Le bitcoin, monnaie trublion

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Ne lui parlez plus d’euros. Joerg Platzer, lui, ne jure que par le bitcoin.

Sources : lemonde.fr – pastebin.com

 Au Room 77, le bar qu’il possède à Kreuzberg, dans la capitale allemande, les clients peuvent commander une bière et des burritos et payer avec cette mystérieuse monnaie électronique. « C’est plus rapide qu’un paiement par carte bancaire, explique-t-il. Il leur suffit d’un clic sur l’application iPhone dédiée. »

Dans son quartier, fer de lance de la culture branchée berlinoise, une quarantaine de commerçants se sont, comme lui, convertis aux bitcoins. « Si ça continue, on pourra bientôt se passer des billets à l’ancienne », se réjouit Thomas, jeune cadre habitant le coin. Lui et Joerg Platzer en sont convaincus : le bitcoin est sur le point de changer le monde. Des doux dingues ? Peut-être. Mais ils ne sont pas les seuls. Partout dans le monde, des milliers de commerces en ligne comme traditionnels s’y sont mis, de la célèbre plate-forme de blogs WordPress à des loueurs de voitures américains en passant par des maisons d’hôtes en Toscane. Chez nous, des dizaines d’e-boutiques (Cosmevert. com, Electrocig-boutique. fr, Miniplanes. fr…) et même certaines annonces sur Leboncoin. fr acceptent la devise. Si bien que les grands régulateurs financiers commencent à s’y intéresser car, pour l’instant, le bitcoin, sans être illégal, ne rentre dans aucune catégorie juridique précise. En août, l’Allemagne lui a donné le statut officiel de « monnaie privée », ce qui lui permettra de taxer 25 % des bénéfices générés…

« NORMALISATION »

De son côté, le Sénat américain consulte en ce moment les acteurs du milieu afin de plancher sur une régulation adaptée. Le 14 septembre, le gouvernement britannique a, dans le même but, reçu des start-up utilisant la devise numérique. L’Australie, le Canada, la Belgique et les Pays-Bas songent à faire de même… « L’utilisation du bitcoin est en train de se normaliser », s’enthousiasme Gonzague Grandval, le patron de Paymium, une start-up française sur le créneau.

Drôle de destin pour cette étrange monnaie à la réputation sulfureuse. Son histoire semble tout droit sortie d’un roman de Philip K. Dick. Elle aurait été créée en 2009 par un ou plusieurs informaticiens se présentant sous le pseudonyme de Satoshi Nakamoto. L’objectif : créer une devise échappant au contrôle des Etats et, donc, non soumise à la tentation de la « planche à billets », un mal selon eux à l’origine de crises telles que celle des subprimes.

Jusqu’en 2012, l’invention ne dépassa pas le cercle des férus de cryptographie et de codage numérique. Il faut dire que son fonctionnement défie la compréhension du commun des mortels.

Les bitcoins échappent à toutes les règles monétaires classiques. Ils ne sont pas créés par le cycle des prêts bancaires, comme les euros ou les dollars, et ne sont pas contrôlés par une banque centrale.

UN ALGORITHME INFORMATIQUE

Leur émission est gérée par un algorithme informatique, programmé pour générer régulièrement et à un rythme décroissant des bitcoins. Et ce, jusqu’à ce que leur montant, aujourd’hui de 11 millions, atteigne 21 millions, aux alentours de 2035. « C’est un peu comme une matière première telle que l’or : la source se tarira un jour, et c’est en partie de là que le bitcoin tire sa valeur », explique M. Platzer.

Concrètement, l’algorithme fonctionne grâce à des passionnés d’informatique, devenus des quasi-professionnels du genre. Surnommés « mineurs », ils mettent en commun leurs ordinateurs au service du réseau. Chaque fois qu’ils résolvent un certain nombre d’équations, ces mineurs reçoivent un petit montant de bitcoins en récompense, qu’ils revendent ou dépensent à leur gré.

Mais quelle est l’utilité de cette chaîne de calcul, au juste ? C’est là toute la complexité et l’intérêt de la technologie : elle sert à valider et répertorier les transactions effectuées partout dans le monde en bitcoins. Une base de données publique, à laquelle tout le monde peut avoir accès. Et qui évite que des petits malins ne créent de faux bitcoins : ces derniers seraient rejetés par le réseau. « Le bitcoin est donc à la fois une monnaie et un protocole de paiement », résume Philippe Herlin, économiste au Conservatoire national des arts et des métiers. Plutôt obscur…

Côté utilisateurs, les choses sont un peu plus simples. Ces derniers peuvent acheter des bitcoins en se rendant sur l’une des places de marché en ligne, comme MtGox, Bitstamp ou Bitcoin-Central. Leurs bitcoins sont alors stockés sur un portefeuille numérique hébergé sur leur ordinateur, smartphone ou sur un site Web dédié.

LIMITER LES RISQUES DE BLANCHIMENT

Des ventes sont également organisées tous les mois dans quelques grandes villes, comme au « Satoshi Square », dans le quartier new-yorkais d’Union Square. Comme sur un marché classique, les aficionados s’y échangent des bitcoins, grâce à leur mobile. Enfin, plusieurs compagnies spécialisées commencent à installer aux quatre coins du monde des distributeurs automatiques : là aussi, les bitcoins sont retirés par l’intermédiaire du mobile ou de cartes prépayées.

Dans tous les cas, si les transactions sont publiques, l’identité des utilisateurs, elle, reste cryptée. Un anonymat qui n’a bien sûr pas tardé à attirer trafics et blanchiment en tout genre. En 2011, Silk Road, un site illégal de vente de drogue, fit du bitcoin sa monnaie de prédilection.

Les sites utilisant la devise sont régulièrement attaqués par des hackers, et des spéculateurs profitent de la forte volatilité de la devise pour engranger des profits. « Ce sont des maux de jeunesse qui seront bientôt derrière nous », assure Gonzague Gay-Bouchery, patron de MtGox, la plus grosse place d’échange de la devise.

De fait, les plates-formes comme la sienne, désireuses de témoigner leur bonne volonté aux régulateurs, exigent désormais des utilisateurs de fournir une pièce d’identité et un justificatif de domicile, afin de limiter les risques de blanchiment.

COMME DU CASH NUMÉRIQUE

Reste une question-clé : pourquoi cette monnaie suscite-t-elle un tel engouement ? Pour certains observateurs, il est surtout lié à la crise et à la méfiance envers le système bancaire qui s’ensuit. Au plus fort de la crise chypriote, des épargnants ont ainsi utilisé le bitcoin pour contourner la limitation de sortie de capitaux, faisant s’envoler le cours du bitcoin au-delà de 260 dollars (192 euros), avant qu’il ne retombe à 80 dollars, puis s’établisse à 139 dollars.

Une volatilité affolante, faisant dire à de nombreux experts que la devise de Satoshi Nakamoto restera un épiphénomène spéculatif. « Elle n’a aucune utilité économique et est vouée à s’autodétruire », prédit Yannick Naud, de la société d’investissement Glendevon King AM.

D’autres sont moins catégoriques. Et soulignent que l’intérêt de la monnaie numérique tient surtout à la révolution qu’elle représente en termes de mode de paiement. « Elle est au virement bancaire classique ce que l’e-mail est au courrier papier », résume Christian Parisot, économiste chez Aurel BCG.

Le bitcoin fonctionne en effet comme du cash numérique : il passe d’un e-portefeuille à l’autre en quelques minutes – et non après un délai de vingt-quatre ou quarante-huit heures –, et de façon irréversible. Surtout, il est assorti de frais de transaction quasi nuls, contrairement aux virements classiques et par carte bancaire, où Master Card, Visa, PayPal ou Western Union prélèvent des commissions de 1,5 % à 7 % selon les pays. La pseudo-devise ne sert alors que d’intermédiaire.

PAIEMENT QUASI INSTANTANÉ ET LIBRE DE FRAIS BANCAIRES

Prenons le cas d’un internaute souhaitant acheter une clé USB sur le site de matériel électronique français Achatnet.pro. Lorsqu’il valide sa commande, une plate-forme spécialisée nommé BitPay convertit ses euros en bitcoins, crédite le compte du commerçant, puis les convertis à nouveau en euros. Pour ce, BitPay a prélevé une commission de 0,99 % seulement. « C’est une belle économie », explique Patrick Ferrer, le patron d’Achatnet.pro. Bon joueur, il en fait profiter ses clients en leur offrant une ristourne de 3 %.

Un paiement quasi instantané et libre de frais bancaires : conscientes du potentiel commercial de ce système, des dizaines de start-up se lancent sur le créneau en Europe et surtout aux Etats-Unis, où elles attirent déjà les convoitises des business angels : Paymium, Coinsetter, Cointbase, Bitinstant…

Des grands acteurs du Web, comme les fondateurs d’Ebay et Google, ont également confié s’y intéresser de près. « Cette technologie est susceptible d’ébranler le monopole des acteurs bancaires sur les modes de paiement », résume Philippe Herlin. « Quand il sera régulé, le bitcoin offrira des coûts bien moins attractifs », rétorque Yannick Naud.

Peut-être. Reste que, même si le bitcoin s’effondrait, il est loin d’être la seule innovation dans les tuyaux. Outre les autres monnaies électroniques fleurissant depuis quelques mois (ripple, litecoin, solidcoin…), l’Amazon Coin ou encore le paiement par SMS développé par Orange en Afrique (Orange Money) présentent tous une alternative au virement bancaire classique.