Bitcoin au Sénat : Un examen réussi

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Les journalistes étaient nombreux mercredi matin (le 15 janvier) au Palais du Luxembourg pour assister à « l’audition conjointe sur les enjeux liés au développement des monnaies virtuelles de type Bitcoin » par à la commission des finances. De l’avis des observateurs, les défenseurs de Bitcoin, particulièrement Gonzague Grandval, ont marqué des points (voir les deux vidéos)

Présidée par Philippe Marini, sénateur UMP de l’Oise, cette audition a réuni des responsables de la direction générale du Trésor, de la Banque de France, de TRACFIN (Traitement du Renseignement et Action contre les Circuits FINanciers clandestins), de la FING (Fondation Internet Nouvelle Génération), du DNRED (Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanière) et Gonzague Grandval, président de PAYMIUM (Bitcoin-Central). Si les premières interventions semblaient mettre l’accent sur les risques et les dangers de « monnaies non réglementées », le résultat final de cette audition semble plutôt positif. Les autorités sont désormais conscientes du retard de la France pour ce qui concerne les devises numériques. Il n’est donc pas question de rendre Bitcoin illégal mais d’instaurer une régulation, qui contribuerait à la fois à sa sécurité juridique et à sa prise en compte fiscale.

Voilà le compte rendu de cette audition :

 

M. Philippe Marini, président.
– Certains ont pu être surpris que nous décidions d’organiser l’audition de ce matin, mais il n’y a pas lieu de l’être : la commission des finances du Sénat, depuis 2008-2009, s’efforce d’approfondir sa compréhension des changements, souvent de très grande portée, liés à l’irruption du numérique dans la vie économique et financière. Nous avons pris ce sujet par différents angles, notamment fiscal. Nous avons ainsi été la première instance parlementaire à missionner un cabinet indépendant pour mieux comprendre les enjeux en matière de fiscalité des entreprises multinationales du numérique. Naturellement, la fiscalité n’est pas tout. Les considérations relatives à la politique monétaire, à la protection des opérateurs et des épargnants, à la sécurité du système financier sont également, parmi d’autres, des préoccupations qui peuvent être bousculées par l’évolution spontanée des technologies et des pratiques.

Nous pensons être dans notre rôle lorsque nous nous efforçons de creuser ce sillon. C’est ce que nous avons fait avec deux de nos collègues ici présents, Albéric de Montgolfier et Philippe Dallier, rapporteurs spéciaux de la mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines », qui nous ont présenté un rapport très concret, nourri de leurs contrôles sur pièces et sur place, sur le rôle des douanes dans la lutte contre la fraude sur Internet. Nous avons pu observer que, en la matière, ce n’est pas une petite faille, c’est un énorme fossé qui est en train de se créer. Tout ceci appelle des réponses à la fois organisationnelles et normatives au plan national et européen. De fait, ces problématiques liées à l’essor de l’économie numérique ont pour caractéristique de ne pas pouvoir être enfermées dans l’hexagone mais de devoir être traitées en conformité avec le droit communautaire, qui lui-même n’a qu’une vision partielle des choses.

Pour cette audition conjointe, j’ai le plaisir d’accueillir six intervenants :

– Mme Delphine d’Amarzit, chef du service du financement de l’économie de la direction générale du Trésor ;

– M. Denis Beau, directeur général des opérations à la Banque de France ;

– M. Jean-Baptiste Carpentier, directeur du service Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins (TRACFIN) ;

– M. Jean-Michel Cornu, directeur scientifique de la fondation Internet nouvelle génération (FING) ;

– M. Jean-Paul Garcia, directeur national du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED) ;

– M. Gonzague Grandval, président de Paymium SAS.

Pour lancer le débat, je me bornerais à citer un document adressé au Sénat américain en novembre 2013, dans lequel Ben Bernanke estime que les monnaies virtuelles sont « prometteuses à long terme pour autant qu’elles deviennent plus sécurisées ». C’est une formule très équilibrée, qui ne veut pas apparaître hostile à l’innovation mais qui reste soucieuse de sécurité !

Êtes-vous d’accord avec cette analyse ? Pensez-vous que l’essor des monnaies virtuelles est inéluctable ou bien qu’il s’agit d’une simple expérience qui n’a pas vocation à prendre de l’ampleur ?

En d’autres termes, il faut nous aider à nous situer dans ce monde nouveau. Nous ne pouvons plus faire semblant de gérer seulement les choses qui ne nous posent pas de problème conceptuel, alors que la réalité contourne les réglementations, la fiscalité et les régulations financières. La course est sans fin, sinon entre les gendarmes et les voleurs, du moins entre les entreprises et les autorités publiques.

M. Denis Beau, directeur général des opérations à la Banque de France.
– Je soulignerai en introduction que le terme de « monnaie » ou « de moyen de paiement », appliqué aux bitcoins est largement un abus de langage pour des raisons à la fois économiques et juridiques.

En effet, selon une définition économique généralement admise, la monnaie est un actif qui remplit trois fonctions : unité de compte, instrument d’échange, réserve de valeur. Les bitcoins et autres dispositifs similaires ne répondent que très partiellement et imparfaitement à cette définition de la monnaie.

S’ils fournissent une unité de compte, leur fonction d’échange est limitée aux seuls commerçants, principalement sur Internet, ayant pris volontairement l’engagement, qu’ils peuvent remettre en cause à n’importe quel moment, d’accepter les bitcoins en règlement de biens et services.

Leur fonction de réserve de valeur est pour le moins incertaine : leur convertibilité en monnaie légale est aléatoire et leur valeur très fortement variable.

En outre, l’émission et la gestion de bitcoin ne relèvent pas du champ des moyens de paiement reconnus par notre code monétaire et financier, et en particulier de la monnaie électronique à laquelle on pourrait être tenté de les assimiler, car ils ne sont pas émis contre la remise de fonds. Ils ne bénéficient pas de ce fait d’une garantie de remboursement au pair dans la monnaie qui a cours légal, c’est-à-dire l’euro émis par les banques centrales de l’Eurosystème, ou dans les monnaies de banque qui lui sont strictement liées, c’est-à-dire celles émises par les institutions bénéficiant d’un statut d’établissement de crédit ou d’émetteur de monnaie électronique.

Du fait de l’apparition de plateformes permettant l’achat et la vente des unités de compte virtuelles comme le bitcoin contre de la monnaie ayant cours légal ou relié à elle, un nombre croissant d’utilisateurs peuvent acquérir ces unités de compte virtuelles. De plus, du fait de la faiblesse du coût d’utilisation de ces unités de compte virtuelles, certains pourraient être tentés d’y voir une alternative attractive aux monnaies et moyens de paiement dont l’émission et la gestion est régulée, en particulier pour régler des transactions sur Internet.

Une telle perspective ne peut laisser indifférent une banque centrale comme la Banque de France, chargée par le législateur de s’assurer de la sécurité des systèmes et des moyens de paiement, car elle pourrait conduire à une fragilisation de notre système de paiement du fait du développement des dispositifs les moins disant en matière de sécurité, source de risques pour leurs utilisateurs et pour notre économie de façon plus générale.

La sensibilisation des utilisateurs de monnaies virtuelles comme les bitcoins aux dangers associés à leur utilisation est donc particulièrement nécessaire et importante. C’est pourquoi la Banque de France a, comme d’autres banques centrales et autorités publiques en Europe, en Asie et aux Etats-Unis, publié le 5 décembre 2013 un document dans lequel elle souligne en particulier deux de ces dangers.

De par leur caractère anonyme, les monnaies virtuelles comme le bitcoins peuvent être utilisés pour contourner les règles relatives à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. Je laisserai sur ce point le soin aux intervenants suivants de développer cette problématique.

Les monnaies virtuelles comme le bitcoin font peser un risque financier fort sur les acteurs qui les détiennent. En effet, aucune autorité ne veille à la mise en place des conditions nécessaires pour assurer la sécurité des « coffres-forts » électroniques qui permettent le stockage des unités de compte virtuelles tel que les bitcoins. Dans ce contexte, les détenteurs n’ont aucun recours en cas de vol de ces unités de compte par des pirates informatiques, les « hackers ». En outre, leur convertibilité en monnaie ayant cours légal, nécessaire pour tirer les bénéfices d’une spéculation sur l’évolution de leur valeur, n’est pas garantie. Ainsi, les investisseurs ne peuvent récupérer leurs gains que si d’autres utilisateurs désirent acquérir les unités de compte virtuelles. Le système peut donc à tout moment s’effondrer lorsque les investisseurs veulent dénouer leurs positions mais se trouvent détenteurs d’avoirs devenus illiquides.

De ce fait, un commerçant ne pourra pas accepter de manière significative les paiements en unités de compte virtuelles sans s’exposer à des risques substantiels Il s’agit d’abord d’un risque de liquidité lié à la faible profondeur du « marché » d’achat/vente de ces unités de comptes en monnaie virtuelle contre une monnaie ayant cours légal ou liée strictement à celle-ci ; ensuite d’un risque financier lié à la volatilité du cours des monnaies virtuelles ; enfin, d’un risque opérationnel lié notamment à l’absence de garantie financière en cas de fraude.

Il en est de même pour les consommateurs. Ces derniers, qui disposent en réglant leurs transactions en euro des garanties associées aux moyens de paiement couverts par la directive concernant les services de paiement, notamment de remboursement en cas de paiement non autorisé, ne peuvent bien évidemment se prévaloir d’aucune garantie équivalente dans le cas d’utilisation de monnaies virtuelles.

Cette prise de conscience des caractéristiques et dangers liés à l’utilisation des monnaies virtuelles, qui n’en font pas de parfaits substituts à la monnaie légale et aux moyens de paiement scripturaux apparaît d’autant plus nécessaire qu’il existe aujourd’hui des solutions non seulement sûres mais également efficaces de paiement sur Internet. Je rappellerai à ce titre les efforts entrepris en France pour renforcer la sécurité des paiements par carte sur Internet par la mise en oeuvre de dispositifs d’authentification renforcée (code unique bien souvent reçu par SMS pour valider le paiement), sous l’impulsion notamment de l’Observatoire de la sécurité des cartes de paiement, et désormais reconnue au niveau européen par le projet de révision de la directive sur les services de paiement et les recommandations du Forum européen sur la sécurité des moyens de paiement « Secure Pay ».

M. Philippe Marini, président.
– Je vous poserais une question très simple : le bitcoin est-il de la fausse monnaie ?

M. Denis Beau.
– Ce n’est pas une monnaie.

M. Gonzague Grandval, président de Paymium SAS.
– Effectivement bitcoin n’est pas une monnaie, c’est avant tout une technologie, qui est libre et qui existe depuis plus de cinq ans. Elle a été spécifiée en 2008 et mise en activité en janvier 2009.

Plus précisément, c’est un protocole technique. C’est un réseau de transactions sur Internet complétement décentralisé, pair-à-pair (peer-to-peer) et « open source ». C’est également une unité de compte qui circule sur ce réseau.

Parler de bitcoin en ne parlant que de l’unité de compte, c’est oublier la moitié du sujet, qui est le réseau de transactions électroniques. Il a d’ailleurs toujours été défini comme un système de paiement électronique et non comme une monnaie.

Ce système a de la valeur pour deux raisons. D’une part, il existe avec un nombre d’utilisateurs important, avec une puissance de calcul informatique également très importante, avec une résilience forte et une sécurité qui s’accroît de jour en jour. D’autre part, l’une des caractéristiques de l’unité de compte bitcoin est d’être émise en quantité limitée. Le bitcoin est donc rare et pourrait être assimilé à une action du réseau bitcoin. C’est un statut un peu hybride.

Les paiements électroniques peuvent être opérés de trois manières différentes. Le système classique, par carte bancaire, met en présence quatre acteurs : le marchand et l’acheteur, ainsi que leurs deux banques. Ce système de paiement est fondé sur le prélèvement du montant à payer sur le compte de l’acheteur. Il est susceptible de générer des fraudes puisque l’acheteur est obligé de révéler l’ensemble des informations bancaires pour procéder aussi bien à un paiement de 5 euros que de 1 000 euros.

Il existe également un système à trois acteurs, privatif, de type American Express, où l’intermédiaire financier est à la fois le prestataire du marchand et de l’acheteur.

Enfin, on trouve les systèmes de pair-à-pair : le marchand est directement en relation avec l’acheteur. Bitcoin est le premier véritable réseau de pair-à-pair sans tiers de confiance au milieu. La confiance est distribuée à l’ensemble des participants au réseau.

Je voudrais souligner que le protocole bitcoin étant libre, l’ensemble de la technologie appliquée est auditable par tout le monde et cela depuis cinq ans. On peut donc dire que la technologie est extrêmement sûre et fiable. Je ne m’attarde pas sur ces aspects techniques.

En tant que technologie innovante, nous, Paymium, assimilons bitcoin à Internet, le courriel ou encore la voix sur IP. En leur temps, ces technologies, libres, ont été beaucoup décriées et ont bouleversé de nombreuses habitudes. Bitcoin est le premier protocole libre en matière de paiement électronique. Ce doit être un élément suffisant pour considérer que cette technologie est à l’origine d’opportunités importantes dans le domaine du paiement, comme le courriel l’a été dans le domaine des télécommunications.

Il existe aujourd’hui plusieurs moyens de paiement électroniques, tels que Paypal, Paylib, Buyster, etc. qui ont un point en commun, à savoir celui d’être privatifs. Si vous êtes porteur d’un moyen de paiement Paypal ou Buyster, vous ne pouvez pas payer sur un moyen différent de celui que vous possédez. Et pourtant, vous parlez de la même monnaie, vous êtes dans le même pays et vous disposez des mêmes banques. Dès lors, l’accès à ces moyens de paiement est limité et leur développement semble voué à l’échec.

Il y a trente ans, en France, a été créé le Groupement Carte Bancaire, qui a eu un mérite, unique dans le monde entier, celui de développer l’usage de la carte bancaire grâce à l’interbancarité. On ne se pose pas la question de savoir si, en tant que client d’une banque, on peut payer chez un marchand dont le compte est ouvert dans une autre banque. Réaliser un tel groupement dans le cadre des paiements électroniques serait un effort insurmontable pour le concrétiser à l’échelle au moins européenne.

Pour promouvoir l’interopérabilité des moyens de paiement, il faut s’adosser à des technologies libres pour que tout le monde soit d’accord sur la technologie utilisée. Bitcoin peut être cette technologie et nous le considérons comme une passerelle et comme un moyen d’interopérabilité entre les moyens de paiement au bénéfice des porteurs et des marchands, mais aussi des banques et des tiers de confiance qui vont pouvoir construire des solutions adossées à ce protocole.

Pour finir, je voudrais parler de Bitcoin Central, qui est le coeur de l’activité de Paymium. Il s’agit d’une place de marché sur laquelle des acheteurs et des vendeurs peuvent acquérir ou vendre des bitcoins contre des euros, ou inversement. Elle fonctionne en partenariat avec un établissement de paiement, organisme agréé par la Banque de France, autorisé à effectuer des activités de paiements électroniques. Il réalise la tenue de compte de nos clients, en euros, dans le respect des règles prudentielles de connaissance des clients, et ce dès le premier centime d’euro sur chacune des transactions.

La sécurité, chez Bitcoin Central, est un point majeur et nous pratiquons un stockage des bitcoins de nos clients totalement en dehors du réseau. Notre territoire, c’est l’Europe car il n’existe pas de marché français. Le marché est majoritairement américain puis nord-européen. En France, il est le moins développé des pays européens. Il est de notre devoir de faire croître notre activité partout en Europe pour créer un acteur majeur dans le domaine du paiement électronique, qui s’appuierait sur une réglementation française et européenne depuis l’origine.

M. Philippe Marini, président.
– A-t-on une idée du volume des transactions annuelles en France sur cet instrument ?

M. Gonzague Grandval.
– Les utilisateurs français de bitcoins ne sont pas cantonnés à la France. En tant qu’opérateur, nous avons une idée de l’activité sur notre place de marché. En revanche, il est difficile d’estimer le volume d’activité en France à proprement parler. Il me paraît néanmoins important de souligner que les utilisateurs français de bitcoins ne cantonnent pas un tel usage à la France. Au contraire, actuellement, ils l’utilisent majoritairement dans des pays étrangers. Toutefois, on assiste à un intérêt croissant des marchands français pour le bitcoin.

M. Philippe Marini, président.
– Vous nous parlez de Bitcoin Central, de l’architecture du système, du réseau. Il y a sans doute des moyens puissants permettant à tout cela de fonctionner. À qui cela appartient-il ? À qui cela rapporte-t-il ?

M. Gonzague Grandval.
– Le système lui-même n’appartient à personne d’autre qu’à ses utilisateurs. La valeur du réseau est uniquement fondée sur le nombre d’utilisateurs et l’usage qu’ils font de ce réseau.

M. Philippe Marini, président.
– Vous dites que cela n’appartient à personne mais les profits appartiennent aux grands opérateurs internationaux qui utilisent ces canaux. Ce n’est pas du bénévolat !

M. Gonzague Grandval.
– Les profits liés au réseau bitcoin à proprement parler viennent uniquement servir les processeurs du réseau bitcoin, c’est-à-dire des pairs dans le réseau de pair-à-pair. Ce sont des profits internes au réseau. En revanche, sur ce réseau se constituent des activités commerciales comme la nôtre, qui ont effectivement vocation à générer des profits.

M. Jean-Michel Cornu, directeur scientifique de la fondation Internet nouvelle génération.
– Depuis trois ans, ma fondation a réalisé des travaux sur l’innovation monétaire, avec l’aide d’une centaine de personnes : des banquiers, des économistes, des innovateurs ou de simples citoyens. Nous avons cherché à comprendre quelles en sont les opportunités et les risques. On crée actuellement de la valeur par l’innovation. Il existe plusieurs types d’innovations, et l’innovation technologique n’est pas suffisante aujourd’hui. Dans ce contexte, l’innovation économique, dont fait partie l’innovation des mécanismes de type monétaire, présente des opportunités pour développer d’autres types d’innovations, mais également des risques.

Par rapport à cette problématique générale, je pense qu’il convient de distinguer plusieurs catégories et je vais m’efforcer d’élargir quelque peu le propos, au-delà du bitcoin et des monnaies virtuelles. En effet, il existe en réalité un certain nombre de monnaies dites complémentaires : il y a tout d’abord les monnaies non économiques, tels que les fameux systèmes d’échanges locaux (SEL), qui posent un certain nombre de questions déjà abordées dans le cadre de plusieurs instances ; il y a, ensuite, les monnaies de réputation (twollar, exploracoeur), qui facilitent le fonctionnement des réseaux sociaux et ont donc un impact monétaire limité. Dans cette catégorie, je citerai également, plus récemment, les « donnaies », qui sont destinés à faciliter les dons.

Ce qui nous intéresse ici, ce sont les mécanismes monétaires ayant trait aux échanges, notamment commerciaux : on peut citer à cet égard les monnaies locales complémentaires, dont le champ d’échange est limité à un territoire (Sol-Violette à Toulouse, Heol à Brest), ou les monnaies affectées, qui, elles, ne se restreignent pas au territoire mais à l’usage que l’on en fait. Ainsi, à Curitiba, au Brésil, il existe une monnaie que l’on ne peut gagner qu’en triant ses déchets, et qu’on ne peut dépenser qu’en prenant les transports en commun. Cette petite monnaie, qui représente l’équivalent d’une masse monétaire insignifiante, a permis la réalisation de transformations énormes et d’économies gigantesques au point que Curitiba est devenue la capitale verte du Brésil. Cet exemple démontre que l’impact de ce type de monnaies ne relève pas seulement de la masse monétaire.

Enfin, il y a les monnaies alternatives, qui ne se limitent pas seulement à l’échange, mais revêtent des aspects économiques comme investir, prêter ou spéculer. Dans cette catégorie, on peut citer des monnaies anciennes comme le wir suisse, monnaie qui permet de maintenir les échanges en période de crise. Elle existe depuis 1933 et représente 25 % des PME suisses, soit 90 000 PME. On dit que c’est une monnaie facile à gagner, mais plus difficile à dépenser. Par exemple, aujourd’hui, vous pouvez acheter votre maison en wir, avec une particularité : il n’y a pas de conversion possible, contrairement au bitcoin. Un wir égale un franc suisse, mais il est absolument impossible de le convertir : il s’agit donc d’un système monétaire totalement autonome. On peut, à cet égard, citer d’autres systèmes : le SCEC en Italie ou le solidario en Argentine. Cette dernière monnaie a eu un impact assez marginal jusqu’à la crise, au cours de laquelle elle a permis à de nombreuses personnes de survivre, avant de redevenir, par la suite, un épiphénomène.

Le caractère virtuel a permis de faciliter le développement de ce type de monnaies, certaines étant plus nouvelles, intéressantes et innovantes comme le bitcoin ou OpenUDC.

Je vais vous proposer trois critères pour essayer d’analyser et d’apprécier les risques et opportunités associés à l’innovation monétaire. Ces trois critères sont :

– le poids de la masse monétaire : par exemple, si l’on interdit ces monnaies, il n’y aura pas d’innovation, mais cela pose-t-il un problème du point de vue de la politique monétaire ? – la transparence, au-delà de la question du blanchiment, c’est-à-dire la question de la taxation et du financement de la collectivité : sans transparence, on rencontrera des difficultés pour financer la collectivité. Quel est le niveau de transparence adéquat ?

– la dérive spéculative : la spéculation est une bonne chose – spéculer veut dire prévoir – mais lorsque la spéculation sur la monnaie devient supérieure à celle sur les biens, on peut avoir des problèmes, qui concernent aussi bien les monnaies virtuelles que les monnaies classiques. L’autre aspect de la dérive spéculative tient à la question du change et de l’instabilité qui peut exister entre les différentes monnaies.

S’agissant plus particulièrement du bitcoin, monnaie virtuelle et décentralisée, la masse monétaire doit être limitée, à terme, à 21 millions de bitcoins. Les quatre premières années, il y avait 2,6 millions de bitcoins créés par an. A partir de cette année, seuls 1,3 million de bitcoins seront créés par an, pour les quatre ans à venir. Concrètement, quelle valeur représente le bitcoin ? Actuellement, début janvier 2014, il y a environ 12 millions de bitcoins en circulation, pour une valeur de l’ordre de 7 milliards d’euros au cours actuel sur l’ensemble de la planète, soit 0,3 pour mille du PIB français. C’est à la fois beaucoup et peu.

La deuxième question qui se pose tient au fait que cette valeur de masse change en fonction du cours du bitcoin. Le cours d’introduction du bitcoin, en 2009, était de 80 millions d’euros. On estime que, fin 2014, il atteindra 10 milliards d’euros. Mais il est difficile de connaître sa valeur en 2040, date à laquelle plus aucun nouveau bitcoin ne sera créé. Au total, l’impact du bitcoin sur le poids de la masse monétaire demeure encore insignifiant mais pourrait ne plus l’être et doit donc être surveillé.

En ce qui concerne la transparence, l’échange de pair-à-pair crypté concerne les utilisateurs qui achètent et vendent des bitcoins. Mais les transactions elles-mêmes sont actuellement transparentes et ouvertes. En conséquence, du point de vue du blanchiment, se pose la question de savoir qui émet la monnaie et qui la reçoit. En termes de taxation et de financement de la collectivité, ne connaissant pas les destinataires, on ne peut savoir dans quel pays instaurer la taxation. C’est une difficulté à laquelle on se heurte de plus en souvent dans le monde de l’Internet : la taxation est nationale, tandis que les outils, protocoles et innovations sont de plus en plus internationaux.

Sur la dérive spéculative, j’insisterai sur deux points : d’une part, dans la mesure où l’on produit de moins en moins de bitcoins, c’est une monnaie rare. En 2009, au moment de sa création, il y avait toutes les dix minutes 50 bitcoins affectés, au hasard, à celui dont l’ordinateur faisait le calcul pour les autres. Désormais, on ne reçoit plus que 25 bitcoins toutes les dix minutes. Les premiers entrants sont donc favorisés par rapport aux nouveaux entrants. Il y a un débat actuellement pour savoir s’il s’agit d’une chaîne de Ponzi ou non, à savoir un montage financier frauduleux qui consiste à rémunérer les investissements des clients essentiellement par les fonds procurés par les nouveaux entrants.

Le second point important à retenir est que le bitcoin n’est pas un système fermé sur lui-même, mais un système qui permet la convertibilité. Il y a donc des bourses et des places de marché et l’on peut effectuer des virements sécurisés.

Enfin, pour terminer, je citerai un chiffre : l’inflation de la valeur du bitcoin par rapport à l’euro est de 900 % en 2013 ou de 610 % entre le 17 septembre 2013 et le 14 janvier 2014. On constate donc que la valeur du bitcoin augmente par rapport à l’euro, tandis que le nombre de bitcoins diminue dans le temps. Il faut garder à l’esprit ces aspects du point de vue de l’analyse du risque de dérive spéculative.

En conclusion, j’estime que nous avons absolument besoin d’innovation, mais que l’innovation technologique ne suffit plus ; de même, l’innovation de services est nécessaire mais il faut aller plus loin. L’innovation économique, à travers les nouveaux modes de financement comme le financement par la foule, ou les mécanismes monétaires innovants, est donc elle aussi indispensable, mais il nous faut des critères, tels que ceux que j’ai proposés, pour analyser les meilleures innovations.

M. François Marc, rapporteur général.
– Le sujet des monnaies virtuelles est d’une extrême importance. Gonzague Grandval a évoqué tout à l’heure le développement des cartes bancaires, il y a de cela plus de trente ans. Quiconque se penchant sur ce sujet constatera qu’il y avait, à l’époque, de grandes réticences à l’utilisation élargie et systématisée des cartes bancaires, voire des résistances. Dans notre pays, beaucoup de commerçants refusaient les paiements par carte bancaire. Cet exemple montre que l’innovation liée aux actes de paiement pose assez naturellement des problèmes. Ceci est conforté aujourd’hui par l’existence de dérives et de spéculations.

Malgré ces interrogations, j’ai le sentiment que cette innovation apporte une réponse positive. La théorie économique nous enseigne en effet que la diminution des coûts de transaction tend à créer une dynamique économique porteuse d’avenir.

Toutefois, certains estiment que le bitcoin serait « la monnaie des mafias ». Dès lors, les trois intervenants qui vont suivre pourraient nous éclairer : pourquoi et comment cette technologie est utilisée pour le blanchiment d’argent ou pour les transactions de drogue ou d’armes ? Le bitcoin a-t-il permis le développement des trafics ou bien s’est-il substitué aux monnaies que nous connaissons ? Outre le bitcoin, il existe d’autres monnaies virtuelles, plus confidentielles, spécialement développées dans le but de servir au blanchiment ou à des activités criminelles ; le bitcoin est-il l’arbre qui cache la forêt ?

Le Trésor pourrait-il nous éclairer sur les réflexions en cours sur le sujet du bitcoin en France et en Europe ? Nous constatons en effet que les Etats ont adopté des attitudes fort différentes vis-à-vis du bitcoin : la Chine a mis en place un contrôle très étroit de l’utilisation de cet outil, la Thaïlande l’a interdit et l’Allemagne lui a reconnu un statut légal.

En définitive, comment la législation française – en particulier la législation fiscale et financière – peut-elle évoluer ? Par exemple, doit-on déclarer ses bitcoins au titre de l’impôt sur la fortune (ISF) ? En cas de vente d’un objet contre bitcoin, faut-il lui appliquer la TVA ? Si une start-up pratique le change bitcoin contre euro, doit-elle adopter le statut d’agent de change ?

Il est donc nécessaire d’avoir une meilleure compréhension des ressorts de ces nouveaux dispositifs, afin d’estimer comment la régulation doit opérer dans ce domaine.

M. Philippe Marini, président.
– Je partage totalement les interrogations du rapporteur général. Je rappelle que, selon la Banque de France, une action judiciaire conduite par le Federal Bureau of Investigation (FBI) a été engagée contre des fournisseurs de plateforme de conversion soupçonnés de blanchiment d’argent et de fraude fiscale. Le 2 octobre 2013, les autorités américaines ont ainsi fermé le site Internet « Silk Road » – site d’acquisition de produits narcotiques en ligne – sur lequel s’échangeait une importante partie des bitcoins en circulation.

M. Jean-Paul Garcia, directeur national du renseignement et des enquêtes douanières. – Je vous remercie, monsieur le président, d’avoir introduit mon propos en citant l’affaire « Silk Road ». En décembre 2013, une affaire analogue – même si elle impliquait un service infiniment plus petit et une cible infiniment plus humble – s’est fait jour en France. La cellule « Cyberdouane », placée au sein de la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED), a procédé – avec l’assistance de Paymium – à l’arrestation d’un trafiquant de stupéfiants sur Internet, qui se faisait payer en bitcoins. Concrètement, la DNRED a acheté des bitcoins et a procédé ensuite à l’achat d’une petite quantité de stupéfiant ; ce moyen de paiement nous a ensuite permis de tracer la marchandise afin d’intervenir dans les locaux de ce trafiquant, qui était un excellent « geek ». Il avait ainsi perçu tout l’intérêt de travailler de cette manière avec du bitcoin. Aujourd’hui, cette personne est mise en examen et le relais est passé à la police judiciaire.

Toutefois, du point de vue de la DNRED, le principal risque porte aujourd’hui sur les trafics de monnaie en espèces. Le sujet des monnaies virtuelles, et spécialement le bitcoin, relève, selon moi, de l’avenir et de l’anticipation. La volatilité de ces monnaies présente un risque trop important pour les dirigeants de grandes opérations de fraude – qui ne sont pas encore familiarisés avec ces technologies. Mais il est important de mieux anticiper sur ce sujet. Dans ce but, nous investissons beaucoup dans la connaissance des monnaies virtuelles. A cet égard, nous ne pourrons entrer dans ces dispositifs que par le biais d’ « échangeurs » tel que Paymium, qui permettent d’échanger, de stocker et de fournir ces bitcoins.

M. Philippe Marini, président.
– Comme vous le savez, le Sénat a très largement joué son rôle en ce qui concerne les moyens d’enquête et d’investigation, notamment dans le cadre de la dernière loi de finances rectificative. Nous sommes très conscients de la nécessité de ne pas désarmer l’Etat au moment où les risques sont particulièrement préoccupants.

M. Jean-Baptiste Carpentier, directeur du service Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins (TRACFIN).
– Je vais avoir sur le sujet un propos prudent et – je ne le dissimule pas – légèrement inquiet. Il est difficile de parler des monnaies virtuelles en général : la problématique du bitcoin n’est pas la problématique du « liberty reserve », ni celle des systèmes d’échanges locaux. Il y a toutefois une caractéristique commune : ce sont des systèmes qui se sont inscrits en parallèle du monopole de fait de la monnaie légale, qui est émise par les autorités centrales. Ces systèmes parallèles étaient souvent des épiphénomènes limités, qui ne soulevaient pas de difficulté et qui étaient parfois même très sympathiques, à l’instar des monnaies locales ; ces systèmes sont souvent nés dans les communautés de gamers, de joueurs de jeux vidéo. Mais depuis plusieurs années, nous voyons émerger de véritables monnaies virtuelles, au-delà de ces cercles fermés de ces communautés virtuelles. TRACFIN a été parmi les premiers services à s’intéresser à ces questions : je vous renvoie à notre rapport annuel 2011, où nous avons appelé l’attention des différentes autorités sur ces problématiques. Nous animons actuellement un groupe de travail qui réunit les pouvoirs publics concernés, afin d’en comprendre les évolutions – qui sont extrêmement rapides.

Nous sommes relativement inquiets. Depuis 1990, l’ensemble des pouvoirs publics internationaux, sous l’égide notamment du Groupe d’action financière (GAFI), a mis en place un ensemble extrêmement complet de règles de contrôle et de normes et transparence des opérations financières, qui s’imposent aux fournisseurs de services de paiement. L’idée générale était celle d’une surveillance accrue des flux de capitaux, en contrepartie de leur libéralisation. Or l’émergence des monnaies virtuelles fait aujourd’hui apparaître un « trou noir » dans cette régulation : nous ne sommes pas dans l’illégal, mais dans l’a-légal. Les problématiques vont au-delà de la lutte contre le blanchiment. Vous avez notamment évoqué les problématiques fiscales : quel est le statut d’un compte en bitcoins ? Cela a-t-il le moindre sens de parler d’un compte détenu à l’étranger ? Quel est le statut de l’impôt sur la fortune (ISF) et de la TVA ? Comment enregistre-t-on en comptabilité une transaction en bitcoins ou en « liberty reserve » ? Quelles sont les obligations de vigilance des établissements et les questions que le banquier devra poser ? Comment assurer l’équité concurrentielle avec les acteurs soumis à la régulation, qui supportent de ce fait un certain nombre de coûts ? Peut-on envisager qu’un monde a-régulé puisse se dispenser de ces coûts ? Ce sont des questions auxquelles je ne me permets pas de répondre – c’est là le rôle des autorités ministérielles et du Parlement.

C’est un monde dans lequel nous voyons extrêmement peu de choses. Le dispositif de contrôle des flux financiers fonctionne comme le contrôle de la vitesse sur les routes, avec des radars fixes et des radars mobiles : nous avons des radars sur certaines routes, mais il existe des routes parallèles sur lesquelles nous n’en avons pas. Je suis incapable de vous dire s’il y a ou pas des excès de vitesse. De temps en temps, nous avons tout de même eu à connaître de sujets qui touchent, directement ou indirectement, à la monnaie virtuelle. Ces sujets sont en cours d’examen par TRACFIN et certains ont été transmis à l’autorité judiciaire. Par ailleurs, nous sommes en lien assez étroit avec nos homologues étrangers, qui sont pour certains en avance sur nous, et commencent à manifester une réelle inquiétude sur cette « économie ignorée » des monnaies virtuelles – laquelle a probablement dépassé le stade seulement anecdotique où nous nous trouvions encore il y a quelques mois… mais sans pour autant porter des enjeux macroéconomiques.

M. Philippe Marini, président.
– Nous espérons toutefois pouvoir aller un peu plus loin que le stade des questions. La synthèse est délicate : soit l’on apparaît comme hostile à l’innovation, et l’on est alors voué aux gémonies du monde d’aujourd’hui, soit l’on adopte une approche libérale, mais au risque de tomber dans tous les travers qui ont été évoqués.

Mme Delphine d’Amarzit, chef du service du financement de l’économie de la direction générale du Trésor.
– L’une des questions non tranchées est la suivante : y a-t-il un intérêt spécifique des monnaies virtuelles en termes de coûts de transaction ? Elles imposent de moindres frais de transaction, mais en contrepartie les utilisateurs doivent supporter d’autres types de coûts, notamment en matière de sécurité informatique. Le développement du marché nous dira s’il existe un véritable risque de concurrence avec les moyens de paiements traditionnels au sens du code monétaire et financier, ceux que les commerçants ne peuvent pas refuser. Au-delà de l’aspect libertarien des monnaies virtuelles, il existe aussi un intérêt pour les personnes qui auraient des choses à cacher.

Ensuite, le caractère spéculatif du bitcoin, lié à sa rareté et au déséquilibre entre l’offre et la demande, limite en fait son développement. C’est le paradoxe : c’est en partie à cause de sa volatilité que le bitcoin n’est pas une menace pour la stabilité financière aujourd’hui, parce que son développement est limité.

Du point de vue des pouvoirs publics, le développement des monnaies virtuelles implique de faire comprendre aux utilisateurs les risques inhérents à leur volatilité, à leur non-convertibilité, à leur exposition au piratage, etc. Une sensibilisation a déjà été menée par l’Autorité bancaire européenne (ABE), notamment par une alerte en décembre 2013. Mais c’est un autre paradoxe : plus nous allons clarifier et avertir, plus nous allons permettre la diffusion de ces monnaies virtuelles.

Une interdiction absolue est difficile à concevoir en tant que telle, dans la mesure où elle viserait une activité relevant du troc entre personnes privées et selon des modalités libres. En revanche, il est possible d’imposer des obligations, notamment au niveau du « lieu de rencontre » entre ces monnaies virtuelles et la monnaie légale. Ainsi, une décision de justice a récemment confirmé que les plateformes proposant de convertir des monnaies virtuelles en euros sont tenues d’avoir la qualité de prestataires de services de paiement. Cela ne permet toutefois pas de couvrir l’intégralité des transactions en bitcoins, certaines pouvant être réalisées de gré à gré, sans l’intervention d’un tiers et sans conversion.

Enfin se pose la question du risque de blanchiment. Les techniciens pensent que la traçabilité des transactions en bitcoins est possible. Mais quelle est l’utilité de la traçabilité des flux si l’on ne connaît pas l’identité des personnes qui en sont à l’origine ? Là encore, l’intervention des prestataires de services de paiement et des établissements teneurs de compte constitue une piste.

Ces questions sont débattues au niveau international. Les lignes directrices du GAFI mériteraient probablement d’être repensées. Au niveau national, le Trésor participe au groupe de travail mentionné par Jean-Baptiste Carpentier. Sur le plan fiscal, des travaux sont en cours en lien avec la direction de la législation fiscale (DLF). J’y ajouterai d’ailleurs la question du revenu des « mineurs », qui génèrent les bitcoins en contribuant au fonctionnement du système et à la sécurité des transactions.

M. Albéric de Montgolfier.
– Nous avons avec Philippe Dallier produit un rapport sur le rôle des douanes dans la fiscalité du commerce électronique. Nous nous sommes notamment rendus à la cellule de veille sur Internet « Cyberdouane », où nous avons vu le fonctionnement du logiciel Tor, qui permet d’accéder à des plateformes illégales de type « Silk Road », où l’on trouve des rubriques « drogue », « armes » ou encore « assassinats ». Tous les paiements s’y faisaient en bitcoins, ce qui nous a fait douter du caractère vertueux de cette monnaie… Une autre question porte sur le nombre d’utilisateurs du bitcoin : pouvez-vous confirmer que seulement 500 personnes physiques, soit un très petit nombre de personnes, détiennent la moitié des bitcoins en circulation ?

M. Richard Yung.
– Rejoignant le rapporteur général, je considère qu’il faut souhaiter la bienvenue à l’innovation. Il s’agit d’un secteur nouveau qu’il nous faut mieux comprendre. A cet égard, la France semble en retard, ce qui n’est pas nouveau : Paypal, par exemple, n’est pas installé en France, même si des initiatives récentes des banques françaises essaient de s’en inspirer. Il ne faut pas rater les nouvelles possibilités, surtout si cela permet de diminuer les coûts de transaction.

S’agissant des activités illégales, elles existent mais ne sont pas liées à la nature du produit : elles sont malheureusement présentes pour tout moyen de paiement, qu’il s’agisse du chèque ou, bien sûr, du liquide.

Vous parlez d’un système a-légal. Ce n’est pas nouveau : on en voit un exemple dans le monde bancaire et financier avec le système financier parallèle qui, sans être illégal, échappe à la régulation. Pour éviter les abus, il faut fournir un encadrement. C’est pourquoi je voudrais savoir quels sont vos besoins de réglementation, car le Sénat a toujours répondu présent lorsqu’il s’est agi de fournir des outils de régulation financière.

Par ailleurs, pourquoi la France est-elle, selon vous, aussi peu active dans ce domaine et en retard par rapport aux autres pays de l’Union européenne, où il n’y a d’ailleurs pas d’approche commune ?

M. Jacques Chiron.
– Vous avez souligné la rareté du produit, puisque seuls 50 bitcoins sont émis toutes les dix minutes, et seulement 25 à compter de cette année. Sont-ce les programmateurs, à l’origine du produit, qui organisent cette rareté ? Quelle spéculation cette rareté organisée permet-elle, surtout s’il y a un nombre limité de mineurs ?

M. Philippe Adnot. – Je voudrais connaître le nombre de mineurs qui participent au réseau. Pour que l’Allemagne taxe les plus-values, je suppose qu’il faut qu’elle ait connaissance des transactions et des volumes.

M. François Marc, rapporteur général.
– Je constate que les intervenants eux-mêmes posent beaucoup de questions, sans avoir nécessairement toutes les réponses à ce stade. Je suis curieux de connaître les réactions de Gonzague Grandval qui est appelé à la défense de ce système. J’ai le sentiment, quant à moi, que nous sommes au début d’un processus et que l’innovation peut être porteuse d’avenir ; dans le même temps, le souci de régulation, que porte le Parlement, est évident dès lors que le système est a-légal.

Grâce aux radars routiers, le nombre de morts sur la route a été divisé par cinq en quinze ans : de même, comment assurer une surveillance des transactions, et à quel coût, pour des systèmes aussi décentralisés ?

Par ailleurs, existe-t-il un acteur, je pense par exemple à la Bitcoin Foundation aux Etats-Unis, qui serve ou puisse servir de référent aux autorités ? Y a-t-il un pilote dans le système bitcoin ?

Enfin, ne devrait-on pas donner rapidement un statut légal à certaines monnaies virtuelles, dont le bitcoin, afin de mieux de les réguler ?

M. Philippe Marini, président.
– Pourquoi l’Union européenne, si féconde en réglementation, n’est-elle pas en train d’élaborer des règles du jeu sur ce sujet ?

Par ailleurs, comment un système aussi décentralisé peut-il avoir un seul cours ? Qui fixe le cours, et comment ? Y a-t-il un référent, ou une connexion entre les différentes plateformes de change, ou y a-t-il des écarts entre ces plateformes donnant lieu à des possibilités d’arbitrage ?

M. Gonzague Grandval.
– Le réseau Tor est un système d’anonymisation du trafic sur Internet. Comme toute technologie, c’est à la fois une opportunité, notamment pour les journalistes ou les dissidents dans les pays où leur parole est bannie, mais aussi un risque pour les possibilités de blanchiment. Tor est déconnecté de bitcoin. La plateforme « Silk Road » est un exemple intéressant : lors de sa fermeture par le FBI, il y a eu d’abord un frémissement à la baisse du cours du bitcoin – qui est considéré, à tort, comme le symbole de sa vitalité. Mais, rapidement, le cours a repris sa hausse. On constate qu’en réalité, « Silk Road » représentait seulement 1 % des transactions en bitcoin. Bitcoin n’est donc pas porté par « Silk Road » et le blanchiment, mais, de plus en plus, par des commerçants, qui sont déjà plusieurs dizaines de milliers aux Etats-Unis.

Les activités illégales fondées sur des transactions en bitcoin existent et doivent être combattues par les services de l’Etat ; nous les y aidons autant que possible. Mais il faut également que ces autorités de régulation se saisissent de l’objet « bitcoin », montent en compétence, pour anticiper son développement, car on ne pourra pas interdire ou supprimer ces évolutions technologiques.

S’agissant des détenteurs, il est vrai, en effet, que les premiers développeurs détiennent un stock important de bitcoin, mais cela me semble normal que les créateurs et les premiers acteurs du système aient un avantage, puisqu’ils s’analysent comme des entrepreneurs, à l’instar d’un Mark Zuckerberg ou d’un Steve Jobs.

M. Philippe Marini, président.
– Comment sont-ils rémunérés ? Par une redevance ? Un droit de propriété industrielle ou intellectuelle ?

M. Gonzague Grandval.
– La particularité de bitcoin est que la rémunération se fonde sur le travail de calcul opéré par les processeurs du réseau. Au début, l’exécution d’une seule transaction permettait d’obtenir un nombre important de bitcoin ; aujourd’hui, avec une forte compétition entre processeurs du réseau, qui est d’ailleurs vertueuse puisqu’elle sécurise le réseau, la rémunération par transaction exécutée est plus faible.

M. Philippe Marini, président.
– Et que font-ils de leurs bitcoins ? Comment liquider ses positions ?

M. Gonzague Grandval.
– Vous pouvez les vendre, les conserver, les utiliser pour acheter des biens ou des services ! Le système n’impose pas une utilisation des bitcoins ainsi reçus. Au début, le bitcoin était surtout utilisée comme moyen d’épargne, comme réserve de valeur. Maintenant, aux Etats-Unis notamment, on peut de plus en plus effectuer des transactions commerciales en bitcoin.

M. Philippe Marini, président.
– Existe-t-il un marché d’options sur bitcoin ?

M. Gonzague Grandval.
– Je crois qu’en effet des opérateurs commencent à développer ce type de produits.

S’agissant du retard de la France, je le regrette également. Les pays en avance sont les Etats-Unis, l’Europe du Nord, notamment l’Allemagne, Israël et l’Asie. Il s’agit des pays dont les autorités de régulation ont pris position en faveur d’un accompagnement de ce mouvement – sans l’encourager, mais en lui fournissant le cadre de réglementation dont il a besoin. A cet égard, il est important que la régulation soit européenne. Nous avons des concurrents en Europe qui ont parfois une croissance florissante car, en l’absence de régulation, ils ne s’imposent pas les règles auxquelles nous nous sommes, quant à nous, astreints volontairement, d’un point de vue fiscal comme d’un point de vue financier. Il faut une régulation harmonisée, sinon l’activité continuera de se développer hors de France.

M. Philippe Marini, président.
– Si l’activité n’est pas très importante en France, la France ne risque donc rien ?

M. Gonzague Grandval.
– Elle ne risque rien, mais elle risque tout ! Elle doit prendre une position innovante pour capter ces compétences et ces activités, qui sont génératrices d’emplois dans le domaine du paiement électronique.

S’agissant du nombre de mineurs, on estime à environ 100 000 le nombre de processeurs sur le réseau, qui sont souvent regroupés dans des « pools » de minage. Ce réseau se densifie, en volume comme en valeur, car la puissance de calcul s’accroît constamment. On constate que des systèmes « hardware » sont développés qui ont pour seule fonction de traiter les transactions du réseau bitcoin.

Pour ce qui est de l’existence ou non d’un « pilote » du système bitcoin, il existe une Fondation bitcoin aux Etats-Unis. Nous voulons créer, avec d’autres partenaires, une association « Bitcoin Europe ».

Je suis également favorable à un statut légal, comme en Allemagne ou aux Pays-Bas : dès lors qu’une position officielle a été prise par les régulateurs, il est plus simple de lancer une activité car cela rassure les développeurs et facilite leurs activités. Nous sommes en attente de régulation, que je considère comme une assurance et un soutien à mon activité. Je serais par exemple prêt à confier à la Banque de France une partie des dépôts de mes clients en réserve pour qu’elle en assure la sécurité. S’il y avait des organismes qui ont les moyens d’assurer des données numériques comme les nôtres, des acteurs comme nous serions ravis !

M. Philippe Marini, président.
– Moyennant une redevance pour service rendu ?

M. Gonzague Grandval.
– Absolument. C’est une activité risquée, complexe, technique mais dont certains ont fait leur activité commerciale.

M. Philippe Marini, président.
– Il est intéressant, dans vos propos, de voir que vous êtes en attente de régulation ; celle-ci peut être un facteur de compétitivité pour le territoire français.

M. Gonzague Grandval.
– En effet, sans quoi la France va rater ce train comme elle a manqué celui de Paypal.

M. Jean-Michel Cornu.
– Certaines questions sont effectivement liées et je vais y répondre, plus ou moins rapidement selon mon propre domaine de compétences, en procédant à un certain nombre de distinctions.

Tout d’abord, concernant la « centralisation » de bitcoin, on dénombre aujourd’hui 12 millions de bitcoins pour 100 000 processeurs, ce qui ne signifie pas autant d’utilisateurs puisqu’une technique consiste à multiplier le nombre d’ordinateurs pour être davantage rémunéré. En effet, le détenteur de l’ordinateur est rémunéré à chaque fois que sa machine sera choisie aléatoirement parmi les 100 000. Avec plusieurs ordinateurs, il va donc pouvoir gagner plus de bitcoins.

Il est, par conséquent, difficile de connaître le nombre d’utilisateurs, de même que le nombre de « mineurs » car, par définition, il n’est pas possible de connaître les personnes faisant des transactions à l’intérieur du système bitcoin. L’identité des personnes ne peut être connue, à condition évidemment d’une régulation adéquate, que lorsqu’elles vont transformer des bitcoins en monnaie ayant court légal. Si je fais des transactions à l’intérieur du système, je peux être « mineur » et rester invisible, mon identité ne sera connue que dès lors que je transforme les bitcoins en argent, par exemple en euros, pour faire d’autres achats. À ce moment-là, il est possible d’imaginer connaître les identités des utilisateurs, à condition de régulation adaptée, à l’instar de ce qui s’est apparemment passé, si j’ai bien compris, dans la collaboration entre la société Paymium et les douanes.

Il faut donc bien distinguer le passage de bitcoin vers l’extérieur, qui peut être facilement régulé et où il est relativement facile d’ « installer des radars », du système bitcoin « à l’intérieur », où les radars permettront de voir les transactions, mais pas les personnes qui les effectuent. C’est là que se trouve la difficulté. Par analogie avec la sécurité routière, je peux mettre des radars au sein du système, je saurai la vitesse de la voiture mais je n’aurai pas la plaque d’immatriculation.

Ceci correspond à la première distinction que je souhaitais faire, entre « bitcoin à l’intérieur » et bitcoin avec le « reste du monde ».

M. Gonzague Grandval.
– Cette distinction est en partie vraie mais il existe des outils, certes lourds à mettre en place, qui permettent de remonter aux adresses IP à partir d’une transaction bitcoin. La technique est compliquée, pas encore tout à fait au point et demande des efforts majeurs pour la mettre en oeuvre, mais ce n’est pas impossible. Les Etats-Unis devraient, à n’en pas douter, développer les outils permettant d’obtenir cette traçabilité des transactions en bitcoins.

M. Jean-Michel Cornu.
– Effectivement, cela soulève donc deux questions différentes, l’une étant davantage du domaine classique du régulateur, l’autre étant plus complexe et relevant du domaine technologique.

S’agissant de la place de la France, il convient de distinguer bitcoin de l’ensemble des monnaies, y compris des nouvelles monnaies virtuelles et décentralisées. Une autre monnaie virtuelle a été développée par un Français, sous le terme d’OpenUDC. Fondée sur la théorie relative de la monnaie, laquelle a, d’ailleurs, été également en partie développée en France, elle se distingue de bitcoin sous deux aspects en termes de création monétaire, même si elle est également décentralisée et unique.

S’agissant du mécanisme de création monétaire dans le système bitcoin, 50 bitcoins ont été créés toutes les dix minutes pendant quatre ans, comme cela a déjà été dit. Ce n’est pas tout à fait vrai mais on considère que l’état d’un calculateur va pouvoir effectuer un certain nombre de calculs en dix minutes. Au fur et à mesure des années, il va évidemment falloir réaliser des calculs un peu plus complexes pour que cela continue de durer à peu près dix minutes. Cela correspond ainsi à environ 2,6 millions de bitcoins par an.

Ces bitcoins sont affectés à toute personne qui ouvre un compte. À chaque fois qu’est justifié un « paquet » de transactions, le détenteur du compte reçoit une rémunération qui était de 50 bitcoins pendant les quatre premières années de sa création et de 25 bitcoins maintenant.

Ainsi, 2,6 millions de bitcoins pendant quatre ans aboutissent à environ 10,5 millions de bitcoins à l’issue de cette période, auxquels s’ajoutent près de 5 millions de bitcoins avec la création de 25 bitcoins tous les dix minutes pendant les quatre années suivantes, pour aboutir, au final, à un maximum de 21 millions de bitcoins. C’est le mécanisme de création monétaire propre à bitcoin.

Pour OpenUDC, le mécanisme de création monétaire retenu se fonde, non plus sur la puissance de calcul de l’ordinateur, mais sur un système de dividende universel. Chaque personne appartenant à ce système reçoit, selon la fréquence de son choix, chaque semaine ou chaque mois, vous pouvez choisir, une part de la création monétaire. Ces mécanismes sont dont un peu différents.

Ensuite, et c’est particulièrement important, notamment lorsqu’on parle de rareté, il convient de distinguer le protocole, d’une part, de ses paramétrages, d’autre part.

Le protocole peut être libre et il est d’ailleurs publié. J’ai moi-même analysé une partie du code du protocole bitcoin pour pouvoir répondre à vos questions aujourd’hui, c’est un peu technique mais c’est possible. Ensuite, il y a le paramétrage de ce protocole. Le code est libre et visible par tous, actuellement mis en oeuvre dans un logiciel téléchargeable lorsqu’on souhaite obtenir le système bitcoin.

En revanche, les choix de paramétrage de bitcoin ont été faits par une personne anonyme se présentant sous un nom à consonance japonaise – on ne sait d’ailleurs pas s’il n’y a derrière qu’une seule personne ou plusieurs -, qui s’est depuis retirée du système.

Cette personne ne reçoit pas de rémunération directe. Mais les premiers bitcoins échangés, « genesis », c’est-à-dire le premier « paquet » de transactions, ont été échangés avec lui et/ou les personnes appartenant à ce groupe, qui n’ont pas à être rémunérés puisqu’existe un avantage aux « premiers arrivants ».

Bitcoin correspond donc non seulement à un protocole mais également à des paramétrages de ce protocole.

Le système OpenUDC en est à un stade moins avancé. Il est possible d’y développer des monnaies, c’est-à-dire des paramétrages (de ce protocole) ayant des caractéristiques différentes. Certaines de ces caractéristiques sont communes et d’autres peuvent varier, notamment le choix de la fréquence de rémunération des utilisateurs (par mois ou par semaine) ou encore son caractère convertible ou non en une autre monnaie.

C’est pourquoi il me semble très important de distinguer les mécanismes monétaires des protocoles appliqués, lesquels peuvent eux-mêmes être biaisés. Le fait d’avoir des logiciels libres dans tous ces nouveaux systèmes, et y compris d’ailleurs dans les SEL ou d’autres systèmes d’échanges de monnaies comme « Open money », ou le système « Flowplace », dans lequel la France est également active, permet d’en connaître les paramétrages. C’est cette transparence qui offre la possibilité de savoir si cette monnaie entre dans un système qui convient au législateur ou, au contraire, un système qui nécessiterait régulation.

Les « radars » pourraient donc également être installés sur ces paramétrages, si on ne sait pas les mettre sur les transactions, pour déterminer les systèmes qui paraissent acceptables et ceux qui ne le sont pas.

Le « grand architecte » de bitcoin a établi un paramétrage une fois pour toute, avant de s’en éloigner. Aucune gouvernance n’est prévue puisqu’elle est a priori prévue dans le code du système lui-même. Comme le disait Lawrence Lessig en parlant d’Internet, il a été mis de la liberté dans le code, c’est-à-dire que le système même offre lui-même de la liberté, des opportunités, des contraintes et des difficultés.

Pour procéder à une régulation, il n’est donc pas nécessaire d’être un spécialiste de la technique mais bien, en revanche, de l’architecture du système. Par analogie avec l’augmentation de la largeur des rues opérées à Paris, il n’est pas nécessaire de savoir comment construire un bâtiment pour comprendre comment rendre plus difficile la formation de barricades. On a ainsi procédé à une régulation de la société.

M. Philippe Marini, président.
– Le préfet Haussman a procédé à une régulation efficace !

M. Jean-Michel Cornu.
– En conclusion, il faut bien distinguer ce qui se passe au sein du système bitcoin et son interaction avec les autres monnaies, les places de marchés pouvant alors être un élément de régulation. Je rejoins Gonzague Grandval en affirmant que la régulation de ces places de marché pourrait être un élément très positif et je partage en grande partie les réflexions qu’il a développées.

Il est également nécessaire de distinguer bitcoin des autres monnaies virtuelles puisque les paramétrages ne sont pas les mêmes. Les réponses que vous apporterez pourront donc différer d’un système à l’autre.

Enfin, s’agissant du statut légal, la question n’est pas de savoir lequel mettre en place mais plutôt quand intervenir. La difficulté est de trouver le bon moment car si vous intervenez trop rapidement, vous couperez l’innovation. Si vous légiférez trop tard, le système sera déjà trop développé pour intervenir correctement. Le passage de l’un à l’autre peut être très rapide, comme pour bitcoin, et c’est à vous, législateur, de trouver le bon moment.

M. Philippe Marini, président.
– Merci beaucoup de ce conseil avisé.

M. Gonzague Grandval.
– Je souhaiterais ajouter deux éléments à ce qu’a dit Jean-Michel Cornu.

En premier lieu, le fait que les codes et les paramétrages de bitcoin soient effectivement figés est essentiel pour la communauté bitcoin. La possibilité de changer un quelconque paramétrage constitue justement une des dérives des autres systèmes.

En second lieu, s’agissant du fait qu’une grande quantité de bitcoins soit détenue par un nombre limité de personnes, il convient de préciser qu’il est possible de surveiller l’ensemble des adresses, du fait que toutes les données sont publiques, à l’instar de celle du FBI qui détient plus d’une centaine de milliers de bitcoins, ce qui est considérable. Tout le monde scrute, d’ailleurs, avec attention cette adresse et chacun sera en mesure de savoir à quel moment le moindre bitcoin sera utilisé, si le FBI décidait de mener des actions, de perturber le marché…

Les adresses censées appartenir aux créateurs de bitcoin sont également surveillées avec attention. Nous pensons que ces bitcoins ne seront pas utilisés car ils pourraient, dès lors, être tracés et rendre identifiables leurs détenteurs. Ces adresses devraient donc vraisemblablement être maintenues dans le système pour l’éternité.

M. Philippe Marini, président.
– M. le directeur national du renseignement et des enquêtes douanières, votre administration possède-t-elle toujours des bitcoins comme le FBI, sans doute à une plus faible échelle ?

M. Jean-Paul Garcia.
– Nous possédons toujours des bitcoins et je pense que nous pourrions vous en céder, M. le Président, si vous le souhaitez…

M. Philippe Marini, président.
– Nous demanderons à la Questure si nous avons le droit !

M. Jean-Paul Garcia.
– Évidemment, ce sont des quantités très limitées, qui se comptent en unités. Sur l’opération que nous avons réalisée, nous avons utilisé moins d’un bitcoin pour acheter une petite quantité de stupéfiants.

Comme cela a toujours été fait, depuis 1945 que nous accompagnons ce mouvement de libéralisation des échanges, nous ne participerons pas à l’établissement de la régulation, mais nous l’appliquerons.

C’est à partir des échanges de marchandises que nous pénétrons le système. Il est très important d’avoir des personnes ou des entreprises comme Paymium qui nous permettent d’entrer dans le système. En effet, il est impossible d’entrer dans le système et de traquer quelque chose par hasard puisque le système Tor est fait pour garantir l’anonymisation.

Une fois que nous avons une cible, globalement nous saurons la traquer. L’essentiel est d’avoir les intermédiaires.

Je ne crois pas que l’on puisse dire que l’on peut lutter contre le développement de ce système qui est plutôt globalement bien reçu, qu’il s’agisse des sociétés ou des particuliers.

M. Philippe Marini, président.
– Cet avis est-il partagé par TRACFIN ?

M. Jean-Baptiste Carpentier.
– Je vais encore jouer le rôle du grognon ! Nous suivons ce phénomène depuis trois ans. On poursuit une analyse stratégique sur la question.

Il faut faire un distinguo. Il y a le sujet du bitcoin et les autres. Nous essayons de faire tourner nos différents « capteurs », sur lesquels je ne peux pas m’étendre car un certain nombre de données sont classifiées.

Paradoxalement, le sujet du bitcoin, au vu des évolutions observées, est celui qui nous paraît le moins inquiétant. Par construction, c’est une monnaie hyper déflationniste, parce qu’il y a une masse globale finie et que le nombre d’utilisateurs tend à s’accroître. La valeur croît rapidement, associée d’ailleurs à une hypervolatilité. Au total, en tant qu’unité transactionnelle, le bitcoin n’est pas très aisé. En outre, il faut quelques minutes pour utiliser un bitcoin. Ainsi, entre le moment où j’achète mon bien et le moment où le marchand reçoit mon bitcoin, sa valeur a pu varier du simple au double. En l’état actuel des choses, on se retrouve un peu dans la situation, en sens inverse, de la période du Reichsmark, où on ne savait pas s’il fallait prendre une brouette ou billet pour payer.

Toute proportion gardée, on est en 1637 au moment de la spéculation sur les bulbes de tulipe. Je ne sais pas si nous assisterons à un krach du bitcoin comme celui des tulipes. Quoi qu’il en soit, en tant que monnaie transactionnelle, cela reste difficile. On nous dit que son usage s’accroît mais nous ne partageons pas la même analyse. En toute hypothèse, il s’accroît toujours dans une situation a-légale.

Je ne suis pas totalement sûr que la DGFiP soit submergée de déclarations de transactions en bitcoins. Et on pourrait même dire que le phénomène devient alors illégal car il s’inscrit clairement dans une situation d’évitement des obligations fiscales.

Le bitcoin nous apparaît donc moins comme une unité de transaction mais plutôt comme une unité de réserve ce qui, de notre point de vue, tend à réduire le risque. Ce n’est clairement pas le cas des autres monnaies virtuelles. Dans le cas du site « Silk Road », la principale monnaie utilisée n’était pas le bitcoin mais le « liberty reserve », qui était une autre unité de compte. Or certaines d’entre elles présentent une plus grande stabilité et donc une plus grande maniabilité pour un cadre transactionnel qui est totalement opaque, sauf au niveau des carrefours. C’est d’ailleurs là qu’il faut placer les radars, sous réserve qu’il existe des carrefours. Il n’est pas exclu qu’apparaisse un jour un système totalement parallèle qui fonctionnera uniquement en monnaie virtuelle.

Il est clair qu’il y a un besoin de régulation, comme nous l’avons fait ces dernières années pour d’autres activités économiques et financières. Je ne partage d’ailleurs pas tout à fait l’analyse tendant à comparer le bitcoin et le shadow banking. Celui-ci s’inscrit dans un cadre alors que les monnaies virtuelles sont encore dans une boîte noire.

La question, déjà évoquée, est de savoir si la régulation elle-même ne fera pas perdre son intérêt au dispositif. Dès qu’il y a régulation, on crée des coûts supplémentaires.

En outre, la régulation est nécessaire mais son respect sera extrêmement difficile à contrôler, compte tenu de la nature même du dispositif, de l’extraterritorialité d’un certain nombre d’acteurs et de notre difficulté à intervenir sur ce réseau.

M. Denis Beau.
– Le sénateur Yung a indiqué que la France est peu active en matière d’innovation dans les moyens de paiement. De notre point de vue, nous n’avons pas tout à fait la même perception. Les exemples donnés par Jean-Michel Cornu montrent qu’il y a une dynamique importante, même si elle ne porte pas forcément sur le segment sur lequel est positionné le bitcoin. Au niveau européen, la promotion des nouvelles technologies dans les systèmes de paiement est une réelle préoccupation. Après le SEPA (Single Euro Payments Area), nous avons ouvert le chantier e-SEPA.

L’Observatoire de la sécurité des cartes de paiement effectue une veille technologique et publie tous les ans le résultat de ses travaux. Vous pourrez constater les innovations dans ce domaine, en particulier de la part des acteurs français.

S’agissant de la demande de régulation, je ferais deux observations. Le cadre établi par le législateur est proportionné à l’importance de l’utilisation des moyens de paiement. Ainsi, nous pouvons promouvoir la concurrence mais sans jamais affaiblir nos exigences en matière de sécurité. Or si un attrait du bitcoin tient aux faibles coûts de transaction, le revers de la médaille, ce sont les préoccupations sur la sécurité du système.

Dans le cadre de régulation que vous avez instauré, dès lors qu’un moyen de paiement se développe, la loi vient le contraindre de se doter d’un certain nombre de sécurités. C’est l’enjeu pour l’intégration dans les systèmes de paiement de monnaies virtuelles telles que bitcoin.

De ce point de vue, il faut prêter attention à l’activité des plateformes de conversion qui font le lien entre l’univers du bitcoin et l’univers des monnaies régulées. Je crois qu’il faudra réaffirmer, au niveau européen, que cette activité est une prestation de services de paiement.

Enfin, je terminerais sur les risques du bitcoin. Dès lors qu’on le qualifie de monnaie vis-à-vis de ses utilisateurs, il faut faire très attention à la portée de ce type de communication.

M. Philippe Marini, président.
– Tout cela nous incite à réfléchir à des travaux législatifs dans ce domaine. À cet égard, il serait utile de savoir si la Commission européenne compte se saisir de ces questions. Il serait en effet surprenant que cette « machine à normaliser » ne s’empare pas d’un tel sujet, aux enjeux transfrontaliers par nature. Madame d’Amarzit, savez-vous s’il existe actuellement des travaux en cours au niveau européen ? Cela pourrait nous servir de support à une proposition de résolution européenne.

En outre, plusieurs questions restent ouvertes sur le statut en droit national des agents de ce système – prestataires de services de paiement -, la fiscalité, la régulation des transactions, le rôle de la Banque de France. Des éléments d’information et de réflexion sur ces aspects pourraient nous permettre de déposer une proposition de loi. Pourriez-vous réagir sur ces différents points ?

Mme Delphine d’Amarzit.
– La question de savoir s’il faut légiférer ou non se posera si nous ne parvenons pas à interpréter les statuts existants pour qualifier des opérations réalisées en bitcoins. Si l’on estime que la qualification est trop incertaine, il faudra trouver le niveau de norme adéquat pour le faire (clarification de la doctrine, décret…).

Mais ce n’est pas uniquement une question fiscale. Par exemple, dans le domaine des plateformes de services de paiement, qui a été cité, notre interprétation a été clarifiée par la jurisprudence ; il sera utile de faire remonter ce point au niveau européen : l’ABE a justement pour rôle de coordonner les interprétations en cas de différences d’appréciation entre les pays. C’est un premier outil pour s’assurer de la bonne transposition de la norme européenne. Ensuite, des réflexions sont en cours sur la deuxième directive sur les services de paiement, ce qui permettra également de débattre de ces questions.

Monsieur le rapporteur général, vous avez évoqué la question de savoir si on peut donner un statut de monnaie légale au bitcoin : cela impliquerait soit d’abandonner le caractère souverain de la monnaie, soit d’interdire les bitcoins.

La question est plutôt de savoir si l’on peut donner une qualification : celle-ci peut-t-elle relever de catégories existantes ou bien faut-il créer de nouvelles catégories juridiques ? Nous sommes conscients de la nécessité de clarifier les choses.

M. François Marc, rapporteur général.
– Je souhaiterais préciser mon propos pour éviter toute ambiguïté : il ne s’agissait pas de reconnaître un caractère de monnaie légale au bitcoin mais de donner un statut légal à l’existence de ce dispositif qui est déjà utilisé, de fait, dans les transactions. Dès lors, une clarification de ce statut permettrait de recourir au bitcoin sur des bases plus efficaces et mieux acceptées par tous.

M. Philippe Marini, président.
– L’argument de la compétitivité est essentiel ; le fait de définir les conditions des opérations est un élément pour créer la confiance dans le territoire France par rapport à d’autres territoires.

 

 

Nous n’avons sans doute pas épuisé le sujet, mais nous nous emploierons à en approfondir les différents aspects. De façon plus générale, tous les travaux liés à Internet sont indispensables et passionnants à mener pour la représentation nationale. Nous sommes profondément interpellés par ces évolutions qui appellent des adaptations de notre droit et de notre fiscalité. Je pense qu’il serait tout à fait dommageable que les autorités nationales se cantonnent à une attitude d’abstention et d’attentisme sur ces questions. Cela ne ferait qu’aggraver le sentiment d’impuissance souvent exprimé vis-à-vis de nos institutions. Je remercie nos intervenants pour leur participation.