A propos de la création de bitcoin.fr

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A la fin de l’année 2010, l’affaire des télégrammes diplomatiques divulgués par Wikileaks faisaient la Une des journaux et c’était le début des ennuis de Julian Assange. C’est dans ce contexte qu’un ami m’a envoyé un message enthousiaste où il était question d’Openleaks, une alternative à Wikileaks présentée comme plus décentralisée (mais qui ne verrait jamais le jour), de DNS de pair à pair échappant au contrôle des États et surtout d’une étonnante monnaie d’un genre nouveau, internationale, p2p, native d’Internet et, elle aussi, résistante à la censure.

L’information venait du magazine PC World qui, deux jours avant, avait publié un article intitulé « Could the Wikileaks Scandal Lead to New Virtual Currency?« , sans doute le premier coup de projecteur sur Bitcoin dans un média de cette envergure. Cette publication inquiéta vivement le créateur de Bitcoin qui anticipait probablement ce qui se passerait six mois plus tard, lorsque WikiLeaks accepterait les dons en btc pour contourner le blocus financier dont son organisation était victime : « WikiLeaks a donné un grand coup de pied dans le nid de frelons, et l’essaim se dirige vers nous ». Le lendemain de ce message, le 12 décembre, il publierait une dernière fois sur le forum Bitcointalk, laissant à d’autres le soin de poursuivre une œuvre inachevée et, de son propre aveu, encore fragile : « …the software is not at all resistant to DoS attack [and] there are still more ways to attack than I can count. »

Par le plus grand des hasards, c’est ce jour-là, donc, que je découvrais bitcoin. N’étant ni développeur, ni anarchiste de quelque bord que ce soit, ni même intéressé par la finance ou la monnaie, j’aurais pu passer mon chemin. Et pourtant, comme d’autres alors, j’ai compris assez rapidement que nous étions là face à quelque chose de réellement nouveau. Il y avait au moins un précédent. Avec le développement du protocole BitTorrent dans les années 2000, j’avais pris conscience de la puissance des réseaux P2P. Quelques années plus tard encore, comme beaucoup d’autres, j’avais été passablement agacé par la réaction des législateurs français, qui, cédant aux jérémiades d’une industrie musicale incapable de saisir les opportunités nouvelles ouvertes par Internet, avait répondu par la promulgation des lois Hadopi.

Dans mon esprit, Bitcoin c’était donc ça à l’époque, une sorte de BitTorrent de la monnaie, quelque chose de profondément subversif mais surtout la promesse d’un grand divertissement quand les Etats et les banques en prendraient conscience.

Hélas, mon intuition n’est pas allée beaucoup plus loin. Rien dans le message de mon ami ni dans ce que j’ai pu lire dans les jours qui suivirent ne laissait présager que Bitcoin serait davantage qu’un médium d’échange alternatif pour une petite communauté de geeks. Pour le dire autrement, je n’y ai pas vu une opportunité d’investissement financier.

Néanmoins ce nouveau bidule était en soi fascinant et déjà suffisamment mûr pour qu’on puisse, sans compétences techniques, faire tourner l’unique client présent sur le marché – à la fois full node, wallet et mineur. J’ai donc installé le logiciel et, après avoir téléchargé sans difficulté l’historique des blocs, j’ai cliqué sur le fameux bouton « générer des pièces », faisant aussitôt vrombir le ventilateur de ma machine. Mais avec ma puissance de calcul, j’ai rapidement réalisé qu’il me faudrait peut-être plus de trente jours pour espérer obtenir (ou pas) 50 bitcoins. Cramer de l’électricité et prendre le risque d’endommager ma machine pour si peu, ça ne m’a pas semblé très pertinent. Cela faisait alors un bon moment – depuis le mois d’avril – que des personnes bien plus avisées avaient compris qu’on pouvait miner avec une carte graphique et j’ignorais encore qu’on pouvait mutualiser le travail. La première « pool de minage », la Slush Pool, venait à peine de naître et je n’en avais pas entendu parler. Ma carrière de mineur s’arrêta donc au bout de 24 heures, sans le moindre satoshi.

Pourtant pour essayer Bitcoin il me fallait des bitcoins, ou au moins quelques fractions. Par chance le « faucet » de Gavin Andresen était encore actif, certes plus du tout aussi généreux qu’à ses débuts, mais en y passant deux fois avec deux IP différentes, j’obtins 0,15 btc, largement de quoi faire quelques tests. Alors oui, j’ai pu constaté que Bitcoin permettait bien d’envoyer des bitcoins, presque sans frais et surtout sans tiers de confiance… fascinant ! Voilà.

J’aurais pu m’arrêter là et me réveiller quelques années plus tard, mais lors de mes recherches j’avais constaté un peu par hasard que le nom de domaine bitcoin.fr avait été délaissé. Si je n’avais pas encore, et de loin, une vision claire du protocole, j’avais suffisamment lu de choses pour comprendre qu’il y avait peut-être là une opportunité à saisir. Le 23 décembre 2010 j’ai donc lancé bitcoin.fr, modeste blog avec quelques explications sommaires, quelques liens utiles… puis je suis retourné à des occupations plus sérieuses.

Les deux années qui suivirent furent assez modestes. Même si je continuais à suivre de loin et à relayer très épisodiquement l’actualité de Bitcoin, ce n’était qu’une activité très secondaire. Je tiens tout de même à saluer ici Pierre Noizat qui, début 2012, m’a aimablement autoriser à republier les articles qu’il avait écrits pour Paris Tech Review, à ma connaissance le premier contenu en français sur Bitcoin vraiment approfondi.

Enfin il y eut les deux poussées de 2013 qui se sont traduites par un afflux important de visiteurs et, de mon côté, par la prise de conscience tardive que je m’étais engagé dans une aventure bien singulière. L’année suivante j’ai rencontré Marco. Un nouveau départ pour bitcoin.fr…


Article publié originellement dans la Newsletter 21 millions.