Conférence : Blockchain & Numérisation des actifs financiers (compte rendu)

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Organisée par ConsenSys France et la Chaintech, la conférence Blockchain & Numérisation des actifs financiers a eu lieu le 13 décembre 2018 au Tripot Régnier, espace événementiel situé dans le XVème arrondissement de Paris. Objectif : analyser les opportunités et des enjeux que représentent la tokenisation des actifs financiers pour les régulateurs, les investisseurs et les entreprises.


1. Introduction de Michel Aglietta, professeur émérite à l’université de Paris-Nanterre, conseiller scientifique au CEPII et pour France Stratégie.

Le professeur Aglietta propose une revue des marchés financiers et des crises financières passées, puis s’interroge sur l’impact que pourrait avoir une numérisation massive des actifs financiers. Pour Michel Aglietta les crypto-actifs ne constituent pas des devises. Il considère qu’une devise numérique ne peut pas être le fait d’un algorithme décentralisé mais doit être émise par une banque centrale et qu’une banque n’émettra de devise qu’en contrepartie d’actifs « sûrs ou dignes de confiance ». Quant aux Smart Contrats ils posent pour lui deux problèmes majeurs : l’inclusion financière et la consommation des utilisateurs. Du point de vue des régulateurs, pour chaque transaction, l’identité des intervenants doit être connue, même si elle n’est pas divulguée à des tiers, afin de permettre une identification pour empêcher les transactions illégales (terrorisme, évasion fiscale…).

 

2. Panorama européen et mondial : Tendances de marchés et environnement réglementaire

Avec Geoffroy Cailloux – Direction Générale du Trésor, Anne Choné – ESMA, Simon Polrot – ConsenSys, Mattia Rattaggi – Crypto Valley Association , Adrien Soumagne – Chaintech/Bredin Prat

Une définition des Security Token
Par définition, un Security token n’est pas un Utility token : La problématique principale vient du terme security qui peut avoir plusieurs définitions selon les pays où elle est utilisée. Aux Etats-Unis, s’il s’agit d’un actif financier, il est réglementé par la SEC ce qui implique nombreuses règles, ce qui n’est pas forcément souhaitable dans le contexte. Un Security token est un token d’investissement (avec espérance de gains). Il est identique techniquement aux autres types de tokens enregistrés sur une blockchain, mais ses caractéristiques en font un produit de placement.
Exemples :
– Token représentant un actif existant déjà inclus dans la réglementation financière (actions, obligations…) ;
– Token qui n’est pas un titre (pas une part dans une entreprise), mais un investissement ;
– Token que le propriétaire s’engage à racheter à intervalles réguliers, telles que des actions dans une entreprise ;
– Token définit par la réglementation à appliquer…
Il faut faire attention car les tokens ne rentrent pas facilement dans une catégorie et leurs caractéristiques peuvent changer avec le temps.

Avantages des Security Tokens
La digitalisation de processus métiers par un Security Token permet un gain de temps majeur pour remplacer des processus manuels impliquant un nombre élevé d’acteurs, par exemple lors de règlements financiers (normalement deux à trois jours), qui pourraient ainsi avoir lieu en quelques heures voir quelques minutes. Les risques sont également présents : si une action fournissant un droit de vote est numérisée, il sera possible d’en acheter juste avant un vote pour l’influencer et la revendre juste après. Il reste donc encore beaucoup de travail à réaliser pour parvenir à une définition, puisqu’un token peut avoir de nombreuses fonctions qui jusqu’alors n’étaient pas combinées dans un seul actif.

La réglementation des Security Tokens
Si les tokens sont des actifs financiers, les règles et lois appropriées doivent être appliqués. Il y a beaucoup de pays où la réglementation n’est pas prête, des adaptations sont donc nécessaires.
– La réglementation en France : Besoin d’adapter l’instrument à l’objet d’où la nécessité de créer une réglementation spécifique. Il est compliqué d’évaluer tous les types de tokens, il est donc nécessaire de prendre du temps pour analyser, rédiger les lois et de les faire voter ensuite. L’AMF ne démarre pas ses travaux sur la mise en place d’une taxonomie précise, mais propose une évaluation au cas par cas.
– La réglementation en Suisse : Toutes les sociétés voulant réaliser une ICO / STO sont allées rencontrer l’autorité de contrôle locale pour demander la marche à suivre car de nombreuses questions se posent encore (ex: qu’en est-il du transfert d’une propriété d’actif sur un token ?). La Suisse a déjà réalisé des STOs, et beaucoup d’autres le seront probablement en 2019. Un large panel d’évolutions réglementaires est à prévoir au niveau financier et comptable (ex : comment comptabiliser les tokens pour une société, comment garantir par la réglementation la propriété réelle des actifs sous-jacents à la blockchain). De plus, il sera nécessaire d’avoir une infrastructure technique (qui sera aussi à réglementer). L’ambition pour le printemps 2019 est avoir une réponse à toutes les questions réglementaires.

Questions / réponses

Comment garantir la sécurité du token numérisé ?
Certains risques pour des tokens numérisés peuvent être l’inverse de ceux des actifs «classiques», il y aura ici un fort besoin de sécurité concernant l’accès au token. Peut-être un dépositaire (custodian) sera nécessaire pour garantir la sécurité des clés privées pour accéder aux jetons, alors qu’aucun courtier n’a perdu de produit et qu’il existe des assurances pour ce type de risques. L’Europe aura besoin d’efficacité (comparée à l’approche de la Suisse ou de Malte). Il n’existe pas (encore) de cadre réglementaire clair en Europe. Avoir un exchange français pour les security tokens est encore très ambitieux car faire avancer une réglementation est compliqué, surtout dans une Europe à 27…. il faut donc évaluer les risques avant de réglementer. Une plateforme de trading de security tokens comporte les mêmes risques qu’une plateforme de trading classique, mais les infrastructures de marchés sont aujourd’hui conçues pour un système centralisé, ce qui n’est pas le cas ici. Toutes les sociétés voulant réaliser une ICO/STO peuvent se faire connaître auprès du régulateur, mais doivent satisfaire aux exigences réglementaires (ex: évaluer le besoin de réaliser un prospectus formalisé comme pour les IPO), ainsi qu’à la LCB-FT et le KYC avec la possibilité de demander un visa facultatif.

Peut-on faire une STO en France maintenant ou plus tard ? Existe-t-il une structure ou cela représente-t-il un risque trop important, la réglementation n’étant pas prête ?
Oui, vous pouvez. Mais il est fortement conseillé d’aller voir l’AMF pour obtenir de l’aide et des conseils, afin de vérifier les réglementations à appliquer selon les caractéristiques du token.

Les crypto-exchanges ne peuvent-ils pas être réglementés comme de «vrais» exchanges ?
Cela ne peut pas arriver, car vous ne pourrez pas trouver un responsable vers qui se retourner en cas de problèmes (par exemple, BTC est auto-régulé)

Pourquoi ne pas commencer par fournir une taxonomie ?
Cela sera fait ultérieurement pour éviter toute confusion concernant les security tokens (dont la définition est liée aux définitions américaines). Nous profiteront de ses cas d’usage réels pour trouver / créer les définitions les plus appropriées.

Le visa AMF peut-il être délivré hors de France ?
Le visa AMF n’est pas fait pour les actifs financiers. En outre il est facultatif, mais c’est un plus de l’avoir. Ce visa est lié à la localisation des projets enregistrés en France, il serait en effet plus compliqué de labelliser des projets soumis au droit Allemand. L’AMF espère que ce visa contribuera à faire de la France pays attractif pour les actifs numériques.

 

3. Applications pratiques et choix technologiques

Avec Domitille Dessertine (AMF), Faustine Foil (ConsenSys), Matthieu Lucchesi (Gide 255), Jean-Marc Stenger (Societe Générale), Jerome of Tychey (AssEth).

Marché secondaire pour les private equities
La tokenisation des actifs pourrait permettre d’augmenter la visibilité les titres peu “connus” (principalement le cas des PME). Le codage direct des contraintes et des réglementations dans les Smart Contracts permettra entre autre de réduire les coûts de conformité aux réglementations, ainsi que garantir les capacités d’audit de code. Pour la Société Générale, il existe trois types de token :
– Crypto token : la banque n’est pas intéressée par les “cryptos” (au mieux, ces tokens pourraient être émis par une banque centrale, mais pas par une banque privée)
– Utility Token : peut être une activité professionnelle
– Security Token : Token sur lequel la banque veut se positionner, avec de nouvelles offres ou des évolutions d’offres existantes. Ex: Gestion d’actif par tokenisation de fond d’investissement.

Émission de titres financiers
Une émission de titres financiers formatés pour les marchés interbancaires concernés par les problèmes d’efficacité et de règlement / livraison, pourrait permettre d’assurer une meilleure fluidité.

Questions / réponses

AMF : Que faire si je souhaite émettre un security token ?
Avec l’ordonnance et le décret Bitcoin de la loi Pacte, beaucoup a déjà été fait, mais peu de cas pratiques en effet. Il reste beaucoup questions à poser pour savoir si l’émission correspond au modèle commercial (par exemple quelle est la légitimité pour une PME avec un petit chiffre d’affaire d’émettre plusieurs Mds €).

 

4. Choix techniques

Les tokens de types ERC20 sont très utilisés, mais ne peuvent pas être réglementés directement (ex: vous pouvez envoyer le contrat à n’importe qui sans restrictions). Deux types de tokens sont actuellement étudiés : ERC 1400 et ERC 777. La créativité financière doit être transférée dans le code. Avec des experts sur la sécurité, le développement et les lois afin de le faire se comporter conformément aux exigences des régulateurs. La gouvernance doit être mise en œuvre dans le contrat, donc probablement sur une sidechain (avec de meilleurs contrôles), par exemple, ce qui pourra être conforme à la RGPD. En terme de performance, une sidechain française branchée sur la blockchain Ethereum pourra permettre beaucoup plus de transactions par secondes.

Il ne faut cependant pas se focaliser uniquement sur la technologie, il y a un besoin de créer une cartographie des risques (qui reste proche de la cartographie classique), mais dont l’impact est inversé (par exemple, la conservation, implique une responsabilité juridique pour la conservation des actifs, contre rémunération), à prévoir en cas de litiges. Les choix techniques qui seront prit nécessiteront une gestion du changement non négligeable pour les acteurs impactés. Dans tous les cas, la réglementation est plus lente que la technologie : nous héritons d’un système optimisé depuis une décennie, ces nouveaux usages requièrent d’évaluer les risques. Pour les régulateurs, les STO auront des avantages, la blockchain peut être surveillée et suivie en temps réel et permet d’accéder à tous les smart contracts. La traçabilité est alors incluse directement dans la blockchain.

Questions / réponses

Comme la technologie est la même pour les security tokens et les utility tokens, qu’est-ce qui fait la différence et pourquoi ?
Pour l’AMF, il y a une différence (sur déjà 80 projets ICO analysés, moins de 5% concernent des actifs financiers).

Comment bénéficier des security tokens pour le règlement / livraison ?
Les deux choses sont différentes (le règlement / livraison est post marché). Le point commun serait un règlement / livraison avec un stablecoin.

Peut-on financer un commerce international avec de la crypto (par exemple acheter du sucre en BTC) ?
C’est possible sur Openbaazar … Cela rappelle que le traitement transfrontalier doit également être réglementé (bientôt, espérons-le).

A propos de la sécurité de la blockchain : quels sont les risques pour les actifs enregistrés dans une blockchain ? Comment être sûr qu’ils sont garantis à leurs investisseurs ? La blockchain peut-elle devenir folle ?
Il existe principalement deux risques différents, comparés aux risques financiers : risque de fork et risque de reversal. Par contre certaines mesures existent pour en atténuer ces nouveaux risques, tel qu’inclure la destruction (burn) du token dans le smart contract en cas de fork.

 


A propos de l’auteur

Stéphan Cohen est expert en sécurité des systèmes d’information, et participe à divers projets Blockchain et crypto-actifs.

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