« Le bitcoin est-il théoriquement apte à être une monnaie d’usage courant ? Par mes lectures sur internet des différentes personnes qui agissent autour du bitcoin, la plupart souhaitent plus que tout son avènement au titre de monnaie grand public. Les arguments les plus souvent utilisés sont les suivants :
– Plus besoin de banque, on passe directement par les mineurs et les coûts sont bien plus faibles ;
– Pas d’inflation car pas de planche à billet, l’émission est contrôlée ;
– Substitution plus sûre que la CB et pas de trafic avec les coupures en euros.
Cependant, valider ces trois choses sans creuser davantage conduit à une interprétation utopiste, regardons les points un à un.
Pour le premier, il faut savoir que la banque ne fait pas que des transactions bancaires : elle construit divers produits financiers. Ces produits financiers sont ensuite achetés par des entreprises non financières qui en ont besoin pour mieux gérer leur risque, parfois pour faire des investissements : aujourd’hui ils sont indispensables. Il serait compliqué d’entrer dans les détails, mais grossièrement, ceux-ci permettent de se protéger de variations de cours d’un actif ou d’un ensemble d’actifs, d’une autre monnaie ou des taux d’intérêts, par exemple, pour différentes périodes.
Ensuite, il y a une sécurité qui est offerte avec la banque, mais qui n’est pas offerte avec le bitcoin car il n’y a pas d’intermédiaire qui offre une couche de vérification. On ne vide pas un compte en banque comme ça. Parlons de la variable clé, le coût : c’est une énigme.
Le graphique ici donne le coût réel actuel par transaction sur la dernière année: https://blockchain.info/fr/charts/cost-per-transaction
Le coût de transaction est la somme actuelle des frais de transaction et des bitcoins produits sur une période divisés par le nombre de transactions sur cette période. Actuellement, pour une transaction, il est de $10.
Nous le retrouvons ici : https://blockchain.info/fr/stats où on peut en déduire le montant moyen d’une transaction en bitcoin, environ 0,5 bitcoin soit $150 au cours actuel. Le montant actuel des frais de transaction est de 6-7% du montant de la transaction. Et cela, sans intermédiaire que peuvent être les opérateurs de change, ceux qui permettent de faciliter le paiement et qui alourdissent la facture. Car une entreprise ne pourrait se passer d’un intermédiaire, pour des raisons de sécurité, ou alors avoir des coûts internes élevés pour la sécurité de ces comptes. Certains diront, et à raison qu’on n’a pas besoin de cette puissance de calcul : il y a une immense bulle sur le minage qui est en difficulté avec la chute du cours, mais ce sont les coûts d’aujourd’hui.
À cela s’ajoute le temps de confirmation d’une transaction, https://blockchain.info/en/charts/avg-confirmation-time, qui ne permettrait pas de frauder sur internet mais offrirait une porte dans la vie réelle, et on voit mal quelqu’un attendre au comptoir jusqu’à 10 minutes pour être sûr de la validité. Pour la CB, cela prend quelques secondes.
Finalement, le bitcoin n’apparaît pas répondre aux problèmes qu’il est censé résoudre au premier point.
Le second point est aujourd’hui un mythe. L’un des défauts du passé était que les Etats pouvaient se financer par leur banque centrale en faisant tourner la planche à billet, c’était une technique facile et néfaste à l’économie, une inflation élevée n’est jamais souhaitée. La BCE, indépendante et représentant des dizaines d’états, devait résoudre ce problème. Son objectif premier est le maintien d’une inflation entre 0 et 2%, de préférence proche de 2%. En effet, une déflation implique un cercle vicieux de baisse des salaires et de report de consommation et donc de baisse des prix et ainsi de suite, le Japon peine à sortir d’une déflation de longue date. Mais, il est écrit dans les statuts de la BCE qu’elle ne peut, en aucun cas, financer un Etat. Ainsi, les inflations sont modérées et ne risquent plus de s’emballer par surprise. Si l’inflation devait être forte, la BCE ferait la politique nécessaire pour l’en empêcher.
Du côté du bitcoin, il est prévu qu’on ne puisse nullement contrôler la masse monétaire. Cela ne garantit pas l’inexistence de l’inflation, une partie est liée à la rareté et à la hausse des coûts : qui augmente les charges augmente les prix. Et de plus, un certain contrôle est souhaitable car il permet de mettre en œuvre des politiques adaptées pour contrer les effets indésirables : déflation par exemple.
Cette fois-ci, c’est la décentralisation même qui est un problème. Elle protège d’un Etat fou l’épargnant, mais cette crainte est déjà inscrite au passé pour l’euro et elle prive l’économie d’un levier permettant de l’aider, c’est à dire de tous nous aider, en cas de difficultés.
Le troisième point n’est malheureusement qu’une illusion. En effet, le bitcoin apparaît plus sûr que la CB car le nombre de personnes qui travaillent sur le piratage des CB est immense, un peu comme les virus sur Windows et Linux, ce dernier n’est pas très intéressant pour ceux qui font ces virus car il n’est utilisé que par une très faible masse. Le système CB est sûr, le problème, ce sont les erreurs humaines ou des systèmes connexes, exactement comme le bitcoin : c’est une erreur qui provoque le vol. Mais, en ce qui concerne le bitcoin, les dégâts sont illimités car il n’y a pas d’intermédiaire qui peut arrêter la fuite. Les scandales qu’on a eus récemment sur les plateformes d’échange le montre, la moindre faille est fatale. Et le risque d’une fraude interne est grand car il est plus discret de faire tout sortir avec le bitcoin qu’avec un compte bancaire classique.
Pour ce qui est des billets, c’est un faux problème. L’euro est viable actuellement d’un point de vue 100% numérique. Si les billets sont incriminés pour les activités illicites, alors le meilleur remplacement et le plus proche qui y répond est l’euro tout numérique. Nul besoin du bitcoin pour régler ce souci.
Le défaut majeur que j’ai pu observer sur les détenteurs du bitcoin, c’est le refus total d’arguments qui vont à l’encontre du bitcoin. Le raisonnement est inversé, on part de la conclusion « Le bitcoin est parfait et s’imposera » et on cherche, à chaque évènement, un lien qui permet de les connecter. Ceci n’est pas un raisonnement et les vraies questions ne sont jamais posées.
Pour qu’un système s’impose, il doit être une révolution. En cela, il doit apporter quelque chose de novateur qui rend tout le reste obsolète.
On cite souvent l’électricité ou l’internet. Mais ils se sont imposés à une vitesse relativement rapide : personne ne doutait du caractère révolutionnaire. Le bitcoin apporte une innovation : la blockchain, mais en dehors d’un club de détenteur, personne n’y voit une révolution pour les systèmes d’échange. Est-ce que cela peut alors en être vraiment une ? »
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