Faut-il prendre au sérieux le BIP 148 ?

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Conçu par ses auteurs comme un moyen de « motiver les mineurs à signaler Segwit » et de s’affranchir des contraintes du BIP 9 [1], le BIP 148 se présente comme un soft fork « activé par les utilisateurs » [2] plus exactement par les nœuds du réseau et les exchanges. Puisque les blocs Segwit sont reconnus par tous les mineurs [3], l’idée de l’UASF [2] c’est d’activer le soft fork SW le 1er août 2017 quel que soit son niveau d’adoption et, par conséquent, de ne plus relayer à cette date les blocs « non Segwit » afin de contraindre les mineurs récalcitrants [4].

Si la proposition peut sembler sympathique sur le papier, on trouve cependant assez peu d’experts pour la soutenir : « L’UASF c’est du populisme appliqué au BIP. Ça sonne comme “nuit debout”, ça a l’air révolutionnaire, ça fait “power to the people”, ça a l’air d’être LA solution magique… comme le brexit. » – Ang-st, CTO de Digital Service.

Pour Superresistant, qui a créé un tutoriel d’installation, le BIP 148 doit être considéré avant tout comme une riposte, indépendante de Bitcoin Core, à la centralisation du mining et à Bitcoin Unlimited – autre proposition qui aimerait s’imposer sans le consensus de la communauté si elle parvient à réunir plus de 50% du “hashrate” :  « Il y a quelques années, lorsque je pointais du doigt la centralisation des fabricants d’ASIC et du mining, on me répliquait que ce n’était pas un problème ! Que cela n’arriverait pas car la technologie arriverait rapidement à un plateau et les puces ASIC deviendraient accessibles à tous. Il y aurait plus de fabricants et des mineurs sur tous les continents. Bien entendu ce n’est pas arrivé et rien n’a jamais été fait pour restreindre cette centralisation qui, avec le temps, a fait émerger un pouvoir qui menace le consensus. Quand je suis arrivé dans le Bitcoin, on pouvait tous miner avec son PC ou un FPGA même si ça ne rapportait pas grand chose, les pools se rapprochant de 50% de hashrate se faisaient DDoS, et les trop grandes mining farms prenaient feu […]. Où est passé l’instinct de survie de Bitcoin et le rêve de décentralisation, je me le demande ? D’un côté BU veut transformer le Bitcoin en un réseau VISA bis pour payer son starbucks, de l’autre Bitcoin Core dans sa bulle se masturbe sur le code. Même si UASF est un combat perdu d’avance, c’est le seul moyen d’expression des utilisateurs à qui on a vendu du rêve, un système bancaire alternatif sans maître où tout le monde peut participer. Ca peut faire rire aujourd’hui mais à l’époque on y croyait. »

Un point de vue qui ne semble pas offusquer Vivien Brunot, consultant blockchain chez PwC France : « Beaucoup de supporters de BU sont contents qu’il y ait UASF, cela permet de mettre au jour que l’un des principaux arguments anti-BU, le risque de “split”, était un écran de fumée. Le fait que cela puisse faire sortir de la chaine Bitcoin une grosse partie des pro-Segwit n’est pas non plus pour leur déplaire. »

Nicolas Bacca, CTO de Ledger, renvoie dos à dos les deux propositions : « UASF c’est aussi stupide que “Emergent Consensus” [5]. La principale différence étant le “payload” dans ce cas là. Segwit dans un cas et des GROS BLOCS [6] dans l’autre. Les deux “splittent” le réseau si tout le monde ne joue pas le jeu, et tu n’as aucun moyen de savoir qui joue le jeu, donc c’est de la roulette russe. »

Sentiment partagé par Arthur Bouquet pour qui l’UASF n’est « rien de plus qu’un fork forcé par une partie du réseau, un peu comme Bitcoin Unlimited […]. Le principal problème c’est que pour imposer des règles il est préférable d’être assez nombreux sinon on va au-devant de graves problèmes… en gros un soft ou un hard fork est tout aussi dangereux et il y a un risque de “split” plus ou moins important dans les deux cas. La différence entre UASF et BU c’est juste que l’un est plus risqué que l’autre. Dans le cas BU il y a “split” si des utilisateurs ou des mineurs ne mettent pas à jour car ils ne verront pas le fork et l’ignoreront. Donc il faut absolument que tout le monde mette à jour. Dans le cas UASF, si les utilisateurs ne mettent pas à jour c’est pas “grave” car les blocs restent valides et Bitcoin continue à fonctionner, par contre des mineurs pourraient provoquer un split en minant des blocs valides pour certains et invalides pour d’autres. Conclusion : sans “vrai” consensus, les deux sont risqués et le “do nothing” reste la meilleure option. »

En savoir plus : uasf.co – lists.linuxfoundation.org – weusecoins.com – github.com


[1] Un BIP (Bitcoin Improvement Proposal) est une proposition d’amélioration de Bitcoin. Le BIP 9 spécifie que pour activer Segwit il faut un large consensus : 95% des 1000 précédents blocs.

[2] UASF : User Activated Soft Fork. Actuellement Bitfury est la seule pool qui signale BIP148 sur une partie de son hashrate.

[3] Segwit est un « soft fork », une modification retro-compatible.

[4] 69 % d’entre eux à l’heure actuelle. Voir : segwit.co.

[5] Bitcoin Unlimited repose sur concept controversé de « consensus émergent », l’idée selon laquelle les participants à l’écosystème Bitcoin, même sans limitation de la taille des blocs, convergeront toujours vers une seule blockchain, car c’est leur intérêt économique.

[6] En majuscules dans le texte.