Christine Lagarde : « Les citoyens pourraient un jour préférer les monnaies virtuelles » *

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* « Citizens may one day prefer virtual currencies »
Hier, lors de la conférence Independence 20 Years organisée par la banque d’Angleterre, Christine Lagarde, directrice générale du FMI, s’est longuement exprimée sur l’avenir des monnaies numériques décentralisées [1], en particulier de Bitcoin, pour évoquer leurs limites, mais aussi pour envisager leur avenir. On appréciera un discours infiniment plus ouvert et nuancé que les propos tenus en novembre 2015 ou en janvier 2016 :

« Commençons par des monnaies virtuelles. Pour être clair, il ne s’agit pas d’évoquer les paiements numériques dans des devises existantes à travers Paypal et d’autres fournisseurs «e-money» tels qu’Alipay en Chine ou M-Pesa au Kenya.

Les monnaies virtuelles évoluent dans une catégorie différente car elles produisent leur propre unité de compte et leur propre système de paiement, et ces systèmes permettent des transactions de pair à pair, sans chambre de compensation, sans banque centrale.

A l’heure actuelle les monnaies virtuelles comme Bitcoin ne représentent pas encore de menace pour l’ordre existant des monnaies fiduciaires et des banques centrales. Pourquoi ? Parce qu’elles sont trop volatiles, trop risquées, trop énergivores, parce que les technologies sous-jacentes ne sont pas suffisamment scalables, que beaucoup d’entres elles sont trop opaques pour les régulateurs et que certaines ont été piratées. Mais beaucoup de ces défauts ne sont que des défis technologiques qui pourraient être surmontés avec le temps.

Il n’y a pas si longtemps encore certains experts soutenaient que les ordinateurs personnels ne seraient jamais adoptés ou que les tablettes ne serviraient jamais qu’à transporter le café. C’est pourquoi je pense qu’il ne serait pas sage que nous repoussions d’un revers de main les monnaies virtuelles. Pensez par exemple aux pays dont les institutions sont faibles et dont les monnaies nationales sont instables, au lieu d’adopter la monnaie d’un autre pays comme les Etats-Unis (à défaut d’un meilleur exemple), quelques-unes de ces économies pourraient se tourner vers les monnaies virtuelles. Appelons cela de la “dollarisation 2.0”. L’expérience prouve qu’il y a un point de basculement au-delà duquel l’adoption d’une nouvelle monnaie est exponentielle. Il y a un précédent, même s’il ne s’agit que d’une île : aux Seychelles la dollarisation est passée de 20% en 2006 à 60% en 2008, le point de basculement.

Et pourtant pourquoi les citoyens préféreraient-ils une monnaie intangible plutôt qu’une monnaie physique : dollars physique, euros ou livres Sterling ? Parce que ces nouvelles monnaies seront peut-être un jour moins risquées et plus facile à obtenir que la monnaie papier, surtout dans les régions reculées, et parce que les monnaies virtuelles pourraient devenir de plus en plus stables. Par exemple elles pourraient être convertibles à un contre un contre des dollars ou un panier stable de monnaies. Les transactions pourraient être complètement transparentes et gouvernées par des règles prédéfinies par un algorithme, ou même des “smarts rules” qui pourraient intégrer des changements macro-économiques.

Donc, à bien des égards, les devises virtuelles pourraient donner du fil à retordre aux monnaies existantes et à la politique monétaire. La meilleure réponse pour les banquiers centraux c’est de continuer à mener des politiques monétaires efficaces tout en restant ouverts aux idées nouvelles, aux nouvelles demandes et aux nouvelles technologies à mesure que l’économie et la technologie évoluent.

Considérons par exemple la demande croissante de nouveaux services de paiement dans les pays où l’économie partagée et décentralisée prend son essor. On parle ici d’une économie enracinée dans les transactions entre pairs, de paiements de faible valeur mais très nombreux, et réalisés parfois à travers les frontières.

Quatre dollars pour les conseils de jardinage d’une Néozélandaise, trois euros pour une traduction experte d’un poème japonais et 80 pences pour une modélisation de la Fleet Street : ces paiements pourront sans doute toujours être effectués par carte de crédit ou par d’autres formes d’e-monnaies mais les charges resteront relativement élevées pour les montants de faible valeur, surtout pour les transactions transfrontalières. Les gens préféreront peut-être un jour les monnaies virtuelles parce que potentiellement elles seront aussi peu coûteuses et aussi pratiques que le cash, sans risque de règlement, sans délai de compensation, sans enregistrement central et sans intermédiaire pour vérifier votre compte ou votre identité. Si les monnaies virtuelles émises de manière privée restaient risquées et instables, les citoyens pourraient même faire appel aux banques centrales pour leur fournir une version numérique d’une monnaie ayant cours légal.

Alors, lorsque cette nouvelle économie frappera à la porte de la Banque d’Angleterre, la ferez-vous entrer pour lui proposer du thé et de la liquidité financière ?

Texte original :

Let us start with virtual currencies. To be clear, this is not about digital payments in existing currencies—through Paypal and other “e-money” providers such as Alipay in China, or M-Pesa in Kenya.

Virtual currencies are in a different category, because they provide their own unit of account and payment systems. These systems allow for peer-to-peer transactions without central clearinghouses, without central banks.

For now, virtual currencies such as Bitcoin pose little or no challenge to the existing order of fiat currencies and central banks. Why? Because they are too volatile, too risky, too energy intensive, and because the underlying technologies are not yet scalable. Many are too opaque for regulators; and some have been hacked.

But many of these are technological challenges that could be addressed over time. Not so long ago, some experts argued that personal computers would never be adopted, and that tablets would only be used as expensive coffee trays. So I think it may not be wise to dismiss virtual currencies.

Better value for money?

For instance, think of countries with weak institutions and unstable national currencies. Instead of adopting the currency of another country—such as the U.S. dollar—some of these economies might see a growing use of virtual currencies. Call it dollarization 2.0.

IMF experience shows that there is a tipping point beyond which coordination around a new currency is exponential. In the Seychelles, for example, dollarization jumped from 20 percent in 2006 to 60 percent in 2008.

And yet, why might citizens hold virtual currencies rather than physical dollars, euros, or sterling ? Because it may one day be easier and safer than obtaining paper bills, especially in remote regions. And because virtual currencies could actually become more stable.

For instance, they could be issued one-for-one for dollars, or a stable basket of currencies. Issuance could be fully transparent, governed by a credible, pre-defined rule, an algorithm that can be monitored…or even a “smart rule” that might reflect changing macroeconomic circumstances.

So in many ways, virtual currencies might just give existing currencies and monetary policy a run for their money. The best response by central bankers is to continue running effective monetary policy, while being open to fresh ideas and new demands, as economies evolve.

Better payment services?

For example, consider the growing demand for new payment services in countries where the shared, decentralized service economy is taking off.

This is an economy rooted in peer-to-peer transactions, in frequent, small-value payments, often across borders.

Four dollars for gardening tips from a lady in New Zealand, three euros for an expert translation of a Japanese poem, and 80 pence for a virtual rendering of historic Fleet Street: these payments can be made with credit cards and other forms of e-money. But the charges are relatively high for small-value transactions, especially across borders.

Instead, citizens may one day prefer virtual currencies, since they potentially offer the same cost and convenience as cash—no settlement risks, no clearing delays, no central registration, no intermediary to check accounts and identities. If privately issued virtual currencies remain risky and unstable, citizens may even call on central banks to provide digital forms of legal tender.

So, when the new service economy comes knocking on the Bank of England’s door, will you welcome it inside? Offer it tea—and financial liquidity ?

Source : imf.org 


[1] Avertissement : nous proposons ici une traduction non-professionnelle. En cas de doute veuillez vous référer à la vidéo ou au texte ci-dessus.