un crime contre l’innovation.

6. Destruction de l’innovation : Encore une fois l’Europe fait le mauvais choix. Celui de la règlementation incohérente, irraisonnable et axiologique. Rabelais nous rappelait que Science sans conscience n’est que ruine de l’âme, il en va de même pour la réglementation. Ici nous sommes face à un texte écrit par des borgnes qui va encore une fois laisser l’innovation à l’extérieur alors que nous avons de nombreuses personnalités brillantes. Nous allons encore une fois être le territoire du contre plutôt que d’être le territoire de l’avec. L’UE préfère détruire plutôt qu’accompagner pour ensuite suivre dans un ultime bêlement, une fois qu’il est trop tard, le train raté volontairement. Tuons donc notre compétitivité, c’est une excellente idée pour que l’Europe demeure le vassal des autres puissants.

7. Avec ou sans… : Et le pire c’est que cela ne va qu’être négatif pour les entreprises du secteur qui souhaiterait s’implanter en Europe. Parce que vous ne pourrez jamais interdire l’usage du langage. Détenir des bitcoins, c’est connaître une suite de mots. Les citoyens, bitcoineurs et cryptophiles pourront toujours les utiliser. Cette technologie n’est pas stoppable à moins de couper internet ou de contrôler l’esprit des citoyens. Interdire Bitcoin est comme interdire l’usage de mots dans le cadre privée, c’est totalement impossible. Choisir d’aller contre est donc un choix totalement irrationnel car bénéfique ni pour l’économie de l’UE, ni pour les libertés de ses citoyens. En revanche c’est bénéfique pour tous les pays qui vont se faire un grand plaisir d’accueillir les réfugiés financiers de l’UE.

8. Conséquences : Les conséquences sont lourdes. Nous allons perdre toute attractivité et compétitivité dans le monde des cryptomonnaies. Nous allons nous couper d’une des plus grandes révolutions technologique de ce siècle. Nous allons sombrer encore plus économiquement. Ce texte peut nuire à tous les acteurs de l’écosystème européen et à tous les citoyens qui souhaitent librement accéder à des jetons numériques. Ce texte va encore faire fuir des capitaux, des cerveaux, des brevets, et réduire un peu plus notre souveraineté numérique. L’UE est en train de s’exclure d’un jeu dans lequel elle a déjà du retard à rattraper. Elle est train de nier la réalité et s’enferme à cause d’une morale aveugle et folle. Tous les acteurs ont donné du temps et de l’énergie depuis des années, nous sommes aujourd’hui des parias.


Pascal Gautier, CEO de Ledger

Les individus et les organisations devraient être libres de choisir la technologie la plus appropriée à leurs besoins. Les décideurs politiques ne doivent ni imposer ni discriminer en faveur d’une technologie particulière. Ceci est profondément préoccupant et aurait de graves conséquences pour l’Europe.

Voilà pourquoi :

  • L’économie innovante et croissante des actifs numériques en Europe disparaîtra. Sans Bitcoin et Ethereum, les plateformes d’échanges de cryptomonnaies et d’autres fournisseurs de services ne peuvent pas fonctionner de manière rentable. Ils seront contraints de fermer, de se déplacer ou de bloquer l’accès aux Européens. Les protocoles DeFi dépendants d’Ethereum ne pourront pas être utilisés légalement les Européens. Soyons clairs, l’activité ne s’arrêtera pas, elle se déplacera simplement vers les Etats-Unis ou l’Asie, où elle est actuellement la bienvenue […]. La perte de l’Europe sera le gain des États-Unis, et à travers MiCA, l’Europe cédera définitivement le leadership et le contrôle du Web3 aux États-Unis, tout comme elle l’a fait avec le Web2, qui reste dominé par une poignée de géants technologiques américains. Il est crucial que l’Europe reste dans la course à l’innovation et saisisse la chance de former les champions et les leaders du monde du Web3 à venir, créant ainsi des milliers d’emplois. 
  • La protection des consommateurs sera lésée par une interdiction du bitcoin en Europe. En raison de la nature des actifs numériques, même si les actifs numériques interdits resteront disponibles en Europe, mais pas sur des plateformes européennes sûres et réglementées. Cela présenterait de graves problèmes de protection des consommateurs, car les consommateurs seraient obligés d’accéder à des plateformes étrangères qui pourraient être difficiles à comprendre et qui auraient moins (ou pas) de surveillance réglementaire […].

C’est pourquoi nous vous demandons de contacter votre député européen (MPE) et de lui faire savoir que vous vous opposez à une interdiction du Bitcoin en Europe. 

Voilà comment procéder :
Recherchez votre député européen ici.
– Envoyez lui un e-mail, un message sur twitter ou appelez-le et dites-lui : 

« Une interdiction pure et simple des actifs à preuve de travail paralysera le marché de l’UE, encouragera le contournement de la loi, aggravera la protection des consommateurs et poussera l’industrie en dehors de l’UE – le tout sans aucun avantage pour l’environnement ! Veuillez demander à la commission ECON de s’opposer aux amendements ALT A et ALT G. »

« An outright ban of proof-of-work assets will cripple the EU market, encourage circumvention of law, worsen consumer protection, and push the industry outside the EU – all with no benefit to the environment! Please ask the ECON Committee to oppose Amendments ALT A and ALT G. »


Le projet de règlement : MiCA Compromises v9 (9 March 2022)

L’appel de Ledger : https://www.ledger.com/blog-stand-for-financial-freedom-our-position-on-micas-proof-of-work-ban

Le texte de Pierre Person : https://twitter.com/Pierr_Person/status/1502356083175735307

Le texte d’Adli Takkal Bataille : https://twitter.com/AdliTB/status/1503093083960922114

Le rapport de l’ADAN : https://adan.eu/position/interdiction-ue-pow-bitcoin-reponse-inappropriee

Les éclaircissements du cabinet ORWL : https://twitter.com/williamororke/status/1502666961947402249


[1] Il y a ainsi deux versions de l’article 2a sur la preuve de travail. La première prévoit implicitement l’interdiction du PoW : « Les crypto-actifs sont soumis à des normes minimales de durabilité environnementale en ce qui concerne le mécanisme de consensus utilisé pour valider les transactions, avant qu’elles ne soient émises, offertes ou admises à commerce dans l’Union. Les crypto-actifs qui sont émis, offerts ou admis à la négociation dans l’Union avant le […] doivent mettre en place et suivre un plan de déploiement progressif pour assurer la conformité à ces exigences, conformément aux conditions et critères visés au paragraphe 3. » La seconde ne prévoit pas de discussion indépendante sur la preuve de travail dans le cadre de MiCA et propose d’inclure les « actifs cryptographiques », comme tous les autres produits financiers, dans le règlement « Taxonomie » de l’Union Européenne, qui fixe les critères de définition d’une activité durable.