Bitcoin et « la crise de la tulipe »

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Le site d’information Atlantico vient de publier une interview de Philippe Herlin, chercheur en finance, chargé de cours au CNAM à propos du phénomène Bitcoin.

[« crise de la tulipe » est le nom donné à l’augmentation démesurée puis l’effondrement des cours de l’oignon de tulipe aux Pays-Bas au milieu du XVIIe siècle.]

Source : atlantico.fr

Le cours du bitcoin, qui a évolué sous les 10 euros durant l’année 2012, s’est mis a grimper à partir du mois de janvier et vient de dépasser les 100 euros. Vous allez prochainement faire paraître un livre sur le bitcoin et les monnaies complémentaires : pensez-vous que cette monnaie électronique repose en fait sur une vaste bulle ou sur une réussite économique tangible ?

Rappelons tout d’abord rapidement ce qu’est le bitcoin. Il s’agit d’une monnaie électronique née en janvier 2009 et qui a pour caractéristique de fonctionner intégralement sur un réseau peer to peer. Autrement dit, personne ne la possède, ni une société, ni un Etat. Les transactions sont vérifiées et validées par le réseau, et ceux qui consacrent une partie de la puissance de leur ordinateur à faire ce travail sont récompensés par des bitcoins, le système est autorégulé. La quantité de bitcoins en circulation tendra vers une limite, il s’agit d’une monnaie-matière première, comme l’or, il n’y a pas de possibilité de « planche à billets » et donc d’inflation. Enfin la sécurité ainsi que l’anonymat est garanti par un système de clé publique/clé privée et de procédés cryptographiques. En somme, il s’agit d’une monnaie au croisement de l’école autrichienne (refus de toute planche à billets), du libéralisme (aucun contrôle étatique) et du logiciel libre.

Le bitcoin repose donc sur des fondamentaux sérieux et solides : s’il avait dû s’écrouler (perte de confiance, incident technique, fraude), il l’aurait fait depuis longtemps. Maintenant, cette nouvelle monnaie n’a pas encore atteint l’âge adulte. Lorsqu’il y a un afflux soudain de nouveaux utilisateurs, le cours explose, on a déjà vu cela en 2011 lorsqu’il est passé de quelques centimes à 30 euros, avant de s’écrouler sous les 5 euros. La hausse actuelle est en partie bullaire, il y aura une correction, mais cette monnaie trouvera sa place, incontestablement. Actuellement, à 100 euros, la masse monétaire totale du bitcoin s’élève à un milliard d’euros, une somme ridicule à l’échelle mondiale. Il y aura d’autres à-coups.

Comment s’explique cette montée en puissance fulgurante de ce service en si peu de temps ?

Cette hausse est surtout due à l’afflux de nouveaux utilisateurs, plus exactement de gens qui se rendent compte que le bitcoin peut leur rendre de très utiles services alors qu’auparavant ils n’en connaissaient même pas l’existence. En Argentine, le contrôle des changes devient de plus en plus étouffant et des sociétés l’utilisent pour effectuer des paiements ou des virements de façon anonyme et pour des frais minimes. Mais c’est surtout l’affaire de Chypre et des comptes bancaires spoliés qui a généré une crainte soudaine, notamment dans les autres pays européens en difficulté et l’on sait qu’en Espagne les applications pour smartphone permettant d’acheter des bitcoins connaissent un grand succès. Car un compte bitcoin est inviolable. Ce n’est manifestement pas l’or qui a profité de la crise chypriote, mais le bitcoin !

Il existe une autre raison, plus profonde, moins conjoncturelle, au succès de cette monnaie. Longtemps, elle a été réservée aux « geeks » car il fallait installer un logiciel et une base de données sur son ordinateur, une opération un peu complexe. Mais depuis peu des sociétés font l’intermédiaire et il suffit d’un compte login/mot de passe pour y accéder. Le bitcoin est en train de devenir grand public !

Cette volatilité de son cours sous-entend-elle que la monnaie virtuelle est trop instable par nature pour se développer outre-mesure ?

La hausse actuelle, et la correction ou le krach qui devrait suivre, crée effectivement trop d’incertitude aujourd’hui. Car le bitcoin ne sert pas uniquement à placer son argent, mais aussi à effectuer des transactions à un coût minime, parce que l’on court-circuite le système bancaire et Visa/Mastercard. Pour quelques centimes, on peut changer des euros en dollars, ou acheter un produit sur un site sans supporter de frais de transaction ou presque. De nouvelles sociétés se positionnent sur ce créneau et font l’intermédiaire. Par exemple mon compte est débité en euros, celui du commerçant crédité en euros, mais entre les deux ça passe par des bitcoins, les frais de transaction sont nettement moindres, tout le monde est gagnant, sauf les banques !

Quelles leçons peut-on tirer de cet événement ?

Le bitcoin prend son essor mais sa croissance sera mouvementée ! Mais face aux monnaies papier comme l’euro, le dollar, la livre ou le yen, dont les banques centrales font de plus en plus tourner la planche à billets, avec tous les risques d’inflation que cela comporte, face aussi à un système bancaire encore fragile, le bitcoin offre incontestablement, sinon une alternative, au moins un complément plus qu’utile. Le bitcoin s’inscrit dans le mouvement général de développement des monnaies complémentaires (c’est à dire qui circulent à côté de la monnaie officielle). On en compte plus de 5.000 à travers le monde, contre seulement quelques unes en 1990. Le bitcoin c’est « la monnaie complémentaire pour tous » puisqu’il suffit d’une connexion Internet pour y avoir accès. Ce mouvement général traduit la progression des craintes envers les monnaies papier de plus en plus manipulées.

 

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