Laure de La Raudière : On pourra comprendre les blockchains quand on aura un autre usage que celui du bitcoin

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Extrait d’une interview de Laure de La Raudière, co-rapporteur de la mission d’information blockchain à l’Assemblée nationale, publiée hier sur 20minutes.fr :

20mn : Quel est l’enjeu de [votre] mission ?

LDLR : J’ai voulu cette mission dès ma réélection en juillet 2017. J’ai fait un constat simple : on a vécu une première révolution numérique avec Internet qui a rebattu la donne de l’économie mondiale. La deuxième révolution, c’est celle de la donnée. Avec la capacité de calcul des ordinateurs et la puissance d’analyse des algorithmes, vous améliorez la connaissance humaine dans beaucoup de systèmes. Aujourd’hui, une nouvelle technologie arrive, la blockchain. Elle permet de certifier des échanges sans avoir l’institution d’un tiers de confiance. Nous avons pris du retard sur les deux premières révolutions, je ne veux pas que ce soit le cas avec celle de la blockchain.

20mn : Qu’attendez-vous de cette mission ?

LDLR : Le parlement doit se saisir du sujet pour le comprendre. Comprendre comment cela fonctionne, les potentialités de cette technologie, ses limites. Comprendre où on en est aujourd’hui dans les cas d’usages. Le deuxième objectif, c’est de faire de la pédagogie auprès des collègues députés pour qu’on ne prenne pas de retard.

20mn : Selon vous, quelle est l’urgence de se saisir de ce sujet ?

LDLR : Si on veut défendre nos valeurs, il vaut mieux prendre de l’avance. Sinon, les Américains ou les Chinois risquent de nous imposer leur vision du monde. Il ne faut pas avoir peur de cette technologie, mais il ne faut pas être naïf non plus.

20mn : Qu’avez-vous appris en travaillant sur cette mission ?

LDLR : On a auditionné une vingtaine de personnes et d’institutions pour l’instant. Il y a deux cas d’usages : les blockchains publiques et les blockchains de consortium. En ce qui concerne les blockchains publiques, peu de cas d’usage existent encore en dehors des crypto-actifs (bitcoin, ethereum…) et des levées de fonds par échange de « jetons ». La France est bien placée en matière de recherche, elle a un écosystème de startup dynamique, il serait dommage que nos travaux soient utilisés pour le développement d’entreprises en dehors du pays. Mais nous avons aussi besoin de considérer les crypto-actifs comme d’autres actifs, à la fois dans la comptabilité ou encore d’un point de vue fiscal, ce qui n’est pas du tout le cas aujourd’hui.

20mn : Quels sont les dangers liés aux blockchains ?

LDLR : Sur une blockchain publique, le seul cas d’usage aujourd’hui c’est celui des crypto-actifs. Après un début assez « Far-West », les acteurs poussent aujourd’hui à la création d’un label par l’Autorité des marchés financiers (AMF) qui permettra de distinguer les « bonnes » plateformes de celles qui seraient frauduleuses. Cette information permettra de lutter contre les escroqueries et contre le blanchiment d’argent, délits souvent reprochés au bitcoin. L’autre risque pour le consommateur est la fluctuation des cours des crypto-actifs, comme on l’a vu avec le bitcoin au début de l’année. Sur les blockchains de consortium, les applications possibles sont prometteuses. Il garantit une meilleure transparence dans les échanges. Je prends l’exemple d’un plat de lasagnes avec de la viande. Quand vous êtes capable de certifier, du producteur jusqu’au distributeur, les différentes étapes de création d’une denrée alimentaire, vous savez si le plat correspond aux enjeux de réglementation du pays. Cela permet de lutter contre la fraude et d’assurer une plus grande transparence pour les consommateurs.

20mn : Quand on parle des blockchains, personne n’y comprend rien. La priorité n’est-elle pas de vulgariser cette technologie auprès du public ?

LDLR : On pourra comprendre les blockchains quand on aura un autre usage que celui du bitcoin. Il ne s’agit pas de comprendre la technologie. Toute la population ne sait pas comment fonctionne le protocole Internet mais elle comprend que cette technologie facilite les échanges entre les individus. Il faut faire comprendre à quoi peut servir la blockchain et c’est l’objet de cette mission.

20mn : Et alors, à quoi peut-elle servir ?

LDLR : Le ministère de l’Education nationale étudie en ce moment une application : la certification des diplômes. Quand une entité centrale délivre un diplôme, que ce soit une grande école, une université, un lycée, cette entité fait foi. L’idée est de mettre ses diplômes dans la blockchain et de les rendre accessibles à tous. On laisse une empreinte dans la blockchain, cela permet de donner accès au document aux personnes qui le demandent. On saura que c’est l’original et qu’il n’y a pas de fraude. Aujourd’hui, quand vous avez été salarié d’une entreprise, vous l’indiquez sur votre CV. Mais le CV n’est pas toujours conforme à la réalité. En revanche, si l’entreprise dans laquelle vous avez travaillé a l’obligation de mettre ces infos sur la blockchain, il est possible de retracer le CV d’une personne. De la même manière, on pourrait imaginer que votre identité soit certifiée par une blockchain. Vous décidez de donner l’accès à une personne avec qui vous êtes en contact pour prouver votre identité. Les informations mises sur la blockchain sont infalsifiables. On apporte une plus grande confiance.

20mn : N’existe-t-il pas un risque pour l’individu, le fait que tout le monde sache tout sur lui ?

LDLR : L’individu décide ou non de donner l’accès à un tiers sur cette information. Le pouvoir doit rester au niveau de l’individu. En revanche, il ne faut pas qu’il puisse mentir. La blockchain permet d’assurer la confiance. On lutte contre les fraudeurs, mais l’objectif est de garantir l’exactitude d’une information.

20mn : Le bitcoin, on le sait, est très mauvais pour l’environnement. Allez-vous vous attaquer à ce problème écologique ?

LDLR : On va travailler précisément sur l’impact d’énergie de ces différentes technologies. Certaines blockchains consomment moins que d’autres. La blockchain Bitcoin est très consommatrice d’énergie. Chaque transaction représente 32 jours de consommation d’un ménage américain, c’est délirant.

20mn : Que peut-on faire contre les mines de bitcoin ?

LDLR : La majorité des mineurs ne sont ni en France ni en Europe. Aujourd’hui, le bitcoin est le protocole blockchain le plus utilisé. Mais à travers les auditions qu’on a menées, on a vu des alternatives technologiques à la blockchain bitcoin. Les blockchains de consortium qui ont des applications comme celles que j’ai citées (diplômes, identité numérique, cartes grises…) n’ont pas les mêmes défauts de consommation d’énergie que celle de la blockchain bitcoin. On ne peut pas imaginer multiplier des services fonctionnant sur des chaînes du type bitcoin. Ce ne serait pas acceptable. Et ce n’est pas souhaitable. Avec le bitcoin, il faut attendre 10 minutes pour chaque transaction. Ce n’est pas top.

20mn : Est-ce que vous avez investi dans des cryptomonnaies ?

LDLR : Oui, avec mon mari, nous avons acheté des bitcoins. Au début, lorsqu’il était à 30 euros, nous avons essayé, mais il fallait être assez bon techniquement pour en acheter. Il n’existait pas de plateformes aussi simples d’utilisation qu’aujourd’hui. Nous n’avons pas réussi. Puis il en a acheté avant la bulle, qu’il a revendu assez vite, et sans faire fortune !

20mn : Selon vous, le futur c’est la cryptomonnaie ? Va-t-elle remplacer les monnaies existantes ?

LDLR : Aujourd’hui le bitcoin, c’est plus un actif qu’une monnaie. Il y a un taux de change et il y a des gens qui les utilisent dans des bars, c’est vrai. Mais dans la majorité des cas, les gens l’utilisent comme un actif. L’usage des cryptomonnaies va se développer avec des services sur la blockchain, pas uniquement comme une monnaie mais comme un service. Quand vous allez utiliser des services sur la blockchain, vous allez développer aussi des modes de payement associés pour gagner en efficacité et en coût de transaction. Mais vous savez, peut-être que le futur que j’imagine, n’aura jamais lieu et que je serai complètement contredite. Il faut rester humble.

 

Source : 20minutes.fr