Lettre ouverte au Canard Enchainé

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« Fidèle lecteur du Canard Enchaîné, j’ai lu, avec un grand intérêt, dans l’édition du mardi 13 août 2013, un article évoquant la technologie Bitcoin signé d’Hervé Martin. J’y ai relevé un grand nombre d’erreurs et d’imprécisions, que je souhaiterais infirmer et corriger.

Le Bitcoin est une technologie complexe qu’il est difficile d’expliquer par le jeu d’une succession de remarques sur votre article. Mais j’espère que les éléments que j’apporte susciteront votre intérêt et votre curiosité. Il existe de nombreuses ressources sur Internet visant à vulgariser cette technologie : En français, Wikipedia semble être un bon point de départ. En anglais, un schéma [traduction française] et une vidéo [traduction française].

Dans l’article, il est écrit : « [Les autorités financières et judiciaires] le soupçonnent, tout comme d’autres monnaies du même type moins célèbres, d’être, au mieux, un instrument de spéculation destiné à « ratisser les gogos », selon un banquier français, au pire, un excellent vecteur de circulation d’argent sale. »

Certaines autorités financières et judiciaires reconnaissent le Bitcoin bien au-delà de ces soupçons de malveillance :

– Comme monnaie (cf. décision de justice US sur l’escroc Trendon Shavers)

– Comme actif financier (cf. en Allemagne, communiqué de l’autorité fédérale de supervision des finances: BaFin)

Et, de nombreux acteurs de cette technologie ont engagé un dialogue avec leurs autorités financières :

Subpoenas du super-intendant des Finances de New-York ;

Validation BaFin de Bitcoin.de comme agent pour la banque en ligne Fidor ;

Dépôts de licences Money Services Business aux États-Unis.

Plus généralement, le Bitcoin ne se résume pas à une monnaie. Il s’agit en fait d’un protocole distribué de paiement. Son intégrité et sa cohérence sont garanties par des propriétés dérivées de technologies informatiques telles que les algorithmes distribués et la cryptographie.

Dans l’article, il est écrit : « Chaque internaute rejoignant le réseau (après avoir installé sur son ordinateur le logiciel ad hoc) reçoit en retour quelques fractions du bitcoin. » « Ces picaillons lui sont attribués par la mystérieuse Bitcoin Foundation qui le baptise alors du nom de « mineur ». »

La Fondation Bitcoin n’émet pas ou ne distribue pas les Bitcoins. Son but est de promouvoir, standardiser et protéger la technologie Bitcoin. L’identité des principaux acteurs de la fondation est publique

Tous les internautes rejoignant ou utilisant le Bitcoin ne sont pas contraints de « miner ». Et il existe d’autres moyens pour se procurer des bitcoins (achat sur une plateforme d’échange, vente d’objets ou offre de services). Des distributeurs automatiques sont actuellement en phase de pré-commercialisation, par exemple : https://lamassu.is. Une vidéo d’une démonstration pour la chaîne bloomberg est disponible à cette adresse.

Les mineurs jouent un rôle important dans la sécurité du protocole. À intervalles réguliers (statistiquement), un mineur découvre un nombre particulier qui sert à archiver un ensemble de transactions bitcoins, il construit un bloc. Tous ces blocs sont reliés entre eux et figés, la modification de l’un d’entre eux (par exemple pour dépenser des bitcoins que l’on ne possède pas) est statistiquement impossible. C’est donc la puissance de calcul des mineurs qui assure l’intégrité de la chaîne de blocs de transactions et leur validité. En raison des coûts d’électricité et de matériel (et pour encourager la survie du réseau), les mineurs sont récompensés par une transaction spéciale qui leur revient. Cette transaction spéciale contient une récompense qui a deux origines :

a. création de monnaie, ce montant diminue avec le temps pour assurer la limite de 21 millions d’unités.

b. un infime pourcentage sur les transactions traitées par le mineur.

Dans l’article, il est écrit : « le modèle mathématique limitant -on ne sait pourquoi – le nombre des bitcoins à 21 millions, la dotation des nouveaux arrivants a diminué au fur-et-à-mesure »

Le nombre de Bitcoins est effectivement limité à 21 millions, cela a pour but de modéliser une matière première « classique » (or, argent, hélium, etc.) Il faut noter qu’un Bitcoin est divisible en unités infinitésimales de 0,00000001 Bitcoin.

Le code source du logiciel Bitcoin est ouvert, et chacun peut y contribuer et vérifier l’application effective de ces règles.

Dans l’article, il est écrit : « Comme dans une pyramide de Ponzi, commente, goguenard, ce même banquier, ce sont les premiers arrivants qui empochent les dépôts des suivants, et les derniers se retrouveront le bec dans l’eau. »

Il n’y a pas de « dépôts » d’argent qui disparaissent à destination des premiers arrivants. Chaque détenteur de bitcoins est libre de dépenser et d’échanger ses bitcoins à tout instant. Tout comme un actif financier, le cours est soumis aux risques de spéculation.

Dans un schéma de Ponzi, les premiers arrivants persuadent les investisseurs qu’ils gagneront de l’argent. Aucune garantie d’une telle sorte n’est faite par la technologie et l’industrie du Bitcoin. Il n’y a pas d’entité centrale ou de sommet de la pyramide ; à un instant T, tous les individus possédant des Bitcoins sont égaux entre eux. Aussi, un schéma de Ponzi est, selon la théorie des jeux, un jeu à somme nulle. Dans un tel schéma, seuls les premiers arrivants peuvent dégager du profit aux dépens des derniers arrivants. Au contraire, à mesure que l’économie et le marché du Bitcoin se développe, tous ses utilisateurs bénéficient d’un réseau d’échange (autrement dit d’une monnaie et d’un marché) décentralisé, qui ne connaît aucune frontière, fonctionne 24h/24 et 7j/7, réduit les risques de fraudes (par exemple, les fraudes types liées à l’usage de la carte bleue), etc.

Dans l’article, il est écrit : « Tous ces bitcoins sont dépensés dans les – très rares – sites d’e-commerce qui les acceptent (moyennant 1% de commission) »

Certes, le nombre de commerces est encore réduit, mais en constante augmentation [voir également ici] , et il ne se limite pas à Internet. Le quartier de Kreuzberg à Berlin compte par exemple une douzaine de boutiques qui acceptent le Bitcoin.

Les cartes prépayées Gyft peuvent être achetées en bitcoins, et utilisées dans un très grand nombre d’enseignes.

Autre exemple, à Londres, une chaîne de pubs accepte les bitcoins en paiement.

De surcroît, le montant de la commission annoncé (1%) est totalement fantaisiste. Chaque commerçant est libre de fixer la commission qu’il souhaite, et certains appliquent même une réduction pour les paiements en Bitcoin. Au passage, connaissez-vous le montant de la commission appliqué par Visa et MasterCard ? Avez-vous déjà essayé de payer un café ou une limonade par carte bleue dans un bar ?

Dans l’article, il est écrit : « Le payeur achète anonymement des bitcoins sur son compte crypté (…) et donne l’identifiant de l’opération au bénéficiaire, qui, via une plateforme d’échanges, revend tout aussi anonymement ces bitcoins en dollars ou en euros. »

Les plateformes d’échange sont de plus en plus rigoureuses quant à l’identification de leurs clients (vérification d’identité, vérification de compte banquaire, etc.) De nombreuses demandes de licences ont été déposées auprès des autorités compétentes.

Je vous invite à créer un compte sur une de ces plateformes (par exemple l’Allemand bitcoin.de) pour vous rendre compte des mesures de vérification en vigueur.

Dans l’article, il est écrit : « La Thaïlande vient d’interdire le commerce des bitcoins. »

Aucune loi n’a encore été promulguée. C’est une plateforme d’échange thaïlandaise qui a évoqué cette interdiction après une rencontre avec les autorités, mais cette position n’a pas été officialisée […] »

par Razibuzouzou de coinorama.net