L’Autorité des Marchés Financiers (« AMF ») a publié les 3 et 20 juillet 2017, sa cartographie des risques 2017 (où quelques pages sont consacrées au cas spécifique de la blockchain) et sa réponse à la consultation de la Commission européenne sur les FinTech : « Vers une Europe de services financiers plus concurrentiels et innovants ». Un regard transversal sur ces deux documents apporte un éclairage intéressant de la politique de l’AMF dans le domaine hautement « disruptif » des blockchains.
La politique de l’autorité se situe entre (I) un accompagnement des projets blockchains sous un regard favorable et (II) la constatation de la nécessité de faire évoluer la réglementation applicable.
I – En tant qu’accompagnateur des projets innovants, l’amf porte un regard globalement favorable à la blockchain
Le regard favorable de l’Autorité des Marchés Financiers résulte i) de la constatation d’une maturation des projets blockchains et ii) d’une évolution des connaissances de l’AMF qui s’illustre à travers sa volonté de s’adapter.
i) Une maturation des projets blockchains
Dans sa cartographie, l’AMF relève que les tendances observées au cours de l’année 2016 montrent que « la maturation des projets appelle à financer des développements techniques visant à en tester plus concrètement la faisabilité et la viabilité (proof of concept) ».
La haute autorité observe dans ce contexte une influence marquée des acteurs (souvent bancaires) établis, capables d’apporter les fonds nécessaires. Elle cite les initiatives dans ce domaine d’Euroclear et de la BNP Paribas Securities Services.
Sans surprise, l’AMF relève l’importance prise par les « blockchains privées (permissioned DLT) qui déclinent les technologies DLT dans les réseaux fermés constitués d’acteurs identifiés et de confiance.[…] Ils s’inscrivent dans des business modèles moins disruptifs et permettent une adoption plus graduelle des technologies innovantes. »
Dans ce panorama de l’évolution des risques liés à l’activité économique, financière et réglementaire, l’AMF souligne la matérialité des risques potentiels. Elle cite la faille dans le codage des smart contracts du projet de financement participatif The Decentralized Autonomous Organisation (DAO) qu’elle assimile à un « fonds dont les parts sont libellées en crypto-monnaie ». L’AMF précise de manière intéressante que « Ces faits n’ayant pu être qualifiés au regard de la loi, ceux qui en ont bénéficié n’ont pas été sanctionnés ». Cette remarque est à souligner au regard de la récente décision de la Commission des valeurs mobilières américaines (« Securities and Exchange Commission » ou « SEC ») de considérer que certaines opérations de la DAO comme relevant de sa compétence.
L’AMF évoque également, en matière de risques, le cas d’une FinTech française qui a reçu de la part de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) un blâme et une amende de 80.000 euros pour des failles dans l’identification des contreparties de paiements en bitcoins en 2014 et 2015. L’ACPR reprochait à la société de ne pas avoir respecté les procédures exigées par la réglementation sur la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.
La prise de conscience de l’AMF de la maturation des projets résulte de l’avancée des projets eux-mêmes mais aussi d’une meilleure appréhension de cette technologie par la haute autorité, marquée par une volonté de s’adapter.
Une évolution des connaissances de l’AMF qui s’illustre à travers sa volonté de s’adapter
La multiplication des projets blockchains qui lui ont été soumis, a permis à l’AMF d’augmenter son expertise en la matière et de développer de nouvelles ressources tant à titre interne qu’à titre externe.
Dans sa cartographie 2017, l’AMF déclare que l’importance des questions de réglementation financière concernant les FinTech l’a poussé à créer en juin 2016 une division « FinTech, innovation et compétitivité ». Cette division est consacrée au suivi, et à l’analyse des innovations ainsi qu’à l’évaluation des besoins d’évolution de la réglementation ou de la doctrine dans les domaines concernés.
La simple lecture de ce document permet de constater une évolution sémantique de certains termes utilisés par l’AMF. Dans sa cartographie 2014, l’AMF parlait de « monnaies virtuelles » concernant les bitcoins alors qu’elle parle aujourd’hui de « crypto-monnaies », ce qui révèle une plus grande maîtrise du sujet.
On pourra toutefois regretter que l’AMF ne fasse pas de distinction (comme l’Autorité européenne des marchés financiers d’ailleurs) entre le terme blockchain et de technologie de registre distribué (Distributed Ledger Technology, ou « DLT » en anglais). Or, si les blockchains sont un type particulier de DLT, toutes les technologies de registres distribués ne sont pas des blockchains.
Parmi les ressources externes, l’AMF a multiplié ses collaborations tant en France qu’à l’international.
En France, le statut réglementaire des services financiers relève, selon le cas, de la compétence de l’AMF (concernant les actifs et les investissements) et/ou de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) (concernant notamment les échanges de crypto-monnaies contre une monnaie ayant cours légal par exemple).
L’AMF et l’ACPR ont entrepris une démarche commune pour coordonner leur action : à cet effet elles ont créé un forum « FinTechs » en juillet 2016 afin d’échanger directement avec les acteurs du secteur.
A l’international, l’AMF a signé le 27 mars 2016, un accord de coopération avec l’Autorité monétaire de Singapour (« Monetary Authority of Singapore » ou « MAS ») dédié aux FinTechs. Singapour étant à la pointe dans le domaine des blockchains, cet accord peut particulièrement être profitable à l’AMF tant en matière d’expertise que de retour d’expériences. A cet égard, il est intéressant de noter que l’Autorité monétaire de Singapour étudie actuellement la possibilité de convertir le dollar singapourien en crypto-monnaie émise par sa banque centrale.
La connaissance et les ressources ne sont néanmoins pas tout. L’AMF observe que les technologies de registres distribuées représentent l’innovation qui soulève le plus grand nombre de questions à la fois d’ordre technique, législatif et réglementaire.
II – L’AMF constate la nécessité de faire évoluer la réglementation applicable
En l’absence d’un droit international en matière de blockchain, l’AMF relève la nécessité de faire évoluer le droit, tant au niveau national qu’au niveau européen.
i) Au niveau national
Sur le plan interne, de nombreuses FinTechs du secteur sollicitent régulateurs et pouvoirs publics dans l’objectif d’obtenir une garantie juridique afin de pouvoir exercer leurs activités dans un contexte législatif et règlementaire stable. L’AMF est consciente dans ce cadre à la nécessité de clarifier la réglementation française en la matière.
Elle reconnaît que, « bien que les analyses juridiques préliminaires estiment que les technologies de type blockchain peuvent être utilisées pour une large part à droit constant, certains projets d’applications, notamment dans le domaine du post marché ne peuvent être réalisées dans le cadre de la réglementation actuelle ».
Dans sa réponse à la consultation à la Commission européenne, la haute autorité souligne l’évolution du droit français avec l’ordonnance sur les minibons (titres émis par une entreprise en contrepartie d’un prêt qui lui est accordée et émis par des plateforme de crowdfunding sur la blockchain) et la loi Sapin II qui doit permettre la mise sur la blockchain de titres de sociétés non cotées.
Néanmoins, si l’AMF a raison de les indiquer, force est de constater que ces modifications du droit français restent pour l’instant à l’état d’ébauches. Si la loi Sapin II devrait aboutir sur la publication d’une ordonnance d’ici la fin de l’année, les minibons marquent un net retard puisque le décret d’application de l’ordonnance du 28 avril 2016 est, plus d’un an après la publication de l’ordonnance, toujours attendu.
Il convient de relever que la cartographie de l’AMF nous révèle la position de cette instance concernant la possibilité d’avoir une approche réglementaire façon « bac à sable », ou « sandbox », de la blockchain. Cette approche, selon l’AMF, consiste pour un certain nombre de régulateurs étrangers à créer un environnement juridique sécurisé au sein duquel certaines startups innovantes, présélectionnées par le superviseur, sont autorisées à tester leurs produits et leurs services auprès d’une clientèle réelles, tout en étant exemptés de certaines des exigences réglementaires associées.
Le gendarme des marchés financier se déclare défavorable à ladite approche qu’il considère comme inégalitaire et ne rentrant pas dans les compétences d’une instance de supervision. L’AMF prône une réglementation adaptée et non discriminante fondée sur une approche pragmatique et évolutive permettant de fédérer les acteurs traditionnels développant de nouvelles offres digitales et les porteurs de projets innovants.
L’AMF souligne qu’il conviendra également de « considérer la portée normative des choix technologiques effectués, dans un contexte où, par exemple, certains débats se sont cristallisés autour des choix stratégiques (et du changement de composition des membres) du consortium américain R3 consacré à la promotion du recours à la DLT, et du projet Hyperledger (sponsorisé notamment par la Fondation Linux) de développement de normes DLT open source ».
ii) Au niveau européen
Dans sa réponse publiée le 20 juillet 2017, l’AMF appelle à une règlementation européenne de la FinTechs compte tenu de l’aspect transnational de ses opérations.
Un « statut chapeau » européen s’appliquant à l’ensemble des plateformes globales offrant des solutions d’investissement globales dans le domaine des instruments financiers.
L’AMF déclare que « certaines questions posées par les acteurs ayant recours à des technologies disruptives mériteraient d’être étudiées au niveau européen. C’est par exemple le cas des technologies Blockchain qui pourraient faire l’objet d’un terrain expérimental au niveau européen. Un dispositif d’accompagnement des acteurs ayant recours à ces technologies de disruption pourrait ainsi être envisagé et ainsi, apporter une réponse juridique harmonisée à l’ensemble des juridictions de l’Union ».
L’AMF reconnaît que la plupart de ces questions restent à ce jour sans réponse au niveau international. Un certain nombre de concepts spécifiques (notamment les notions de « smart contract » et « d’actif digital (token) ») à cette technologie demeurent à ce jour sans définition juridique.
Toutefois, on peut regretter que pas une seule fois l’AMF aborde dans ces deux documents la question, qui fait débat actuellement, des ventes publiques d’actifs cryptographiques contre des crypto-monnaies, également dénommées « Initial Coins Offering » ou « ICO ».
En conclusion, si l’AMF est globalement favorable à la blockchain, les outils réglementaires dont elle a la disposition limitent l’action des startups blockchain. La réglementation actuelle, tant nationale qu’européenne ou internationale, semble souvent inadaptée, obsolète, voire complètement absente face à cette nouvelle technologie supranationale qui apporte tous les jours de nouvelles réponses et de nouvelles pratiques. Si, pour le développement des activités du secteur blockchain, une nouvelle réglementation est nécessaire, cette nouvelle réglementation devra tenir compte du nouveau paradigme qu’implique la blockchain et laisser une large part au droit souple (lignes directrices, bonnes pratiques ou normalisation volontaire).
Sources :
– AMF – Cartographie des risques 2017
– Réponse de l’AMF à la consultation de la Commission européenne sur les FinTech
A propos de l’auteur :
Avocat d’affaires au Barreau de Paris, Michelle Abraham est une ancienne collaboratrice de la Délégation des Barreaux de France à Bruxelles. Elle travaille actuellement sur les crypto-monnaies, les blockchains et le défi réglementaire que leur développement implique. Michelle Abraham est notamment membre de l’Association ChainTech et du Cercle du Coin et participe en tant que co-coordinatrice du comité Terminologie de la commission Blockchain de l’AFNOR.