Les premiers pas d’un nouveau paradigme viennent d’être faits le 28 avril dernier lorsque la France a inscrit, avec la signature de l’ordonnance relative aux bons de caisse, pour la première fois la blockchain dans la loi. Cette nouvelle technologie vient d’être non seulement définie dans le droit français, mais aussi reconnue comme un outil d’enregistrement permettant l’authentification de transferts de propriété.
Il y a un mois, lors des 3ème Assises du Financement Participatif, le Ministre de l’Économie, de l’Industrie et du Numérique, Monsieur Emmanuel Macron, a annoncé la création dans le projet d’ordonnance d’un nouveau titre pouvant être enregistré sur la blockchain : les « minibons ».
Les minibons sont des bons de caisse (titres émis par une entreprise en contrepartie d’un prêt qui lui est accordée) faisant l’objet d’une intermédiation sur des plateformes de financement participatif.
L’ordonnance relative aux bons de caisse, qui modifie le Code monétaire et financier, crée donc deux articles dans ce code essentiels pour la Communauté bitcoin :
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l’article L 223-12 qui fixe que « l’émission et la cession des minibons peuvent également être inscrites dans un dispositif d’enregistrement électronique partagé permettant l’authentification de ces opérations, dans des conditions, notamment de sécurité, définies par décret en Conseil d’Etat. », et
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l’article L223-13 qui précise que « Le transfert de propriété de minibons résulte de l’inscription de la cession dans le dispositif électronique mentionné à l’article L223-12, qui tient lieu de contrat écrit pour l’application des articles 1321 et 1322 du code civil ».
Ainsi, pour la première fois dans la langue française et dans le droit français, la blockchain est définie comme étant « un dispositif d’enregistrement électronique partagé permettant l’authentification » d’opérations.
Toutefois, il est intéressant de noter que si le rapport présentant ce projet d’ordonnance au Président de la République mentionne entre parenthèse le mot de « blockchain » après cette définition, cette mention n’a pas été reprise dans l’ordonnance. En effet, l’ordonnance n’utilise à aucun moment le mot anglais de « blockchain ».
La valeur légale des inscriptions sur la blockchain se voit également pour la première fois reconnue. Grace à cette ordonnance, la transcription des cessions de minibons sur la blockchain sera opposable aux tiers. Ainsi, le détenteur d’un minibon inscrit sur la blockchain pourra faire valoir et préserver ses droits devant un juge. Cette reconnaissance était attendue avec impatience, car sans reconnaissance légale de la blockchain, le développement de l’industrie du secteur était clairement limité.
Néanmoins, cette reconnaissance légale des inscriptions sur la blockchain est pour l’instant restreinte aux minibons. Les inscriptions d’autres éléments sur la blockchain n’auront pas de valeur légale. Par ailleurs, même en ce qui concerne les minibons, le rapport précise qu’un « groupe de travail devra déterminer les conditions de réalisation d’un tel projet, afin notamment de garantir que la technologie est assez sûre et mature pour assurer la tenue d’un registre électronique distribué fiable, sécurisé et susceptible d’être audité ».
L’ordonnance n’est donc qu’un premier pas vers les changements à venir. Elle ne sera pleinement applicable qu’à compter du 1er octobre 2016 et après que les conditions de recours à la blockchain soient définies par décret en Conseil d’Etat. Aussi, si l’ordonnance pose les bases juridiques pour une première utilisation légale de la blockchain, elle ne préfigure pas de la solution qui sera finalement retenue. Des mesures règlementaires devront être prises pour la rendre pleinement opérationnelle. Le gouvernement a ainsi encore donc des marges de manœuvre.
Toutefois, cette ordonnance va dans le sens des discussions informelles qui ont eu lieu la semaine dernière au Parlement européen concernant les cryptomonnaies et la blockchain, voire même les devance. Alors que les membres du Parlement européen s’interrogent sur l’opportunité de reconnaître un droit de propriété aux bons enregistrés sur des registres partagés comme la blockchain, la France vient officiellement de poser les bases légales de cette reconnaissance, ce qui est un avantage certain pour les entreprises françaises innovantes du secteur.
A propos de l’auteur : Avocat au Barreau de Paris, Michelle Abraham a été collaboratrice de la Délégation des Barreaux de France à Bruxelles et a exercé près de quatorze ans dans des cabinets d’affaires parisiens. Elle travaille actuellement sur les bitcoins et le défi réglementaire que leur développement implique.
Sources :
https://www.legifrance.gouv.fr/jo_pdf.do?id=JORFTEXT000032465520
https://www.legifrance.gouv.fr/jo_pdf.do?id=JORFTEXT000032465510