Da Vinci Coin

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Marc-André Fournier, spécialiste de la renaissance italienne, auteur de guides numériques hypermédia et amateur de Bitcoin, nous révèle en exclusivité, dans une petite nouvelle aussi savante que fantaisiste, la véritable identité de Satoshi Nakamoto…

Le Da Vinci Coin

Le Da Vinci Coin, est  un jeu de mot un peu facile, j’en conviens, mais ce petit texte propose un exercice amusant : projeter Léonard au 21e siècle. C’est parfaitement inutile, quoique, s’il vous apprend deux ou trois trucs… c’est déjà ça.

MAF

 


 

Sous le soleil de Toscane ou rue des Lombards à Paris, rien de nouveau. Au quatrocento comme au venticento les problèmes pécuniaires alimentent toutes les conversations ; les chances d’un bâtard de devenir l’égal des plus grands restent toujours aussi maigres et l’exception confirme toujours la règle. La mère de Leonardo en est persuadée.

Circassienne, elle fuit les côtes de la mer Noire pour échouer à la Cantina di Toia de Bacchereto. Sa beauté bouleverserait encore une fois Voltaire. La jeune serveuse, proie facile pour un étudiant florentin en droit, se laisse séduire, passe une longue nuit dans son lit et se tait quand le test de grossesse vire au positif.

Sa décision est prise, elle fera un enfant toute seule et il suffira à son bonheur.

Dès les petites classes le bambin se distingue par son coup de crayon, par une curiosité difficilement satisfaite : pourquoi ci, pourquoi ça, comment on ?

Seulement voilà, l’atelier d’un Verrocchio, d’un Ghirlandaio , pour se hisser aux premiers barreaux de l’échelle sociale, n’existent plus. L’artisanat a vécu.

Finito, les ciboires, châsses et reliquaires ; arrivederci les fresques des autels d’églises et des chapelles. Qui vit encore de la peinture, de la sculpture ? Même l’architecture ne nourrit que parcimonieusement son homme.

Non importa, Caterina rêve d’un autre dessein pour son rejeton. Leïla Hagondokoff, mannequin vedette de chez Chanel, icône de la Circassie, est son modèle ; et Florence pense supporter sans sourciller la comparaison avec Paris. Elle s’enorgueillit d’un Gucci, d’un Ferragamo et peut ouvrir les portes Ticinese ou de Saint-Cloud, si d’aventure un jeune homme se sent pousser des ailes. La via Tornabuoni vitrine de l’élégance toscane, n’est-elle pas une avenue Montaigne bis ?

En l’arpentant peu de touristes sont victimes du syndrome de Stendhal, dommage pour eux. Ils ignorent presque tous la dispute entre Léonard et Michel-Ange à propos de Dante devant l’église Santa Trinita ; ils ignorent presque tous le nombre de cercles de son Enfer.

Enfant, chaque nouveau chant lui inspirait une terreur accrue, et la douce voix maternelle n’y faisait rien. Adulte, il sourit quand un amant, un ami lui promettent, le sixième voir le septième cercle, ceux des sodomites et des épicuriens. Sa réponse est invariable : Charon se chargerait de lui indiquer le chemin. Tout compte fait c’est plus simple.

Être capable de rivaliser avec le O de Giotto n’a plus aucune valeur.

Si sa mère rêve mode, elle garde aussi le souvenir de la puissance de l’érudition, du beau parler et du savoir. Il signore Marconi, ça ne s’invente pas, mentor, ne l’a jamais contrarié sur ce point. En inoculant à l’orphelin de père le goût des mathématiques, en lui offrant son premier PC, made in Ivrea, il le conduit à suivre plusieurs voies parallèles, à ne pas choisir entre plusieurs cursus, mais à les embrasser tous.

Les uns l’amusent et comblent l’amour de sa vie, les autres le passionnent ; et quand l’élève dépasse le maître ce dernier en est satisfait.

Diplômes en poches, Leonardo quitte sa chambre avec vue sur Fiesole via del Agnolo pour un appart dans l’Oltrarno. Et chaque matin il embauche pour dessiner des accessoires de modes. Sacs, ceintures, porte-monnaies et porte-clefs, vestes et pantalons de cuir, autant de motifs pour s’assurer un excellent salaire, mais quel ennui.

En fait la cité du lys est trop cuir, trop bourgeoise, trop lisse. Quoi qu’on en dise, elle a perdu de sa superbe. Pise et Sienne se sont définitivement affranchies de son emprise, si ses murs d’enceinte ne sont plus, elle reste quand même confinée.

L’aiguille de la boussole indique le nord, pourquoi ne pas la suivre ?

Son portfolio, CV des artistes, a séduit. Milan l’attend ; lui et son crayon, lui et ses prises de vues, lui et sa créativité.

Quel œil ! aurait dit Cézanne.

Quelques mois ont suffit. Ses photos de mode sont devenues des icônes des galeries lombardes. Le Vatican n’a pas vraiment prisé sa mise en scène de la cène ; mais la courbe des ventes de la marque de chandails s’est affolée, et le Japon raffole de lui. On attend la grande expo dans un musée d’art moderne de Berlin, Paris ou Tokyo…. Dubaï s’est retirée.

Eros Socraticus. Le thème fait déjà scandale, la bourgeoisie ambrosienne y voit l’écho de ses frasques avec les éphèbes racolés dans le quartier ultra-branché des navigli. Son char de la Gay Pride au Carro della morte des bords de l’Arno.

En sortant de la Scala, on discourt sur ce talent multiple, on se remémore, aux pieds de la statue ignoble du Vinci, les propos de Vasari reprochant une telle dispersion, une telle débauche d’énergie et de lucre.

L’époque segmente, spécialise, culpabilise pour mieux presser et vous jeter ; malattia del “martalismo” (che viene da Marta) diagnostique François. Comprenne qui pourra, qui aura pris le temps de se pencher sur les Écritures..… canoniques, patristiques ou gnostiques. Temps perdu ? Pas sûr !

Si la rhétorique est passée de mode, on brille toujours de pouvoir expliquer l’iconographie de la Vierge aux rochers du Louvre en contant l’histoire des deux enfants Jésus dans l’art, en soulignant : une généalogie du Christ divergente selon Luc ou Matthieu, une dualité sacerdotale et royale incompatible, sans oublier de s’en remettre à saint Ambroise pour conclure. On est à Milan.

Coqueluche des salons vous savez discourir sur la nature du temps à la suite de saint Augustin, et alors on vous pardonnera ce parti pris pour la manufacture horlogère née sur le Ponte alle Grazie, fierté des plongeurs italiens.

Leonardo est allé à bonne école, seulement il aime par-dessus tout, à l’image du maître de la Joconde, les problèmes de probabilité sur une partie de balla, posés par Pacioli, la cryptographie, celle d’Alberti ou de Turing, les mathématiques appliquées en somme. Aussi quand en 2005 Nick Szabo propose à la petite communauté des crytographes les principes du bitgold, le toscan voit là une occasion unique de nourrir sa névrose. L’informaticien Américain a visé juste, tous les férus d’algorithmes et de codage peuvent avec une étincelle de génie mettre le feu. Mettre en oeuvre une modalité de paiement de gré à gré, en lieu et place d’un modèle, dont Brunetto Latini s’était fait l’apologue dans Li livres dou trésor, administré par un « tiers confiance », état ou banque, voilà une idée lumineuse.

Si la comptabilité en partie double dite à la vénitienne, est l’outil par excellence de l’homme d’affaires de la Renaissance, des Médicis et autres Giocondo, du banquier de la Sérénissime ou d’un Fugger faiseur d’empereur, ils le doivent au Pisan Fibonnaci. Pour leur part, les héritiers sis à New York ou Londres sont grandement redevables à Paccioli et sa Summa, illustrée par Léonard. En mettant à la portée de tous cette invention diabolique, ils peuvent chaque jours complexifier le modèle de base, et par un jeu savant de prolongations et ramifications formater les masses et surtout les éloigner de la maîtrise des outils.

Le DVCoin n’est pas un train bourré de dynamite prêt à faire péter les instances du pouvoir, Leonardo n’est point V. Il entrevoit juste la possibilité de secouer le joug, d’enfoncer un coin pour soulever cette chape de plomb chaque jour plus pesante. Entre utopie et dystopie il existe peut-être une petite place ?

On peut y réfléchir, on peut surtout agir contre le poids des banques ; déjà Léonard préférait confier son argent aux Franciscains de l’hôpital de Santa Maria Nuova, établissement créé par le père de Béatrice, celle de Dante.

Comme tout un chacun, les commissions frais et autres prélèvements plus ou moins opaques l’agacent, mais cela pèse peu face à la beauté de l’algorithme, à l’élégance du code, éléments imbriqués, longuement muris et développés pour transformer l’idée de Szabo en une réalité disponible pour tous ou presque, accessible à tous ou presque.

Ces quelques raisons suffisaient à faire germer en son esprit les prémices du Da Vinci Coin. Sans le savoir toutes ses actions, ses choix, sa vie l’avaient prédisposé.

Enfin, Le premier qui oserait, s’imposerait.

Jour après jour, le code ne génère ni une nouvelle devise, matière première ou monnaie mais un espace d’échange sécurisé et libéré. PGP avait montré la voie.

Chaque ligne en s’incrémentant d’une tabulation puis en diminuant d’autant à la surface de l’écran dessinait la réhabilitation de Turing, injustement banni de la communauté scientifique pour homosexualité et pousser au suicide.

Si Léonard avait enfourché la cause des artistes et notamment des peintres via le Paragone, Leonardo resterait dans l’ombre voire même épaissirait le mystère derrière un sfumato patronymique à consonance japonaise.

Sublimer sa libido, abandonner la chair pour se vouer, tel Faust, à l’élaboration d’un cryptomonnaie seyant à tout le monde des geeks et des libertaires, des sans voix et des allumés, des névrosés.

Le Da Vinci Coin, c’est l’alun de la papauté, des Médicis. Volterra a payé le prix du sang pour le savoir. Ne pas commettre la même erreur. Sa maîtrise assure la puissance, attise la convoitise. Certes, il faut miner, piocher, à l’image de ces pauvres bougres réduits en esclavage, mais seul, l’aventure est vouée à l’échec. Le réseau est l’allié par excellence. Le détourner à son seul profit est une erreur. La cohorte des early adopters, technologues, informaticiens et bidouilleurs en tout genre, est une alliée dont la puissance est insoupçonnée.

Da Vinci Coin is a new design for a fully peer-to-peer electronic cash system.
A C++ implementation is under development for release
as an open source project.

Depuis la proposition de Tim berner Lee pour HTTP, personne n’avait écrit de lignes aussi prometteuses. Les commentaires ne laissaient aucun doute, il fallait juste garder une petite longueur, d’avance, miner le premier bloc, stabiliser les transactions et laisser aux autres : la spéculation, le commerce des biens de consommation, le blanchiment, la thésaurisation.

Pecunia non olet ? Une chose est sûre, les vertus supposées de l’urine du peuple se trouve être aussi un puissant remède à la cupidité d’un Vespasien. Pour sa part, Leonardo entrevoit dans la cryptomonnaie un puissant remède à sa névrose ; si l’algorithme tient la route, patience, codage, débogage et longueur de temps feront le reste. Elle lui permettra, sans être milliardaire, de s’offrir ces feuilles de papyrus, de parchemin ou de vélum réservés aux seuls nantis de la planète. Voir Bill Gates s’offrir le codex Leicester a été un déchirement. Plus jamais ça !

Codex ou volumen, incunables ou premières éditions, palimpseste ou non, chaque ouvrage portant en lui l’histoire de l’humanité attire irrésistiblement une frange cultivée et fortunée de la population. Obsession du titre manquant, de l’étagère vide d’un exemplaire unique,

Pourquoi n’est-il pas :

Lucius Clapurnius Piso Caesoninus ? beau-père de Jules César, entouré de mille manuscrits dans sa villa de Pompei ;

L’unique descendant des Médicis ? pour revendiquer une part de la bibliothèque Laurentienne,

L’ultime rejeton oublié du cardinal Bessarion ? pour rêver de s’approprier quelques ouvrages choisis de la Marcienne.

Si les premiers blocs ne valent rien, même pas le prix de l’électricité, de l’énergie, nécessaire à leur création ; effet papillon oblige, la première transaction avec Hal Finney, icône de la communauté cryptographique californienne, suffit à faire vibrer les câbles trans-atlantique, trans-pacifique, à faire chauffer, fondre les processeurs. Le On – indéfini par nature mais pourtant bien distinct suivant le camp choisi – s’est mis à miner d’autres blocs à construire cette putain de monnaie qui dérange ; impressionnant chamboule-tout dont On ne connaît pas encore la force. On lui a attribué une valeur, sans repères l’homme de la rue est paumé.

Et quand, par un simple échange peer to peer Leonardo acquis au nez et à la barbe de tout le microcosme bibliophile l’édition originale du Morgante, personne n’a vraiment bronché, ne s’est réellement posé de question. Une transaction fantôme pour l’oeuvre de Pulci, fustigée par Savonarole, du haut de sa chaire du Duomo, mis à l’Index par la papauté, et annotée par le Vinci, un ouvrage mineur pourtant.

Suivirent le De prospective pingendi de Piero della Francesca, une édition vulgarisée Du Cield’Aristote, le Trattato di architettura civile e militare par Francesco di Giorgio Martini, le De pictura d’Alberti, la Divina Commedia édité par Manuce in ottavo en 1502, le souffreux Hypnerotomachia Poliphili et le sublime Oratio de hominis dignitate de Pic et d’autres encore.

On – les agnostiques, les autres – eut un temps envie de voir à la manœuvre ce Niçois, gagnant du Loto paraît-il, dont les démêlées avec le fisc, avec la police ébranlent le marché. Sa chaîne de Ponzi, élaborée pour acquérir les plus beaux livres, n’était pas encore grippée. MAF la joua profil bas. Ne voulant pas endosser ces acquisitions « opaques », il avait mollement démentit, mais l’inventaire des saisies avait corroboré son dire et posé une nouvelle question.

Quid du Sade ?

Quid de ce volumen de 12,10 mètres rédigé dans les geôles parisiennes et dont il était si fier ; son précieux ?

Malin et aux abois, le courtier comprit vite comment tirer partie de cette proposition venant de nulle part. On lui « rachetait » son Sade contre des milliers de DVC.

Pour 7 milliards d’humains cette transaction était un mystère, un marché de dupes, un non sens. Pour lui et son acquéreur c’était l’avenir.

En multipliant les porte-monnaies à l’infini, personne ne pourrait se saisir du montant de cette vente passant toutes les secondes d’un continent à l’autre, sans interruptions, pendant toutes les années où il croupirait en prison. Pour Leonardo, écrire ce petit programme avait été un jeu d’enfants. Pour l’interrompre il suffisait d’une clé dont MAF était le seul détenteur. S’il mourrait, les bits continueraient leur course folle, sauf si.

Mais on n’en n’était pas là. Sans scrupules, ni doutes sur l’honnêteté des acteurs du marché, le Toscan pouvait maintenant s’offrir tous les manuscrits en mains privées du marché, et sa névrose de trouver enfin un peu de répit…

Marc-André Fournier