Bitcoin et la génomique

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De même que la sélection naturelle ne conserve que les formes les plus adaptées parmi toutes les propositions du hasard, un processus de tri drastique est à l’oeuvre dans les crypto-monnaies. De toutes celles qui voient le jour, seules les plus innovantes peuvent en effet espérer – à défaut de survivre sur le long terme – inspirer tout au moins de nouvelles cryptos qui réinvestiront ces innovations avant de subir à leur tour la même impitoyable sélection.

On me rétorquera qu’il en est ainsi de n’importe quelle nouvelle technologie : comme toute fonction biologique, une création technologique ne voit le jour qu’en s’appuyant sur d’autres inventions et ne se développe au final – et tout le marketing du monde n’y changera rien – que si elle est réellement utile et innovante.

L’analogie entre Bitcoin et le monde vivant va cependant beaucoup plus loin.

D’une part la blockchain (le registre des transactions) est semblable au génome d’une espèce qui est également un grand registre distribué entre tous les individus. Ainsi le décès d’un ou plusieurs d’entre-eux, comme la déconnexion d’un ou plusieurs nœuds, ne met pas en péril le registre en lui-même puisqu’il en existe quantité d’autres copies.

D’autre part, dans le monde vivant, les modifications se font au hasard et c’est l’environnement qui les choisit – généralement par sélections successives et sur de grandes périodes de temps – pour transmettre les plus favorables à l’ensemble des individus. Pour Bitcoin, c’est aussi le hasard qui est à l’oeuvre quand il s’agit d’inclure un nouveau bloc dans le registre et d’attribuer ex-nihilo une prime à un mineur.

Evidemment la comparaison s’arrête là pour l’instant car si chaque cellule vivante contient une copie du génome, cette copie ne contient pas l’ensemble des allèles (des versions des gènes) de l’espèce tout entière. Pour Bitcoin au contraire, chaque nœud détient l’intégralité du registre sans variations possibles (en dehors peut-être de ce qu’on a appelé la malléabilité des transactions).

Autre différence : dans le monde vivant la quantité d’information transmise d’une génération à l’autre est stable (on hérite que de la moitié des gènes de chacun de ses parents). La blockchain de Bitcoin, en dépit des mécanismes d’élagage et de compression prévus par son créateur, est en augmentation constante, ce qui ne favorise pas l’émergence de nouveaux nœuds. C’est un véritable problème car le registre n’existe qu’à travers ces nœuds, ils sont le cœur du réseau Bitcoin.

Bitcoin ne pourrait-il pas s’inspirer du monde vivant en permettant, par exemple, à chaque nœud du réseau à ne conserver, de façon aléatoire, que des parties du registre pour alléger la quantité d’information et favoriser en cela la multiplication des copies ? Est-ce techniquement envisageable ? Doit-on au contraire se diriger vers un petit nombre de super-nœuds, au risque de concentrer et de fragiliser le système ?

Je laisse aux spécialistes le soin d’évaluer la pertinence de cette proposition et de cette analogie.

JS


Ajout du 25 mai 2014

La même analogie vient d’être développée par Ryan Walker sur Coindesk :
www.coindesk.com/origins-money-darwin-evolution-cryptocurrency