Maître Hubert de Vauplane, est avocat associé du cabinet KRAMER LEVIN NAFTALIS & FRANKEL. Il est aussi professeur associé à Paris II (Assas) et ancien responsable de la conformité du groupe CA. Il s’intéresse depuis longtemps au bitcoin, que ce soit sur son blog (sur Alternatives Économiques ) ou dans la revue Banque, et participe à de nombreux événements.
Il a publié ce dimanche, sur son blog et sur Finyear un article intitulé LA BLOCKCHAIN ET LA LOI, article qui a le mérite de faire un point d’ensemble des problèmes posés par la large gamme des technologies se réclamant aujourd’hui de la blockchain, depuis celle née en janvier 2009 jusqu’aux bases de données distribuées qui fleurissent sous ce nom nouveau.
Si l’on peut regretter que l’auteur n’ironise pas au spectacle de l’arrogante finance mondiale ravie de s’emparer sans vergogne d’une trouvaille libertarienne (ce qui en dit long sur sa propre créativité), il aurait dû, au chapitre des natures publique ou privée du bitcoin, s’attarder aussi sur les efforts de privatisation sous forme de dépôts de brevets massifs (par exemple BoA ) d’une technologie née en open-source.
L’auteur a bien raison d’examiner les liens entre cyberlaw et droit positif, et plus généralement de la relation entre cryptographie et opposabilité juridique. Je reste moi-même souvent dubitatif lorsque dans tel ou tel pitch on nous assure que code is law et que la dernière trouvaille du jour va remplacer un pan entier du Code. Cependant on a un peu de mal à le suivre : si d’une part sur la Blockchain du bitcoin les échanges ne sont pas reconnus comme opposables aux tiers, mais uniquement entre l’acheteur et le vendeur et si d’autre part la chaine privée fonctionne selon des règles internes opposables aux participants on finit par mal voir la différence. Il reste, j’en conviens, que dans tous les cas (système de livraison-règlement, inscriptions cadastrales) et comme le dit l’auteur lui-même, l’intervention d’un législateur est nécessaire pour étendre le régime de la preuve, un peu comme la signature électronique.
Alors que l’article d’Hubert de Vauplane s’achève par le couplet (désormais nécessaire pour accrocher l’oreille de la puissance publique) concernant le risque de « perte de souveraineté » que la nature internationale de la ou des blockchains induit, j’aurais, pour ma part, préféré conclure sur une différence moins juridique que philosophique, voire mathématique, entre non pas les blockchains mais ce qu’elles font circuler.
Faisons donc comme les économistes, et entourons les truismes d’un peu d’apparat mathématique : soit B une blockchain, et b le token de B, alors sur B, b est dit « réel » et tout b’≠ b est « virtuel ». Corollaire : sur B’, c’est b qui est « virtuel ». Chacun chez soi…
Retournons à la langue française : sur sa Blockchain, le bitcoin n’est pas une représentation de bitcoin. Quand Hubert de Vauplane dit que les opérations effectuées n’ont pas d’autre force juridique que la valeur dont les participants à la chaine veulent bien leur donner. Ainsi, dans le cas du bitcoin, les échanges de cette cryptomonnaie n’ont pas de valeur légale ; elles ne sont pas reconnue comme opposables aux tiers, mais uniquement entre l’acheteur et le vendeur je crains qu’il ne fasse disparaître un point qu’il connait pourtant aussi bien que nous tous : la transaction en bitcoin est réelle, irrévocable. Les subtilités juridiques se retournent donc bien plutôt contre les blockchains privées (B’) , moins destinées à faire circuler leurs propres tokens (b’) que la représentation (de type IOU) de choses diverses (titres, fiches cadastrales…). Quant à faire circuler des devises banques centrales sur des chaines privées, il n’y faut pas songer.
Au total, c’est bien moins Lawrence Lessing que j’aurais cité qu’Otto von Bismarck pour son mot Macht geht vor Recht. Inutile d’ergoter sur la valeur historique (douteuse) de ce bon mot, ou sur le point de savoir si le Chancelier de fer a parlé de Macht ou de Kraft. Une opération en bitcoin, quelque soit le droit qu’on lui applique ici ou là est un fait accompli.
La formule de Bismarck fut joliment complétée par un savant français, libre penseur et plein d’humour, que je citerai en conclusion parce qu’elle s’applique élégamment à notre devise de « fatal-virtuel » :
La force prime le droit et l’or prime la force