Pour payer, on sort la monnaie, on la met sur le comptoir. Pour parler d’argent, on fait parler tous ses sens. Puisqu’il n’a pas d’odeur, on évoque sa couleur (un jaunet, un greenback) son bruit (l’argent sonnant) son poids (la brique) ou la bobine qui l’orne (un Pascal, un Georges).
Pour écrire, on utilise simplement un symbole. C’est un privilège que n’ont pas les autres choses dénombrables. Ces symboles sont présents sur nos claviers, naturellement. Celui de la plus vieille monnaie encore en circulation, le £, a déjà plus de 200 ans. Vieux de moins d’une décennie, le bitcoin a déjà son symbole, le ฿, sur lequel je vais revenir. Mais il reste pauvre en représentations, parce qu’il échappe à nos sens. Dans une civilisation de l’image, c’est vraiment handicapant…
Alors on peut dessiner autre chose, comme un billet de banque si on veut. Notez que la Fed, quand elle imprime un dollar, fait un dessin qui n’a que peu de rapport avec le fait qu’elle crée un dollar. Ce sont des symboles, franchement ésotériques en plus ! L’habitude fait qu’en voyant le billet vert nous pensons au dollar et qu’en pensant au dollar nous le voyons comme un billet vert. L’épicier en fait autant et la loi rend cette convention obligatoire. Le billet est devenu la chose, son image peut bien la symboliser.
On pourrait donc imprimer des billets représentant un bitcoin, et même avec un peu d’astuce, y incorporer adresse publique (pour vérifier que la bébête est bien dans la coquille) et clé privée scellée pour s’en servir sur le réseau et non manuellement. Ce serait évidemment une régression par rapport à la technologie, mais c’est pensable. Ce billet servirait d’illustration, en cas de besoin.
Le créateur mystérieux n’a cependant pas baptisé bitnote mais bitcoin sa trouvaille. Donc on représente souvent le bitcoin comme une pièce de métal, et assez explicitement comme une pièce d’or. La métaphore métallique a été filée dès l’origine, puisqu’on appelle « minage » l’opération par laquelle les bitcoins sont mis en circulation.
On pourrait faire tenir, sinon le bitcoin lui-même, du moins son adresse et sa clé sur ou dans une pièce. Certains l’ont fait (à gauche) . Ce sont des objets de collection, sans grand intérêt pratique. On peut aussi, plus simplement, le dessiner comme une pièce (à droite). Cela représente le bitcoin. Assez mal, selon moi.
Son créateur, qui fuyait la poésie et ne s’embarrassait pas de métaphysique, a simplement suggéré pour Bitcoin un caractère typographique : son initiale, barrée deux fois. Ce caractère à engendré le logo de loin le plus populaire.
Mais quand on écrit, les choses se compliquent : le B barré deux fois n’existe guère dans les polices typographiques : on se sert donc assez souvent du signe ฿ qui est le symbole du bath thaïlandais. La forme Ƀ a eu ses défenseurs acharnés ; elle ne se répand guère cependant. Eh oui, pour le symbolique comme pour le reste, le bitcoin est une organisation décentralisée, sans chef, sans organe central… On retrouve le même flottement pour l’abréviation : généralement on se sert de BTC, mais XBT se voit aussi, et semble mieux harmonisé au système international d’abréviation des devises.
Revenons au B barré deux fois. D’où viennent les deux barres ? du dollar.
Mais que sont ces deux barres ? Ce ne sont pas des barres, mais deux colonnes, symboles de l’ancienne monarchie espagnole. Elles ornaient la fameuse pièce de 8 réals, le « dollar espagnol » qui circulait jadis dans tout le Nouveau Monde.
A noter d’ailleurs que len’est pas non plus l’initiale de ladite monnaie : c’est le bandeau enroulé autour de ces colonnes ! Avec une devise latine, plus ultra « Plus loin » que quoi ? plus loin que les colonnes d’Hercule (Gibraltar). C’est la devise de Charles Quint, celui sur qui, souvenez-vous, le soleil ne se couchait jamais. Le symbole monétaire le plus connu du monde ne représente pas une richesse, une valeur, mais un programme politique.
Tiens donc, enfin un indice : si l’on cherche un symbole, il ne faut pas chercher trop rationnellement. Il ne faut peut-être pas viser les fonctions du bitcoin, mais songer à l’ambition, aux rêves qui animent sa communauté !
A suivre…