Blockchain, « supply chain » et marketing

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Actuellement, tout le monde parle de la « technologie blockchain » comme un outil permettant d’assurer la traçabilité d’objets ou de nourriture comme les poulets, ou encore les diamants.

Avec cet article, j’aimerais revenir sur ce concept de « blockchain » et expliquer ce qu’il est possible de faire et ce qui relève du marketing et du buzzword.

 

La « blockchain » : une base de données peu efficace

Il est important de comprendre que la « blockchain » est une base de données distribuée qui ne permet pas de stocker grand chose et qui est donc très peu efficace. En effet, pour des raisons de coût il ne sera pas possible d’enregistrer des données volumineuses, il est seulement possible d’enregistrer des hashs de ces données (une sortie d’identifiant unique formée à partir d’un document numérique) prouvant leur existence à un instant T. Par contre sans le document numérique original (non « hashé »), il est impossible de dévoiler les données. Il est nécessaire de garder une copie sur un ou plusieurs serveurs pour plus de sécurité.

Cette base permet de distribuer les données sur des milliers d’ordinateurs à la fois. Cette redondance est coûteuse. Aussi le protocole Bitcoin n’accepte seulement qu’un nombre limité de données dans chaque bloc. Par ailleurs, il existe des méthodes cryptographiques permettant de combiner les hashs de plusieurs documents en un afin de minimiser les coûts mais cela demande la mise en place d’une surcouche complexe.

Certains protocoles permettent d’intégrer plus de données mais une croissance rapide va décourager les personnes d’avoir un nœud à cause du prix du stockage et cela va mener la centralisation… ce qui nous ramène à nos systèmes traditionnels.

 

Difficulté de lier la réalité au numérique

La « blockchain » serait une source de vérité. Toute donnée enregistrée dans le système ne peut pas être modifiée. C’est vrai que c’est une base qui n’accepte que l’ajout de données mais ce n’est pas pour autant une source de « vérité ». En effet, elle peut contenir de fausses informations. Elle permet seulement le consensus, c’est-à-dire qu’on est tous d’accord sur ce qu’il y a dans cette base de données. Nous avons tous les mêmes choses inscrites dedans.

Par exemple, si l’on souhaite mettre en place une procédure de traçabilité pour nos poulets et qu’on enregistre la température lorsqu’on les met dans le camion froid afin de s’assurer que la chaîne réfrigérée n’a pas été rompue. Pour cela, on a utilisé un thermomètre pour prendre la température. Or celui-ci peut être défaillant et nous donner une valeur erronée. Cette valeur erronée va ensuite être enregistrée dans la « blockchain ».

La « blockchain » ne résout donc pas notre problème de traçabilité puisqu’il est possible d’entrer des données qui ne correspondent pas à la réalité. Or c’est ce que l’on souhaite lorsque l’on parle de traçabilité, on cherche à s’assurer de la provenance et de la qualité. Cela peut être d’ailleurs intentionnel ou non.

 

Nous n’avons pas de problème de double dépense

Le protocole Bitcoin est une solution au problème de la double dépense. En effet, une information numérique est très facile à copier (texte, image, musique, film…) or un poulet n’a pas ce problème.

Pour rappel le problème de la double dépense, que résout Bitcoin, est celui des « outputs » utilisés dans deux transactions et donc dépensés à deux endroits différents. Or si on fait l’analogie avec des pièces de monnaie, vous ne pouvez pas dépenser chez votre boucher des euros que vous avez déjà dépensés chez votre boulanger.

Il reste possible d’écrire quelques bits dans cette base de données que tout le monde pourra voir au prix de quelques satoshis. Une façon amusante de passer dans la postérité, mais est-ce que c’est une solution optimisée pour une compagnie qui n’est pas concernée par le problème de double dépense ?

Conclusion

Ce qu’il y a retenir de cet article :
– La « blockchain » ne permet pas de stocker vos données ;
– c’est une base de données qui n’est pas efficace et coûteuse ;
– elle ne reflète pas la réalité ;
– la preuve d’existence n’est fiable que pour prouver l’existence de bits mais pas d’atomes.

Il est plus raisonnable de faire confiance à des chercheurs/ingénieurs pour trouver des solutions au lieu d’essayer d’utiliser une technologie qui résout des problèmes qui n’existent pas.

* Supply chain = chaîne logistique 

 


A propos de l’auteur

Lola Rigaut-Luczak est ingénieure en informatique à Amiens. Elle s’intéresse depuis 5 ans aux applications et protocoles permettant de lutter contre la censure (Bitcoin, Zeronet, Bittorent, Namecoin, Monero…). Elle est également membre du Cercle du Coin et organisatrice du groupe Bitcoin Amiens sur meetup.com.

En savoir plus sur ses travaux : https://github.com/rllola