ICO – Une nouvelle forme de financement des entreprises à encadrer afin de protéger les investisseurs

EN QUELQUES MOTS

Le concept d’ICO, acronyme d’Initial Coin Offering, qui surfe sur la vague de la Blockchain, vient concurrencer l’opération traditionnelle d’IPO. Si cette dernière désigne l’introduction en bourse d’une société par la mise à disposition du public de titres de son capital sous forme d’actions, la seconde présente des caractéristiques fondamentales différentes.

 

1. Qu’est-ce qu’une ICO ?

Une ICO est une opération de levée de fonds en crypto-monnaie dont la contrepartie est l’émission de jetons, plus communément appelés tokens, créés sur un protocole Blockchain au travers de Smart Contracts. Cet actif numérique peut avoir des propriétés et une utilité différentes, en fonction de la décision de l’entreprise à l’origine de l’ICO. Ils pourront représenter, de manière non exhaustive, l’imagination étant sans limite, des parts de capital (investment token), une monnaie (payment token) ou encore un droit d’usage futur du service offert par l’émetteur (utility token). Dès l’émission de ces tokens, ceux-ci peuvent être échangés sur des plateformes de trading contre d’autres actifs numériques ou une monnaie fiat (euro, dollar…).

Les ICO constituent une alternative intéressante au crowdfunding, notamment pour financer la phase d’amorçage. Le déroulement d’une levée de fond via ICO se déroule généralement en cinq étapes :

1. Le choix de la Blockchain permettant de gérer l’ICO (Ethereum, Stellar, Waves…)
2. L’annonce de l’ICO par la publication d’un « executive summary » qui résume les objectifs poursuivis par l’entreprise
3. La publication de l’offre au travers d’un « White Paper » et, souvent, d’un site internet qui indiquent l’ensemble des caractéristiques de l’opération et notamment l’utilité des tokens
4. La vente des jetons de manière automatisée contre la monnaie requise par l’émetteur souvent le Bitcoin ou l’Ether. Cette étape peut être précédée d’une preICO qui consiste en la vente des tokens en avant-première aux early adopters en contrepartie d’un prix plus avantageux

Du point de vue de l’investisseur, le processus de souscription à une ICO repose généralement sur quatre étapes qui s’établissent, en moyenne sur une période allant d’une à douze semaines :
1. L’inscription sur le site de l’ICO
2. Le transfert des crypto-monnaies pour financer le projet (souvent Bitcoins ou Ethers) au travers d’un simple virement du wallet de l’investisseur vers le Smart Contract de l’ICO
3. La vérification du profil investisseur (KYC)
    ► Le processus KYC n’est généralement activé que si l’investisseur investit au-delà d’un certain montant prédéfini par l’émetteur
    ► Le module KYC peut prendre plusieurs formes (manuel, automatique, on-chain, off-chain, par email, page internet dédiée…)
4. La livraison des tokens
Modes de livraison
    ► Automatiquement après la validation de la transaction sur la Blockchain
    ► A l’échéance de l’ICO (en fonction de la date fixée ou à l’atteinte du hard cap)
    ► Étalée sur la durée après la fin de l’ICO, particulièrement pour les early adopters, afin d’éviter la pratique de dumping, qui consiste en la liquidation en masse et la baisse du cours
Adresse de livraison
    ► Le wallet de livraison de tokens doit être conforme au standard utilisé pour développer le token (exemple : ERC20)
    ► Un wallet de plateforme d’échange peut être utilisé, à condition qu’elle soit décentralisée

 

2. Une capitalisation de 40 Mds$

La première opération automatisée d’ICO a eu lieu en 2013 avec Mastercoin, devenu Omni, une start-up écossaise qui a mis en place une plate-forme de création et de négociation d’actifs et de devises numériques personnalisés, qui a collecté plus de 5 000 bitcoins d’investissements. Après une levée de fonds de 18 M$ en 2014, le projet Ethereum incarne l’exemple type d’une ICO réussie puisque sa capitalisation à ce jour avoisine les 50 Mds$. Le nombre d’ICO est resté faible jusqu’à fin 2016 avec une centaine de millions de dollars levés auprès des investisseurs.

Ce n’est qu’en 2017 que la croissance des opérations d’ICO connaît une ascension fulgurante. Si l’on considère les différents marchés secondaires des jetons issus de ces opérations, la capitalisation de ce marché atteindrait aujourd’hui 40 Mds €. Sur la même année, ces levées de fonds représentent 2,5% des fonds levés en IPO.

Certaines ICO rencontrent un franc succès auprès des investisseurs. C’est le cas de Filecoin, société américaine de systèmes de stockage de données basés sur la Blockchain, avec une levée de fonds de 257 M$. Le second succès international est Tezos, société américaine souhaitant créer une nouvelle monnaie présentée comme plus fiable que le Bitcoin, avec une levée de fonds de 232 M$.

Si la tendance se poursuit en 2018, plus de 20 Mds$ pourraient être levés au travers d’ICO. Un avenir prometteur pour cet actif numérique bouleversant les codes du marché financier.

 

3. Une concurrence accrue pour l’industrie financière ?

Dans un marché en pleine mutation avec l’arrivée de nouveaux entrants tels que les fintechs et les sites communautaires, la concurrence était déjà rude depuis quelques années pour l’industrie financière.

Pourtant, la concurrence s’intensifie et les ICO « uberisent » les fintechs existantes telles que les plateformes de crowdfunding créées il y a moins de 10 ans. Les fintechs ne sont pas les seules concernées par l’avènement des ICO. Le Venture Capital, assurant le lien entre investisseurs et entrepreneurs aux projets ambitieux, entre en lice de désintermédiation par les ICO. Les entrepreneurs sont inévitablement séduits par la simplicité et la rapidité des levées de fonds en l’absence d’intermédiaires et de cadre règlementaire et fiscal.

Les ICO ressemblent par certains aspects au crowdfunding. Lorsque l’ICO prend la forme d’une émission de titres financiers elle s’apparente à du crowdequity. Cependant les ICO donnent rarement accès au capital, auquel cas il s’agit plutôt d’une pré-vente de services ou de biens qui s’apparente davantage au crowdfunding de type dons.

Pour les investisseurs, les ICO constituent un actif financier attractif qui vient concurrencer le marché de l’épargne financière. Les produits d’épargne classiques (private equity, hedge fund, titres non cotés…) sont encadrés et taxés. L’investissement dans ce type d’instruments se conçoit dans un horizon moyen/long terme pour assurer la rentabilité recherchée car la volatilité est faible. Au contraire, les ICO sont perçues comme un investissement court terme assurant une rentabilité conséquente due à une volatilité importante. Leur attractivité est donc forte auprès des investisseurs alors même qu’il s’agit d’actifs très risqués.

Ce type d’investissement alternatif a pourtant du mal à s’imposer en France. Une des raisons en serait l’aversion au risque des épargnants, peu enclins à se lancer sur ce nouveau marché « méconnu », et une presse sceptique. La tendance est tout autre dans les pays anglo-saxons où le common law laisse plus de marge de manœuvre aux initiatives et à la nouveauté.

De nombreux régulateurs s’interrogent sur les risques d’une bulle et de faux projets pouvant conduire les investisseurs à des pertes très importantes du fait qu’aucun dispositif de contrôle permettant de protéger l’investisseur n’existe. Dans ce contexte, quel sera l’avenir des ICO ? Seront-elles encouragées et règlementées comme nouvelles sources de financement de l’économie ? Avec la remontée des taux d’intérêts liée à la fin des mesures non conventionnelles des principales banques centrales et l’enjeu pour l’économie européenne, notamment française, de passer d’un modèle de financement par les banques à un modèle de financement par le marché, il existe une opportunité de faire évoluer la culture des investisseurs pour contribuer au financement de projets innovants.

 

4. Les risques et limites impliqués par cette nouvelle forme de financement

Etant donné la pluralité de la nature des droits potentiels acquis par les investisseurs, ce nouveau mode de financement soulève plusieurs questions juridiques, fiscales et règlementaires.

Le risque principal lié à l’opération d’ICO n’est autre que la valeur d’usage réelle du token reçu en contrepartie de l’investissement puisque dans la plupart des opérations, ces derniers ne portent pas de véritable droit financier ou de vote. Dès lors, l’intangibilité du token en fait un objet purement spéculatif dont la valeur sera essentiellement déterminée par l’émetteur, qui fixera un ratio entre le coût d’utilisation de ses nouveaux services sur sa plateforme et les tokens émis. La définition de la nature juridique du token représente ainsi la première limite du phénomène.

De cette incertitude juridique découle un environnement règlementaire opaque et l’absence d’organe de contrôle. L’AMF, qui considère ces opérations comme « risquées » et « réservées à un public averti et technophile » a donc publié en février dernier une synthèse des réponses à sa consultation publique sur les ICO. L’hypothèse de la mise en place d’un nouveau cadre législatif et réglementaire adapté aux ICO a été retenue dans le cadre de la loi Pacte.

Au-delà de l’absence de garanties du jeton, le risque de fraude associé à ces opérations d’un nouveau genre se multiplie au même rythme que leur succès auprès des investisseurs s’accroît. Plusieurs procès pour fraude à l’image de celui contre Tezos ou Giga Watt se succèdent, pour absence de livraison de tokens ou retard dans les projets annoncés. Dans le cadre de sa consultation publique, l’AMF a publié les bonnes pratiques permettent de qualifier la fiabilité d’une ICO :
    ► Le projet lié à l’ICO et son évolution
    ► Les droits conférés par le token (usage, devenir)
    ► La juridiction compétente en cas de litige
    ► Le traitement économique et comptable des fonds collectés
    ► Les informations sur les porteurs de projet
    ► Les informations sur les phases de prévente et de vente, et les tokens distribués gratuitement

Les crypto actifs étant par nature très volatiles, les montants levés par ICO peuvent fluctuer considérablement et mettre en danger les porteurs de projet ainsi que leurs investisseurs. A titre d’exemple, l’ICO du projet Bancor a réussi à lever le 12 juin 2017 l’équivalent de 153 M$ en Ether et a subi une perte de 34 M$ en 72h quand l’Ether a chuté de 22%. Le risque de perte en capital lié à la volatilité des crypto-monnaies est donc une autre limite du phénomène.

Néanmoins, le concept d’ICO est en amélioration continue, notamment pour faire face aux nombreux faux projets et pour répondre aux besoins de liquidité des émetteurs. A ce titre, le Secondary Coin Offering (SCO) est une démarche qui passe par le blocage d’une partie des tokens offerts lors d’une ICO et l’organisation d’une 2ème session d’ICO pour lever des fonds supplémentaires a posteriori. Le Decentralized Autonomous ICO (DAICO), améliore quant à lui le processus d’ICO avec la mise en place d’un mécanisme permettant d’allouer les fonds par période du projet, de débloquer des fonds d’une façon démocratique (par vote à la majorité), et de prévoir le remboursement des fonds restants par vote.

Les ICO sont souvent considérées comme une bulle spéculative par des économistes, des banques et même par certains acteurs clés du milieu de la Blockchain comme Vitalik Butterin, fondateur du projet Ethereum. Pourtant, l’explosion des usages et des montants levés montre l’engouement tant des entreprises que des investisseurs pour cette nouvelle forme d’investissement. La question se pose donc de l’avenir de cette dynamique et de l’opportunité de définir un cadre réglementaire adapté pour en assurer sa pérennité.

 


Les auteurs

Lina BEN AMMAR : Diplômée du Master d’Economie et d’Ingénierie Financière de l’Université Paris Dauphine, Lina a eu différentes expériences en banques d’investissement et en Asset management. Ces dernières lui ont permis de se familiariser avec une famille de produits financiers divers et notamment développer une curiosité à l’égard de l’univers de la crypto-monnaie.

Mélissa Freundlich : Consultante senior chez Ailancy, cabinet de conseil indépendant spécialisé dans les métiers de la banque de la finance et de l’assurance. Elle intervient chez ses clients sur des missions de transformation digitale et parcours clients. Elle voue un fort intérêt à toutes les nouvelles technologies IA, blockchain, RPA.