Par un texte publié en français et, à noter, en anglais, la Direction du Trésor a lancé le 24 mars dernier sur son site internet une consultation publique sur le thème de la blockchain. Cette consultation s’intéresse plus particulièrement à l’application de cette nouvelle technologie aux titres financiers de sociétés non cotés. L’ambition de la France est une nouvelle fois affichée : favoriser l’économie numérique en attirant les Fintechs dans l’Hexagone.
Nous pouvons tour à tour nous interroger sur le but de cette consultation à la veille des élections présidentielles, sur son contenu et sa portée ?
A quoi sert cette consultation à la veille des élections présidentielles ?
Alors que de nombreux ministères fonctionnent depuis plusieurs mois au ralenti dans l’attente les élections présidentielles et que l’on pensait que le dossier avait été enterré par le Gouvernement, la Direction du Trésor publie une « Consultation publique sur le projet de réformes législative et réglementaire relatif à la blockchain ».
Pour comprendre la raison de cette publication, il convient de rappeler le contexte dans lequel elle se situe et le rôle de la Direction du Trésor.
La Direction Générale du Trésor est, rappelons-le, une administration du Ministère de l’Economie et des Finances différente que celle qui s’occupe de nos impôts. Elle se définit comme le super conseiller des ministères. A cet effet, elle mène des analyses et fait des recommandations. C’est aussi elle qui définit un certain nombre de règles applicables en matière d’assurance, de banque et de financement participatif.
De son côté, le Gouvernement a entrepris de réguler la blockchain par voie expérimentale dans le cadre d’ordonnances et de décrets d’application, compte tenu de la complexité de cette technologie.
Une première étape a été franchie avec la publication de l’ordonnance du 28 avril 2016 sur les bons de caisse qui permet d’inscrire des minibons dans la blockchain. Cette ordonnance définit pour la première fois en droit français le terme de blockchain comme étant un « dispositif d’enregistrement électronique partagé ».
Cependant, cette étape a un goût d’inachevé puisque le décret qui devait fixer les conditions, notamment de sécurité, du recours à la blockchain n’a toujours pas été publié, plus de six mois après l’entrée en vigueur de l’ordonnance !!! Ce qui laisse, à ce jour, lettre morte les dispositions applicables aux minibons sur la blockchain.
Une seconde étape a été ouverte par le Gouvernement dans le cadre de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (aussi appelée « loi Sapin II »). Le Gouvernement a déposé un amendement afin l’obtenir l’autorisation de prendre par voie d’ordonnance, dans un délai de dix-huit mois à compter de la date de promulgation de la loi, les mesures nécessaires pour :
« adapter le droit applicable aux titres financiers et aux valeurs mobilières afin de permettre la représentation et la transmission, au moyen d’un dispositif d’enregistrement électronique partagé, des titres financiers qui ne sont pas admis aux opérations d’un dépositaire central ni livrés dans un système de règlement et de livraison d’instruments financiers ».
A la demande de l’opposition (prise en la personne de Madame le Député Laure de la Raudière), le Gouvernement a accepté de réduire le délai de 18 mois à 12 mois. La loi Sapin II ayant été publiée le 9 décembre 2016, le Gouvernement a jusqu’au 9 décembre 2017 pour publier une ordonnance sur l’expérimentation des titres financiers de sociétés non cotés sur la Blockchain.
Cette consultation, fondée sur l’article 120 de la loi Sapin II, a donc pour but de préparer le projet de la future ordonnance et ce quel que soit la majorité du prochain Gouvernement.
Présentation de la consultation
Pour les non-initiés aux textes juridiques ou au domaine financier, cette consultation en neuf pages et 21 questions (la question 19 étant utilisée par erreur pour deux sujets distincts) peut parfois sembler assez ardue.
Les délais de réponse étant relativement courts (puisque les personnes intéressées doivent répondre pour le 19 mai 2017 à l’adresse suivante : marketinfrastructures@dgtresor.gouv.fr), voici donc en quelques lignes une présentation des quatre grands thèmes de cette consultation :
– Le premier thème porte de manière surprenante sur le « Besoin ou non de légiférer » concernant la blockchain. La Direction du Trésor interroge les milieux intéressés afin de savoir si le cadre législatif et réglementaire actuel est suffisant pour répondre à leurs attentes et s’ils ont identifié des zones d’insécurité juridique ;
– Le deuxième groupe de questions concerne le cas spécifique de la réglementation des titres financiers visés par l’article 120 de la loi Sapin II et porte sur les modifications législatives particulières nécessaires, sur les impacts juridiques connexes relatifs aux notions de propriété, d’acte authentique (ou acte notarié) et d’opposition aux tiers, ainsi que sur l’architecture ouverte ou fermée de la technologie des registres distribués ;
– Le troisième thème comprend des questions juridiques d’ordre plus général liées à des sujets tels que « Gouvernance et responsabilité », « Sécurité juridique », « confidentialité, transparence, protection des données et droit à l’oubli », « Lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme – obligations de procédures Know Your Customer (KYC ), « Cyber-sécurité », « Interopérabilité » ;
– Enfin, le quatrième et dernier thème abordé par cette consultation est celui de l’intérêt ou pas d’établir un décret unique pour l’application des ordonnances « minibons » et « blockchain ».
Que penser de cette consultation ?
Alors que l’incertitude la plus grande règne dans le pays concernant la prochaine majorité présidentielle, la consultation de la Direction Générale du Trésor sur la future ordonnance blockchain pourrait rendre perplexe quant à son utilité.
Toutefois, ce serait oublier le rôle de cette administration en tant que conseil des ministères qui seront issus du futur Gouvernement. La Direction Générale du Trésor a la particularité d’avoir la moitié de son personnel travaillant à l’étranger auprès des Ambassades de France ou d’organismes internationaux. C’est dans ce cadre qu’elle suit depuis plusieurs années les aspects, tant économiques que juridiques, des crypto-monnaies et des blockchains à travers le monde. Plusieurs de ses publications portent notamment sur le traitement de bitcoin en Inde ou aux Etats-Unis ou encore sur l’utilisation de la blockchain par tel ou tel opérateur économique international. Cette Direction est donc bien informée des problématiques liées aux blockchains ce qui est un élément positif pour conseiller le futur Gouvernement.
Toutefois, on peut regretter plusieurs points :
– cette consultation laisse le sentiment que le Gouvernement actuel s’est précipité pour proposer des ordonnances liées à la blockchain sans avoir vraiment analyser au préalable la nécessité ou non de légiférer en la matière ;
– la Direction Générale du Trésor se réfère dans sa consultation et dans la grande majorité des cas non pas, comme on aurait pu s’y attendre, au terme de « blockchain » ou de sa traduction en droit français de « dispositif d’enregistrement électronique partagé » mais à l’expression « distributed ledger technology » (la technologie du registre distribué) et plus spécifiquement à son abréviation « DLT ». Il y a lieu de reconnaître que cette expression de DLT est celle utilisée par l’Autorité européenne des marchés financiers (European Securities and Markets Authority en anglais ou ESMA) dans ses deux consultations de 2015 et 2016 sur la blockchain. Toutefois, cette expression porte à confusion car il convient de constater que les registres distribués ne sont pas tous des blockchains et n’ont pas les qualités tant recherchées de ces dernières.
– la Direction Générale du Trésor montre également une préférence marquée pour l’utilisation des DLT fermés pour les inscriptions de titres financiers de sociétés non cotées. Elle évoque même l’idée d’agréer les personnes responsables d’un DLT mais reconnaît en même temps que cela reviendrait à mettre de la centralisation dans un dispositif ayant vocation à fonctionner de manière décentralisée …!!! ;
– la dernière question de la consultation concernant la rédaction d’un décret unique pour les ordonnances « minibons » et « Blockchain », laisse supposer que la publication du décret sur les minibons va se faire encore attendre pour une durée indéterminée. Cette dernière question rappelle l’extrême difficulté à réguler une technologie aussi jeune et changeante que celle des blockchains.
Néanmoins, cette consultation a également les points positifs :
– Elle a le mérite d’exister et de permettre au plus grand nombre en France et à l’étranger de s’exprimer sur le sujet ;
– Elle soulève des questions intéressantes liées à la responsabilité des acteurs du secteur en cas de litige (ce qui n’est pas sans rappeler l’épisode de la DAO d’Ethereum), à la loi applicable avec notamment la problématique de l’application extraterritoriale d’autres lois issues d’autres Etats (Rappelons qu’Internet, loin d’être un espace sans droit, est en réalité un mille-feuille juridique où les Etats du monde entier peuvent déclarer leur droit applicable dès qu’un de leurs ressortissants est parti).
Enfin, force est de constater ces derniers temps une boulimie du Gouvernement en matière d’ordonnances et de décrets dans des domaines très variés du droit. Parallèlement, on constate un certain nombre de retard dans la publication de ces textes. Aussi, on peut légitiment se demander ce que deviendront les projets concernant la blockchain, face à tous ces textes en attente, avec le nouveau Gouvernement ?
Par ailleurs, à l’issue de ses consultations, l’ESMA a décidé qu’il n’y avait pas lieu de ne pas légiférer en l’état actuel. Que va faire la France si la majorité des milieux concernés répond à cette consultation qu’il n’y a pas lieu de légiférer ?
Sources : dailymotion.com – tresor.economie.gouv.fr
A propos de l’auteur :
Avocat d’affaires au Barreau de Paris, Michelle Abraham est une ancienne collaboratrice de la Délégation des Barreaux de France à Bruxelles. Elle travaille actuellement sur les crypto-monnaies, les blockchains et le défi réglementaire que leur développement implique. Michelle Abraham est notamment membre de l’Association ChainTech et du Cercle du Coin et participe en tant que co-coordinatrice du comité Terminologie de la commission Blockchain de l’AFNOR.