A la suite de la banqueroute de MtGox, plateforme de change basée à Tokyo, dans laquelle des milliers d’utilisateurs ont perdu leurs bitcoins, le Japon a été le premier pays acculé à la nécessite d’établir une règlementation concernant Bitcoin. Les juristes du pays se sont alors retrouvés confrontés au casse-tête juridique que représente Bitcoin.
Les origines du problème
Initialement, la plateforme Mt. Gox était un site d’échange de cartes du jeu de société « Magic: The Gathering Online Exchange », qui mettait à titre marginal en relation des vendeurs et des acheteurs de bitcoins (1 bitcoin valait moins de 2 dollars à cette époque).
Bitcoin n’avait aucune définition juridique légale.
Avec l’arrivée de son nouveau président, Mark Karpèles, le site est venu la plateforme d’échange de bitcoins que l’on connait.
Sa chute est intervenue en février 2014, lorsque des milliers d’utilisateurs de la plateforme MtGox ont appris la fermeture de leur compte bitcoin et la disparition de 850 000 bitcoins (dont 100 000 appartenant à la société).
Alors que le Président de MtGox déclarait avoir été victime de piratage, d’autres voix s’élevaient pour dénoncer une mauvaise gestion des actifs de la clientèle et d’anciens employés de la plateforme relevaient même que « Les fonds des clients auraient donc parfois été utilisés pour couvrir des coûts d’exploitation : loyer, gadgets high-tech, voiture importée de Grande-Bretagne… ».
Le Japon qui jusque-là n’avait aucune réglementation concernant le Bitcoin a dû faire face à une multitude de questions liées à la nature du Bitcoin (est-ce un jeu, un bien, une chose physique, une monnaie ?) et aux institutions compétentes pour traiter la question (Est-ce l’Agence de la Police Nationale, l’Agence de la Consommation, l’Agence des Services Financiers ou encore le Ministère de l’Economie, du Commerce et de l’Industrie ?).
En mars 2014, le Premier Ministre Japonais déclarait qu’il n’avait pas de réponses à ces questions et que les faits devaient être avant toute chose analysés. Il ne savait même pas si la faillite de MtGox était liée à un délit ou à une banqueroute.
Les opinions étaient très différentes d’une personne à l’autre : certains déclaraient même que, les bitcoins étant des lignes de codes, les utilisateurs de la plateforme n’avaient rien perdu.
Suite aux enquêtes intervenues, le président de MtGox a été arrêté et inculpé pour détournement de fonds de la clientèle.
C’est dans ce contexte que les juristes japonais ont dû retourner aux fondamentaux du droit, à savoir les faits, afin de définir cette entité non identifiée juridiquement qu’est Bitcoin et de proposer de nouvelles règles afin d’éviter que le cas MtGox ne se représente.
Le projet de règlementation : coercitif mais aussi incitatif
Le 17 décembre dernier « The Japan Times » révélait qu’un groupe de travail issu de l’Agence des Services Financiers japonaise venait de préparer un projet de réglementation des monnaies virtuelles qui sera soumis au parlement japonais (le « Diet ») au cours de l’année 2016.
Ce projet concerne plus globalement les cartes prépayées, les guichets automatiques et les plateformes de change de monnaies virtuelles.
Ce texte, qui n’existe pour le moment qu’en japonais, a été traduit de manière informelle par le site Coindesk (dans l’attente de la traduction anglaise que doit donner prochainement l’Agence des Services Financiers).
Selon ce projet, les opérateurs de plateforme de change de monnaies virtuelles se verront imposer une réglementation tournant autour de trois axes de préoccupation :
a) Des dispositions liées à la structure capitalistique et aux comptes des plateformes :
Les sociétés voulant exercer une activité de change de monnaies virtuelles devront disposer d’un capital minimal, séparer les avoirs de leur clientèle de leurs actifs et se soumettre au contrôle de commissaires aux comptes ou de sociétés d’audit.
b) Dispositions liées à la protection des utilisateurs
Les plateformes d’échange devront obligatoirement être inscrites auprès de l’Agence des Services Financiers.
Les autorités japonaises veulent ainsi renforcer la protection des utilisateurs en développant le transfert d’informations plus détaillées aux régulateurs et aux consommateurs.
c) Dispositions liées à la règlementation internationale de lutte anti-terrorisme
Les plateformes devront obligatoirement identifier leurs clients dès l’ouverture d’un compte et informer les autorités compétentes de toutes les opérations suspectes.
Ces dernières dispositions sont directement issues des recommandations faites par le Groupe d’Action Financière (GAFI) qui combat le financement du terrorisme international.
Ces trois axes reflètent la tendance législative internationale : celle d’aligner les dispositions applicables au Bitcoin au droit des autres services financiers.
Au-delà de ces mesures coercitives, le groupe de travail s’interroge sur la façon dont la réglementation peut être conçue afin de ne pas submerger par trop de règlementation les startups travaillant dans cette industrie naissante. Aussi, le projet suggère que l’autorégulation soit encouragée parmi les plateformes de change de monnaies virtuelles et se prononce en faveur de la création d’une instance afin de promouvoir cet effort.
Cette autorégulation est intéressante et nécessaire car l’industrie Bitcoin est en plein expansion et la technologie évolue sans cesse. Toutefois, il existe un réel besoin d’autorégulation non seulement au niveau des plateformes de change mais aussi dans toute l’industrie du secteur.
Sources : coindesk.com (1) – coindesk.com (2) – fsa.go.jp (1) – fsa.go.jp (2)
A propos de l’auteur : Après avoir été collaboratrice de la Délégation des Barreaux de France à Bruxelles, Michelle Abraham a exercé près de quatorze ans dans des cabinets d’affaires parisiens. Elle travaille actuellement sur les bitcoins et le défi réglementaire que leur développement implique. Son regard en droit comparé apporte ainsi une réflexion sur les évolutions nécessaires des législations en vigueur.