Interview de Mark Karpelès

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Voici quelques extraits d’une interview de Mark Karpelès, ex-PDG de MtGox, publiée sur le Daily Beast le 17 septembre 2014.

Tout le monde dans la communauté Bitcoin de Tokyo parle de vous. Qui êtes-vous et d’où venez-vous ?

Karpeles : je suis un français de 29 ans, un entrepreneur, et la plupart du temps, je suis curieux. En d’autres termes, quand je vois quelque chose, je veux savoir comment cela fonctionne. Mes principales activités sont le codage et l’envoi de courriels. Je pense que le codage est un peu une forme d’art. Vous codez de la même façon qu’un écrivain écrit son livre et qu’un peintre peint son tableau. Lorsque vous êtes inspiré, vous ne pouvez pas vous arrêtez. Et parfois, même si vous vous forcez autant que vous le pouvez, l’inspiration ne vient pas.

Je suis né à Dijon, en France. Quand j’avais 3 ans, j’ai commencé à faire de la programmation de base. Je n’ai pas terminé mes études au lycée. En fait, je n’étais pas très bon à l’école. J’ai été mis dans une classe littéraire ce qui n’était pas nécessairement le meilleur environnement pour moi. J’avais l’habitude de démonter des calculatrices pour comprendre comment cela fonctionnait. Je suis quelqu’un de scientifique. J’ai une mémoire très largement basée sur les chiffres.

J’ai quitté la France pour Israël, où j’ai vécu neuf mois. En Israël, la guerre de Gaza a commencé. Quelqu’un a fait sauter la centrale dans un attentat terroriste, et nous avons eu une demi-journée sans courant. Pour une société d’informatique, c’est la pire chose qui puisse arriver. Ce jour-là, tous mes plans se sont envolés. Ce que j’étais en train de créer n’a pas abouti, alors je suis retourné en France. J’ai travaillé pour plusieurs sociétés à l’étranger, dont certaines au Japon, et j’ai tout fait pour être transféré là-bas. Je suis arrivé au Japon en 2009 et j’ai fondé une société appelée Tibanne le 29 Octobre.

Qu’est-ce qui vous a attiré en particulier au Japon ?

Eh bien, j’aime le niveau de vie que nous avons au Japon. J’ai oublié mon ordinateur portable sur un banc dans un parc à plusieurs reprises, et chaque fois que quelqu’un l’a ramené à moi. Dans le métro au Japon, même si les gens ne sont pas nécessairement de bonne humeur, ils sont néanmoins courtois. Cela vous incite à faire de même. Une fois, j’étais à Shibuya dans un parking avec certains de mes employés, et nous avons trouvé un portefeuille bien garni sur le sol, donc nous sommes allés le rapporter au poste de police le plus proche. Au Japon, la réciprocité est importante. C’est bien.

Comment vous êtes-vous mis au Bitcoin ? Est-ce parce que vous avez une grande compréhension de la finance et des systèmes bancaires ?

Fondamentalement, je suis plus d’un geek. Tout a commencé en 2010, quand un client français m’a demandé: « Pourrais-je payer en bitcoin ? » J’ai dit : « Bien sûr. » Et j’ai commencé m’y intéresser. Ce qui m’a intéressé dans Bitcoin était les aspects technologiques. En d’autres termes, le fait de maintenir une base de données globale d’une manière sécurisée. Le fait que chaque client dispose d’un portefeuille privé sécurisé. Avoir un système entièrement décentralisé. Aussi, bitcoin vous permet d’avoir une base de données publique. Bitcoin nécessite une communication très rapide entre toutes les parties concernées. Et la base de données commune ou le livre de comptes de Bitcoin est faite de façon à être consultable par tout le monde à tout moment. Il y a beaucoup de problèmes techniques qui sont des défis très intéressants en tant qu’ingénieur réseau ou en tant que programmeur.

Quelles sont les cinq choses que vous aimez et détestez le plus ?

J’aime les ordinateurs, la courtoisie, le Japon, les tartes aux pommes, et la cuisine, et conduire une voiture, ou partir en voyage. Je ne peux pas vraiment prendre l’avion pour le moment. Je suis plus en sécurité au Japon, et si je veux voyager à l’étranger je dois obtenir un permis de la cour japonaise qui a mis MtGox en faillite. Et, à moins d’une bonne raison pour moi de voyager, il est très peu probable qu’ils disent oui. Sinon, j’aime démonter de vieux ordinateurs ou appareils électroniques et essayer de les faire remarcher.

Je déteste les champignons, les poissons, sauf le thon et le saumon en sushi. Sinon, je déteste les conférences de presse et je voudrais éviter d’en refaire.

Qui est votre héros ?

Mettre toutes les bonnes choses en une seule personne est quelque chose de difficile. J’admire Neil deGrasse Tyson, l’astrophysicien et auteur de « Space Chronicles » et « Inexplicable Univers« . Mon héros est Iron Man (rires). J’aime l’action d’inventer et d’innover.

Que pensez-vous de ce que la vie vous a donné? Et qu’est-ce que les gens vous apportent ?

Jusqu’à présent, je pense avoir été vraiment chanceux. Et en même temps, je pense être malheureux quand je regarde la façon dont tout cela s’est terminé. C’est en fait assez horrible. Et j’espère vraiment que nous allons découvrir ce qui s’est réellement passé. Peut-être dans un avenir proche, nous serons en mesure de dire que nous faisions partie d’une révolution économique. Les Bitcoiners font l’histoire. Mais parmi les bitcoiners, il y a certains qui sont assez extrémistes je dirais, mais c’est une chose importante dans un sens. Il faut toujours viser la lune. Parce que si vous ne pouvez pas atteindre la lune, vous ne serez jamais dans les étoiles. N’hésitez jamais à réaliser votre rêve.

Qui sont les gens que vous avez vus le plus de ces dernières années ?

Les cinq dernières années, et surtout quand j’avais MtGox, c’était maison / travail, travail / maison. MtGox a utilisé toute mon énergie. Je n’ai pas vraiment eu le choix. À partir de 2012, nous avons commencé à rencontrer des problèmes avec les gouvernements, et je n’ai pas pu prendre de temps pour moi. Je me sens en quelque sorte mieux maintenant, parce que je passe moins de temps au travail et parce que je ne sais vraiment pas comment je pourrais améliorer la situation de toute façon. Cela dit, j’ai encore beaucoup de choses à régler.

Certains croient que Bitcoin est l’avenir de la finance. Certains disent que les gouvernements trouveront toujours des moyens de faire appliquer de nouvelles lois pour criminaliser bitcoin, car Bitcoin n’est pas un concept qui va de pair avec les banques centrales et l’existence même des gouvernements. Parlez-nous de votre point de vue.

À l’heure actuelle, les pires ennemis de Bitcoin sont les gens qui aiment Bitcoin. Particulièrement les pirates et tous ces gens, qui passent tout leur temps à essayer d’attaquer les services qui y sont liés, comme MtGox, par exemple. Je ne pense pas qu’il soit possible d’avoir un service d’échange de bitcoins sauf si vous avez une équipe qui travaille 24/7 pour détecter les attaques et maintenir la sécurité. Cela nécessite aussi un certain budget. Je pense que nous allons voir un autre MtGox l’année prochaine. En 2012, vous aviez l’effondrement de Bitcoinica [après un piratage]. Le prochain effondrement pourrait être encore pire. Ceux qui sont enthousiastes à propos de Bitcoin devraient faire plus attention.

Vous avez dit vous sentir libéré maintenant que tout est fini avec Mt. Gox. Pensez-vous encore à cela ?

C’est peut-être un peu fort comme mot, mais avoir quelqu’un qui entre dans votre serveur sans que vous le sachiez, est proche du viol, comme un viol virtuel. Ce n’est pas le mot approprié, pardonnez-moi, mais c’est ce que je ressens. Je crois que j’ai passé trop de mon temps à traiter avec les gouvernements et les banques. Tout le temps précieux que j’aurais du passer à coder et à maintenir le système, je l’ai dépensé dans des réunions avec des avocats, des banquiers, et des lobbyistes. C’est beaucoup de temps perdu pour faire face à la réglementation et d’autres choses qui s’opposent à ce que nous faisions, alors que mon temps aurait pu être plus efficacement dépensé.

Les banques sont généralement les premières à être inquiètes par rapport à Bitcoin, parce que leur système bancaire international est menacé par ce dernier. Malgré quelques problèmes, comme les prêts à haut risque, et toutes les histoires que nous entendons sur la mafia qui blanchit son argent, vous voyez les banques payer des montants impressionnants pour cela. Mais globalement, leur système fonctionne. Elles ne souhaitent donc pas accueillir quelqu’un comme Satoshi Nakamoto, qui les oblige à réapprendre ce qu’elles font. Avec Bitcoin, elles ont tout à coup un système bancaire qui n’est pas à jour. Cela représente un énorme changement et beaucoup de frais supplémentaires si toutes les banques du monde doivent tout reprendre à zéro.

Après la faillite de MtGox, la police japonaise a ouvert une enquête sur cette affaire. Beaucoup croient que la police japonaise n’a jamais eu les compétences nécessaires pour résoudre ce problème. Certains créanciers de Mt.Gox ont lancé une enquête indépendante. Que pensez-vous de cette initiative ?

Je pense que les gens qui ont lancé cette initiative sous-estiment légèrement la police japonaise s’ils pensent qu’elle ne progresse pas. Je n’ai pas tous les détails, mais j’en ai plus que la plupart des gens. Et sur cette base, je pense que la police japonaise est très efficace.

Mais je soutiens totalement l’idée que plusieurs personnes commencent leurs propres enquêtes indépendantes. C’est généralement une bonne idée d’avoir plusieurs regards sur le même problème. La police ne signale pas ce qu’elle fait. C’est pourquoi on peut penser qu’elle ne fait rien.

Personnellement, je soutiens leurs efforts pour trouver le ou les coupables. La méthode utilisée est moins importante que le résultat pour moi.

Avez-vous lu les œuvres complètes de Satoshi Nakamoto, le fondateur de Bitcoin ?

Non, je n’ai pas lu « le » livre. Ces jours-ci, j’ai lu plus de livres comme, What If ?: Serious Scientific Answers to Absurd Hypothetical Questions, par Randall Munroe. Et j’essaie d’imaginer toutes les possibilités pour encadrer un problème.

Quelle est la question que vous auriez voulu qu’un journaliste vous pose et que personne ne vous a jamais posé ?

C’est une bonne question. Eh bien, j’aurais voulu que quelqu’un me demande comment je fais. Je pense que tout le monde me voit comme « Monsieur Mt. Gox, « et pas assez comme un être humain, ou tout simplement comme une personne. Bien que je ne partage pas toujours ce que les êtres humains pensent, ou la façon dont ils réagissent. Tout le monde a besoin de l’interaction humaine.

Source : The Daily Beast