Quelle est la nature juridique de Bitcoin ?

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Mise à jour du 30 octobre : La Cour de Justice de L’union Européenne considère depuis le 22 octobre 2015 que Bitcoin est un moyen de paiement et qu’à ce titre il peut bénéficier des exonérations de TVA prévues pour les opérations financières.

 « La devise virtuelle ‘bitcoin’ étant un moyen de paiement contractuel elle ne saurait, d’une part, être regardée ni comme un compte courant ni comme un dépôt de fonds, un paiement ou un virement. D’autre part, à la différence des créances, des chèques et des autres effets de commerce (…), elle constitue un moyen de règlement direct entre les opérateurs qui l’acceptent. » – Cour de Justice de L’union Européenne, arrêt du 22 octobre 2015.

Cet arrêt rend caduque les textes nationaux plus anciens et répond en partie aux questions posées dans les annexes du rapport d’information de la commission des finances du Sénat français sur « les enjeux liés au développement du Bitcoin […] » qui proposaient une synthèse de ce que le droit français dit des « monnaies virtuelles ». Avant l’arrêt de la cour de Justice de l’UE, le bitcoin pouvait être considéré à la fois comme « une unité de mesure monétaire », « un bien meuble incorporel valorisable », « une mesure financière […] pouvant servir de support à des contrats financiers » et comme « un indice financier ».

Extrait des annexes du rapport d’information de la commission des finances :

S’il semble admis qu’il ne s’agit pas d’une monnaie au sens du code monétaire et financier, s’agit-il : d’un bien (comme de l’or) ? d’un service ? Dans ce cas, s’agit-il d’un service régulé, comme un service de paiement ou de monnaie électronique, ou d’un service d’investissement ?

Le concept de monnaie virtuelle est généralement appréhendé sous trois angles possibles :
– monnaie privée ;
– actif physique (comme l’or) ;
– actif financier.

De très nombreuses monnaies virtuelles sont en circulation. De natures variées, les monnaies virtuelles servent à la fois de moyen de paiement et de système de paiement qui, dans certains cas, peut être également interconnecté aux réseaux financiers réguliers. Il est donc difficile de classer les monnaies virtuelles dans une même catégorie alors que leurs systèmes sont très variés.

À ce jour, la nature juridique des monnaies virtuelles n’est, en France, pas tranchée. Au plan international, certains pays se sont prononcés, de façon assez diverse sur ce point, suivant les objectifs poursuivis (lutte contre l’évasion fiscale, lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme…). a) La qualification des monnaies virtuelles peut être considérée au regard de différentes branches du droit qui peuvent entrer en conflit.

Ainsi, il est permis de considérer le bitcoin comme une unité de mesure monétaire, sous forme électronique, qui ne permet de réaliser des paiements qu’au sein d’une communauté d’acteurs qui reconnaissent la valeur de cette unité monétaire.

Au regard du droit civil, le bitcoin peut être considéré comme un bien meuble incorporel valorisable, utilisé comme outil spéculatif, plus précisément d’un bien meuble par détermination de la loi car il ne peut rentrer dans la catégorie des biens immeubles définie aux articles 517 à 526 du Code civil.

Dans le même temps, au regard de certaines dispositions législatives, les monnaies virtuelles ne paraissent pas pouvoir être assimilées à une marchandise ou à une matière première. La notion de « marchandise » qui figure à l’article D. 211-1 A du code monétaire et financier (CMF) recouvre celle de « matière première », utilisée dans la directive MIF, qui est d’application maximale et que cet article transpose, ainsi que dans le règlement européen n° 1287/2006 [La doctrine n’opère pas de distinction et associe matières premières et marchandises, en relevant qu’il s’agit de biens corporels]. Les matières premières au sens de la directive MIF s’entendent de « tout bien fongible pouvant être livré, en ce compris les métaux et leurs minerais et alliages, les produits agricoles et les fournitures énergétiques, telles que l’électricité » [Article 2 du règlement n° 1287/2006 du 10 août 2006], et, aux termes du règlement européen susmentionné, « ne devrait pas englober les services ou autres éléments qui ne sont pas des biens, tels que les monnaies ou les droits immobiliers, ou qui sont totalement incorporels ». Dès lors, la nature incorporelle des monnaies virtuelles semble exclure celles-ci du champ des marchandises [On soulignera, en tout état de cause, que les dérivés de matières premières ne sont pas des instruments financiers de plein droit mais sous conditions de négociation sur un marché réglementé ou un SMN, compensation ou appels de couverture].

La Direction générale des douanes et droits indirects relève qu’il serait intéressant de considérer certaines de ces monnaies virtuelles (décentralisées, convertibles dans les deux sens et spéculatives) comme un bien similaire à l’or, ce qui permettrait à la douane d’être compétente en termes de contrôle des transferts de capitaux ou de les classer sous une même appellation d’« instrument de paiement », ce qui les ferait alors toutes entrer dans le champ de contrôle de la douane. Toutefois, cette seconde option risquerait d’entraîner une confusion avec les moyens de paiement encadrés par le code monétaire et financier.

L’émission des monnaies virtuelles ne répond aujourd’hui à aucune qualification au regard de la réglementation bancaire et financière en vigueur :
– il ne s’agit pas d’instruments de paiement au sens du c) de l’article L. 133-4 du code monétaire et financier ;
– de même, la qualification de monnaie électronique ne saurait être retenue, les monnaies virtuelles ne représentant pas une créance sur l’émetteur et n’étant pas émises contre la remise de fonds, au sens de l’article L.315-1 du code monétaire et financier ;
– ces monnaies virtuelles ne rentrent pas, enfin, dans la catégorie des instruments financiers dont la liste est définie à l’article L. 211-1 du code monétaire et financier (à cet égard, il est à noter que l’Allemagne a quant à elle rangé les monnaies virtuelles parmi les instruments financiers ; il s’agit de la seule juridiction à l’avoir fait à notre connaissance).

Ainsi, les monnaies virtuelles pourraient être apparentées, faute de réglementation actuellement plus précise :
– à une « mesure financière » – au sens de l’article D.211-1 A 1 du code monétaire et financier [1] – pouvant servir de support à des contrats financiers ;
– à un bien assimilable à un « bien divers » au sens de l’article L.550-1 du code monétaire et financier ;
– à des « indices » au sens de l’article L. 465-2-1 du code monétaire et financier, ce qui conférerait à l’AMF une compétence en termes de sanction vis-à-vis d’éventuelles manipulations de marché [Constitue un indice toute donnée diffusée calculée à partir de la valeur ou du prix, constaté ou estimé, d’un ou plusieurs sous-jacents, d’un ou plusieurs taux d’intérêt constatés ou estimés, ou de toute autre valeur ou mesure, et par référence à laquelle est déterminé le montant payable au titre d’un instrument financier ou la valeur d’un instrument financier] ;
– en termes comptables, et à défaut de qualification juridique précise, les monnaies virtuelles pourraient être considérées comme un « actif physique », et non comme un actif financier, une monnaie ou de la trésorerie [Le fisc américain, l’IRS, considère le bitcoin comme un actif et non comme une devise. A ce titre, les détenteurs de bitcoins sont traités comme des investisseurs boursiers]. b) L’ACPR estime que l’activité d’intermédiation dans l’achat-vente des monnaies virtuelles contre une monnaie ayant cours légal est celle d’un intermédiaire financier qui réalise des encaissements de fonds pour le compte de tiers [L’activité consiste à encaisser sur un compte ouvert au nom de l’intermédiaire, les fonds correspondant à l’achat de bitcoins. Ce paiement est réalisé soit par virement, soit par carte de paiement. Ensuite, les fonds sont conservés en principe jusqu’à la livraison de bitcoins à l’acheteur. Enfin, les fonds sont remis au vendeur par virement (déduction faite des commissions perçues)].

L’ACPR analyse cette activité comme la fourniture de services de paiement tels que définis à l’article L. 314-1 II du code monétaire et financier : « 3° c) exécution d’opérations de virement associées à un compte de paiement » ; « 5° acquisition d’ordres de paiement » [L’ACPR a eu à traiter des bitcoins dans le cadre d’une demande d’agrément de la société MACARAJA ainsi que dans le cadre d’un contrôle sur place en cours auprès d’un organisme financier]. Par conséquent, les entités qui exerceront cette activité à titre habituel doivent disposer du statut de prestataire de services de paiement (PSP), et être ainsi agréées et soumises au régime prudentiel des PSP et assujetties aux dispositions relatives à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, sous le contrôle de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution. Cette solution a été retenue par le Tribunal de commerce de Créteil, dans un jugement du 6 décembre 2011, confirmé en appel [CA Paris du 26 septembre 2013], opposant la société MACARAJA au CIC [Les tribunaux français ont eu indirectement à connaître des bitcoins dans le cadre d’une affaire de droit au compte opposant une société MACARAJA, qui aurait assuré l’achat/vente de bitcoins, et l’établissement de crédit CIC, dépositaire des fonds reçus par la société MACARAJA et ne se sont prononcés jusqu’à présent que dans le cadre d’un référé. L’affaire est encore en cours d’instruction pour les volets blanchiment et exercice illégal]. Toutefois, cette analyse n’est pas partagée par l’ensemble des homologues européens de l’ACPR.

Une interprétation de la Commission européenne pourrait dès lors s’avérer utile. Certains Etats membres semblent réticents à utiliser le cadre européen relatif aux services et aux moyens de paiements en estimant que cela légitime l’usage des monnaies virtuelles qui ne sont pas réglementées en tant que telles.


 

[1] Article L.211-1 du code monétaire et financier : 
« I. – Les instruments financiers sont les titres financiers et les contrats financiers.
II. – Les titres financiers sont :
1. Les titres de capital émis par les sociétés par actions ;
2. Les titres de créance, à l’exclusion des effets de commerce et des bons de caisse ;
3. Les parts ou actions d’organismes de placement collectif.
III. – Les contrats financiers, également dénommés  » instruments financiers à terme « , sont les contrats à terme qui figurent sur une liste fixée par décret. » Article D.211- A du code monétaire et financier : « I.- Les contrats financiers mentionnés au III de l’article L. 211-1 sont :
1. Les contrats d’option, contrats à terme fermes, contrats d’échange, accords de taux futurs et tous autres contrats à terme relatifs à des instruments financiers, des devises, des taux d’intérêt, des rendements, des indices financiers ou des mesures financières qui peuvent être réglés par une livraison physique ou en espèces ;
2. Les contrats d’option, contrats à terme fermes, contrats d’échange, accords de taux futurs et tous autres contrats à terme relatifs à des marchandises qui doivent être réglés en espèces ou peuvent être réglés en espèces à la demande d’une des parties autrement qu’en cas de défaillance ou d’autre incident conduisant à la résiliation ;
3. Les contrats d’option, contrats à terme fermes, contrats d’échange et tous autres contrats à terme relatif à des marchandises qui peuvent être réglés par livraison physique, à condition qu’ils soient négociés sur un marché réglementé ou un système multilatéral de négociation ;
4. Les contrats d’options, contrats à terme fermes, contrats d’échange et tous autres contrats à terme relatifs à des marchandises qui peuvent être réglés par livraison physique, non mentionnés par ailleurs au 3, et non destinés à des fins commerciales, qui présentent les caractéristiques d’autres instruments financiers à terme, en tenant compte de ce que, notamment, ils sont compensés et réglés par l’intermédiaire d’une chambre de compensation reconnue ou font l’objet d’appels de couvertures périodiques ;
5. Les contrats à terme servant au transfert du risque de crédit ;
6. Les contrats financiers avec paiement d’un différentiel ;
7. Les contrats d’options, contrats à terme fermes, contrats d’échanges, accords de taux futurs et tous autres contrats à terme relatifs à des variables climatiques, à des tarifs de fret, à des autorisations d’émissions ou à des taux d’inflation ou d’autres statistiques économiques officielles qui doivent être réglés en espèces ou peuvent être réglés en espèces à la demande d’une des parties autrement qu’en cas de défaillance ou d’autre incident amenant la résiliation ;
8. Tout autre contrat à terme concernant des actifs, des droits, des obligations, des indices et des mesures,non mentionné par ailleurs aux 1 à 7 ci-dessus, qui présente les caractéristiques d’autres instruments financiers à terme, en tenant compte de ce que, notamment, il est négocié sur un marché réglementé ou un système multilatéral de négociation, est compensé et réglé par l’intermédiaire d’une chambre de compensation reconnue ou fait l’objet d’appels de couvertures périodiques. »