Les banques et la blockchain

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Patrice Bernard, consultant pour la société Conix et auteur de C’est pas mon idée, blog consacré à l’innovation dans les services financiers, est intervenu lors de la « BLøCKCHA1N Conference » organisée par Finyear Lab le 3 novembre dernier. Devant un public pour partie constitué de banquiers, il a évoqué les relations parfois difficiles entre les banques – ou les institutions financières en général – et la technologie blockchain, notamment Bitcoin, « seul véritable réseau totalement décentralisé et qui ne dépend d’aucune entité de contrôle ».

« Il y a vingt ans, j’étais expatrié au japon et quand j’avais besoin de faire un virement depuis ma banque française jusqu’à ma banque japonaise, j’envoyais un fax […] ça passait par quatre intermédiaires : ma banque, un correspondant en France, un correspondant au japon et ma banque au japon […]. Au final je perdais en moyenne 8% de la valeur de mon transfert et tout ça se passait en une dizaine de jours quand tout se passait bien ».

Aujourd’hui, si le courrier électronique a remplacé le fax, ces transferts restent encore trop lents et trop coûteux. La technologie blockchain pourrait pourtant permettre de gagner en efficacité mais elle est souvent mal comprise par les banques et n’a pas toujours très bonne réputation : « je pense que c’est une forme de dédain, une forme de mépris pour ce qui est nouveau, qui parait être une mode, qui est un peu ‘geek’ et qui n’est donc pas sérieux pour les banquiers […]. La blockchain c’est quelque chose qu’ils ne comprennent pas et dont ils ont beaucoup de mal à appréhender les concepts ».

Certaines banques se montrent cependant plus audacieuses comme l’a montré Patrice Bernard dans un second temps en évoquant les précurseurs : La Standard Bank en Afrique du sud qui, il y a plus de deux ans déjà, avait expérimenté une plateforme de change Bitcoin et d’un porte-monnaie virtuel dans son site de banque en ligne. La Fidor Bank en Allemagne qui d’une part envisage la création d’une banque consacrée aux « cryptocurrencies », et d’autre part, expérimente le système Ripple en même temps que quelques petites banques américaines. Un des intérêts de la technologie Blockchain, note le conférencier, c’est d’ailleurs de permettre aux petites banques, « celles qui sont mal positionnées dans la course globale », de gagner en indépendance et d’effectuer sans intermédiaire et à moindre coût des transferts internationaux.

Patrice Bernard a souligné enfin l’accélération de 2015 : « ça a commencé par des groupes de travail, des groupes d’étude ». Les banques cherchent désormais à comprendre le fonctionnement technique de la blockchain. Citi réfléchit à la façon d’utiliser la blockchain pour les transferts à l’intérieur du groupe, notamment dans les aspects réglementaires. Chain, une plateforme de gestion d’actifs, a convaincu de grandes institutions [plus de 25] d’investir dans sa plateforme [pour faire de la compensation interbancaire]. Les applications sont cependant encore limitées (transferts internationaux, gestion d’actifs) et il en reste encore beaucoup à imaginer.

Attention cependant, si Hyperledger et R3 cev sont les signes d’un changement d’attitude, ils sont aussi la marque d’une certaine dérive, prévient Patrice Bernard : considérer la blockchain comme un outil informatique interne, une simple base de données distribuée sur laquelle on peut gérer beaucoup de choses entre banquiers qui se font déjà confiance.

« Une blockchain privée, ça n’est ni plus ni moins qu’une base de donnée distribuée […]. La vraie valeur de la blockchain [Bitcoin] c’est qu’elle est gérée par des acteurs totalement indépendants les uns des autres à travers le monde, et qu’il n’y a aucune centralisation de la confiance […] Quand on parle de blockchain et quand on parle de désintermédiation ça veut dire qu’on va faire confiance à un algorithme au lieu de faire confiance à une institution ».

Il y reste donc encore un pas à franchir : « Quand on aura franchi ce pas les banques auront beaucoup de questions à se poser sur ce qu’elles vont devenir, sur la manière dont elles vont pouvoir surmonter cette désintermédiation qui va finalement faire disparaître une partie de leur métier ».

[Reporter : Marco / Rédaction : Jluc]


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