Lettre ouverte au président de l’université de Stanford et à la communauté Bitcoin

26
154

Ci-dessous la version française d’une lettre ouverte au président de l’université de Stanford et à la communauté Bitcoin. La version anglaise (officielle) est publiée sur Medium.


Le 4 et 5 novembre prochain aura lieu une grande conférence sur le bitcoin donnée à l’Université de Stanford. Il s’agit d’un cycle de conférences organisées chaque année par le comité « Scaling Bitcoin » qui s’est imposé comme une référence parmi toutes les conférences semblables. Fréquenté par une grande partie de l’écosystème bitcoin, c’est l’occasion d’assister aux dernières propositions pour développer encore davantage les possibilités du bitcoin.

Comme son nom l’indique, la conférence est centrée habituellement sur les problèmes d’échelle du bitcoin, sujet sur lequel la communauté n’en finit pas de se diviser et de débattre. Mais les thèmes de la conférence dépassent les seuls problèmes d’échelle. L’accent est mis également sur les problèmes de sécurité, d’anonymat et de fongibilité. »

La conférence « scaling bitcoin » est itinérante et a pour principe de changer de continent à chaque fois. Nous étions nombreux à nous réjouir qu’elle ait lieu cette année à l’Université de Stanford après Milan l’an dernier. C’est une juste récompense vu toutes les activités de cette université en termes d’enseignement du fonctionnement des cryptomonnaies et de recherche sur ce thème.

La conférence marque ainsi un rapprochement symbolique entre le monde universitaire qui a longtemps dédaigné le bitcoin et le monde des cypherpunks au sein duquel il a fait la première fois son apparition.

On était donc en droit d’espérer le meilleur du monde académique au service du bitcoin. Or, c’est malheureusement tout le contraire qui est en train de se produire.

Nous avions soumis deux propositions d’exposé. La première était centrée sur l’un de nos articles sorti en février dernier. Cet article revoit et corrige le calcul approximatif de Satoshi concernant la probabilité de double-dépense et, pour la première fois, nous démontrions que cette probabilité tend bien exponentiellement vers zéro en fonction du nombre de confirmations, un résultat souvent annoncé mais jamais démontré. Notre deuxième proposition consistait en une étude de la stabilité des blockchains ; nous souhaitions disserter sur la convergence entre les intérêts privés et les intérêts publics en mettant en lumière des cas possibles d’instabilité jamais véritablement étudiés.

Ces deux propositions ont été rejetées. Nous étions bien sûr surpris et déçus car nous pensions sincèrement que nos travaux qui étudient le cœur du fonctionnement d’une blockchain en apportant des résultats mathématiques concrets avaient de bonnes chances d’être acceptées. Cela n’a pas été le cas. Soit.

Passée la déception d’avoir été rejetés, nous avons par curiosité jeté un coup d’oeil au programme finalement retenu. A côté d’une liste des exposés et des orateurs, se trouve la liste des personnes formant le comité de sélection.

Pour une question d’éthique, on était en droit d’attendre d’une grande institution comme Stanford que ces deux listes soient totalement disjointes. On ne peut être juge et partie. On ne peut pas examiner la qualité de nombreux travaux puis au final décréter que le meilleur, c’est le sien.

Les membres de ce comité de sélection n’ont manifestement pas la même opinion. Parmi les orateurs qui font partie des heureux élus, on compte ainsi trois membres de ce comité. Ils vont donc chacun faire un exposé après avoir examiné et décidé de rejeter les propositions des autres…

Il est possible que le comité se soit divisé les articles reçus et qu’aucun de ces auteurs n’ait voté pour lui-même mais seulement pour un de ses collègues, ce qui rend le scandale moins gros ou moins visible. Mais il demeure. Comment peut-on décemment accepter d’être membre d’une telle commission tout en étant force de propositions pour devenir orateur ?

A ces trois « anomalies », on doit en ajouter une quatrième plus sournoise. Le co-auteur du dernier article de celui désigné comme étant le  « Program Chair » de la conférence a été également invité à donner un exposé !

Par ailleurs, mais à ce point, c’est presque anecdotique : le « chair » de la conférence se présente comme un simple « PHD student » sur sa page personnelle, ce qui est surprenant car il s’agit en général d’une personne expérimentée qui se porte garant du bon déroulement des événements et du choix du comité.

Manifestement des règles élémentaires d’éthique scientifique mondialement acceptées n’ont pas ici été respectées. Est-ce que le but de la conférence est vraiment de donner au bitcoin ses lettres de noblesse ou au contraire de faire des petites carrières universitaires sur le dos du bitcoin ?

Au final, on se pose forcément la question : Satoshi Nakamoto aurait-il vraiment été invité par un tel comité de sélection ?

Cyril Grunspan (ESILV, France)

Ricardo Perez-Marco (CNRS, U. Paris VII, France)