« Cryptomonnaies » de banque centrale… vraiment ?

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Je n’aime pas beaucoup le terme « cryptomonnaie », d’une part parce qu’il mène à des contresens [1] et d’autre part parce qu’il désigne aujourd’hui à peu près tout et n’importe quoi. S’il s’agit de parler de l’innovation apportée par Bitcoin, ne faudrait-il pas plutôt parler de monnaie numérique de pair à pair (P2P Money) ? ou de cash électronique ? ou encore de monnaie numérique décentralisée ? Sans doute… si ce n’est qu’aucune de ces expressions ne convient aux « cryptomonnaies » d’Etat ou de banques centrales dont la presse nous parle tant aujourd’hui.

Ainsi, à l’en croire, la Chine serait en train de concevoir sa propre « cryptomonnaie » et l’idée d’un « crypto-euro » ferait son chemin dans les couloirs sombres et sinueux de la BCE.

Certains commentateurs sont plus prudents et se contentent de dire que la Chine conçoit une monnaie numérique. Mais, dans un pays aussi technophile, les yuans qui s’échangent actuellement ne sont-ils pas déjà en grande partie numériques ? Il s’agit donc d’autre chose, alors précisons le propos : la Chine bâtirait un nouveau système (nommé « Digital Currency Electronic Payment » ou DCEP) pour remplacer du vieux réseau Swift – que par ailleurs la Chine ne contrôle pas – par quelque chose de plus efficace… étant entendu que « l’efficacité » recherchée par les autorités chinoises ne s’arrête pas à la rapidité des transactions et la réduction des frictions [2]. Un registre décentralisé alors ? Pas sûr, la décentralisation n’est pas franchement utile au pays du parti unique, il s’agirait au mieux d’un registre distribué, une blockchain « permissionnée » partagée entre les banques du pays sous le contrôle de la banque centrale. Une évolution majeure, certes, mais en aucun cas une cryptomonnaie dans le sens où la plupart des gens l’entendent.

Et le crypto-euro alors ? Une monnaie numérique ? L’euro, lui aussi, est déjà en grande partie numérique. Une monnaie sans intermédiaires entre les citoyens et leur banque centrale ? Excellente idée, mais pour se débarrasser des tiers privés (les banques commerciales) à l’origine des frictions, des lenteurs et des surcoûts contre lesquels on souhaite lutter, ne faudra-t-il également renoncer aux « services » qu’ils rendent à l’Etat : enregistrer l’identité des citoyens, surveiller leurs comptes en banques et leurs transactions, dénoncer tout comportement inhabituel, bloquer les comptes… ? Et si on maintient ces tiers, comme c’est probable, quel serait dès lors l’intérêt d’un crypto-euro reposant sur une blockchain consortiale si de toute façon il n’est pas question de renoncer aux lourdeurs de ces intermédiaires privés ni de créer un véritable cash électronique qui soit l’équivalent numérique des pièces et des billets produits par la banque centrale ?

Aujourd’hui comme hier : Pop corn pour les bitcoiners.


[1] S’il y a bien de la cryptographie derrière Bitcoin, le terme « crypto » conduit parfois certaines personnes à penser que tout le système est « crypté » donc opaque. C’est un contresens. Contrairement aux banques, dans Bitcoin tout est transparent et public : les « comptes », les transactions, le code source, les débats entre les développeurs…

[2] En Chine – mais c’est une conception partagée par bien d’autres Etats – une monnaie numérique n’est considérée comme efficace que si elle garantit au pouvoir un contrôle absolu de toutes les transactions réalisées par la population. Pour un Etat autoritaire voilà en effet un outil radical (de plus) pour lutter contre les délinquants, les criminels, les journalistes un peu trop indépendants et autres dissidents de toute obédience, mais également pour prévenir toute velléité de contestation chez le simple citoyen.