Une proposition de loi pour interdire les distributeurs de bitcoins

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Enregistrée à la Présidence du Sénat le 17 novembre 2017, le texte présentée par Mme Nathalie GOULET, Sénatrice UDI de l’Orne, propose d’interdire l’utilisation de bornes d’échange et les distributeurs de crypto-monnaies sur le territoire français, à moins que ces machines ne permettent d’identifier les individus par un contrôle biométrique ou l’enregistrement d’une pièce d’identité. A noter qu’il n’y a, aujourd’hui, plus qu’un seul distributeur de bitcoins en France [1], quant aux plateformes et aux comptoirs de change situés sur le territoire, ils appliquent déjà des mesures strictes de KYC [2].


PROPOSITION DE LOI visant à interdire l’installation et l’utilisation de bornes d’échange et de distributeurs de cryptomonnaies,

PRÉSENTÉE par Mme Nathalie GOULET, Sénateur

(Envoyée à la commission des finances, sous réserve de la constitution éventuelle d’une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La cybercriminalité est un fardeau se développant de jour en jour. Cette cybercriminalité a dernièrement été facilitée par la naissance des crypto-monnaies, échappant à tout cadre juridique. L’instauration de mesures de restrictions quant à l’usage de ces crypto-monnaies semble donc inéluctable.

Les crypto-monnaies sont des valeurs monétaires dématérialisées permettant d’effectuer des transactions en ligne.

Il existe aujourd’hui plus de 700 crypto-monnaies différentes, la principale étant le bitcoin.

Comme le rappelle le rapport d’information fait au nom de la commission des finances sur les enjeux liés au développement du Bitcoin et des autres monnaies virtuelles, dressé par MM. Philippe MARINI et François MARC, sénateurs (N° 767), le bitcoin « créé en 2009 par Satoshi Nakamoto, se veut une alternative libre, anonyme et décentralisée, permettant aux utilisateurs d’échanger entre eux des biens et des services sans avoir recours à la monnaie classique ».

Par ailleurs, la Cour de Justice de l’Union européenne considère depuis un arrêt du 22 octobre 2015 (C-264/14) que le bitcoin est un moyen de paiement et qu’à ce titre il peut bénéficier des exonérations de TVA prévues pour les opérations financières.

En novembre 2017, plus de 16 millions de bitcoins sont en circulation. Selon un article du magazine Capital publié le 24 août 2017, la capitalisation cumulée des 856 crypto-monnaies répertoriées par le site Coinmarketcap.com dépasse désormais 153,3 milliards de dollars, soit environ 130 milliards d’euros.

Selon les données de Coinmarketcap.com, en juin 2017, d’autres crypto-monnaies représentaient également des sommes très importantes. On retrouvait ainsi l’Ethereum avec 29,2 milliards de dollars, le Ripple avec 10,2 milliards de dollars, le Litecoin avec 2,1 milliards de dollars, l’Ethereum Classic avec 1,7 milliards de dollars, et les 700+ autres crypto-monnaies représentant alors plus de 18,6 milliards de dollars au total.

Cette somme astronomique n’est actuellement pas soumise aux mêmes régulations que les devises classiques, puisque les crypto-monnaies n’entrent dans aucun cadre juridique.

Les caractéristiques d’intraçabilité des crypto-monnaies en ont fait un outil de prédilection pour les actes de cybercriminalité comme la vente de stupéfiants, la pédopornographie et le financement du terrorisme. En effet, les crypto-monnaies sont omniprésentes sur le Darknet, puisqu’elles permettent la commission de cyber-infractions sans risque de traçabilité.

Une des principales utilisations délictueuses de ces crypto-monnaies est le blanchiment d’argent, grandement facilité par l’intraçabilité que procure ce système électronique.

Or les crypto-monnaies se sont démocratisées et font irruption dans la vie économique et financière. Il semble donc difficilement envisageable d’arrêter leur essor, bien que cela ait été fait dans certains pays. En effet, les crypto-monnaies ont été interdites ou régulées en Thaïlande, en Russie, en Chine, en Argentine, en Équateur et en Bolivie.

Même si la France tolère a priori l’utilisation des crypto-monnaies, la régulation de leur utilisation en vue de limiter la cybercriminalité et notamment le blanchiment d’argent, est d’une importance éminente.

Il est donc primordial de s’intéresser au phénomène inquiétant que sont les bornes d’échange et les distributeurs de crypto-monnaies. Ces machines permettent d’acheter et vendre des bitcoins ou autres crypto-monnaies avec de l’argent en espèces. Ces transactions peuvent donc être faites de manière totalement anonyme et rendre la somme d’argent d’origine intraçable.

Ces bornes d’échange et distributeurs de crypto-monnaies, surnommées Bitcoin ATM, sont en constante augmentation depuis 2013. Il en existe actuellement plus de 1100 aux États-Unis, 289 au Canada, 91 au Royaume-Uni, 39 en Espagne, 22 en Suisse. À ce jour, 59 pays accueillent ces machines.

Bien qu’elles soient les plus nombreuses, il n’existe pas uniquement des bornes d’échange dédiées aux bitcoins. Ainsi, s’il existe 1781 bornes d’échange de bitcoins dans le monde, il y en a également 479 pour le Litecoin, 214 pour l’Ether, 105 pour le Dash et 5 pour leDogecoin.

Depuis 2014, des machines destinées aux bitcoins apparaissent également en France. Il en existe ainsi à Montpellier (Société Group BTC France), à Paris (La Maison du Bitcoin), à Toulouse (Société MineOnCloud), ainsi qu’à Bois-Colombes (Société BitAccess). De nombreuses autres sont déjà en prévision, dont une borne d’échange Dash à Lyon.

Bien qu’il n’existe pas de données permettant de faire état du nombre exact de bornes d’échanges et de distributeurs de crypto-monnaies au jour de la rédaction de cette proposition de loi, l’ampleur du phénomène est aisément saisie.

Les autorités françaises ont déjà commencé à appréhender l’étendue du danger que peuvent représenter de tels bornes d’échange et distributeurs, par l’anonymat et l’intraçabilité qu’ils offrent à leurs utilisateurs. Un groupe de travail dénommé « monnaies virtuelles » piloté par TRACFIN a déjà, en 2014, établi un rapport sur l’encadrement des monnaies virtuelles soumettant des « Recommandations visant à prévenir leurs usages à des fins frauduleuses ou de blanchiment ».

Du reste, l’activité de change de la Maison du Bitcoin à Paris a été visée par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) et cette dernière applique désormais les procédures de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT). Ainsi, dans le bureau de change de la Maison du Bitcoin, une pièce d’identité est nécessaire pour effectuer un achat ou une vente. Toutefois, il convient de noter que ces mesures n’ont été appliquées qu’à une seule des bornes d’échange de France.

A la lumière des éléments qui précèdent, il est donc aisé de constater qu’il est nécessaire d’établir une législation applicable à l’ensemble du pays, permettant de réguler de manière effective l’usage qui est fait de ces bornes d’échanges et distributeurs.

À cet effet, il aurait été envisageable de s’inspirer du système Robocoin existant notamment aux États-Unis, au Canada, à Hong-Kong et au Royaume-Uni. En effet, les bornes d’échange Robocoin permettent des formalités d’identification de l’individu reposant sur un contrôle biométrique. Ce contrôle peut notamment s’effectuer par une empreinte palmaire, par un enregistrement de la pièce d’identité, par une comparaison des traits du visage avec la pièce d’identité. Un tel système permettrait de recenser les utilisateurs de bitcoins, et de leur appliquer la même traçabilité que les utilisateurs de monnaies ordinaires. L’abandon de l’anonymat se traduira par la suppression du sentiment d’impunité qui règne sur le Darknet.

Toutefois, une solution plus efficace peut être préférée audit contrôle d’identité des acheteurs et des vendeurs : l’interdiction totale d’achat et de vente en espèces de crypto-monnaies par des bornes d’échanges et distributeurs par le biais d’argent en espèces, laquelle aurait pour effet de restreindre autant que possible tout lien entre les monnaies virtuelles et la cybercriminalité.

Tel est l’objet de la présente proposition de loi.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

Sont qualifiées de crypto-monnaies, ou monnaies virtuelles, les valeurs monétaires dématérialisées et décentralisées utilisables sur les réseaux informatiques, grâce à l’utilisation de mécanisme cryptographiques.

Article 2

L’installation et l’utilisation de bornes d’échange et de distributeurs de crypto-monnaies permettant de convertir de l’argent en espèces en crypto-monnaies est interdite sur le territoire français.

 

Source : senat.fr 

 


[1] Il n’y a, à notre connaissance, qu’un seul distributeur de bitcoins encore en activité en France, c’est celui que la société espagnole GroupBTC/BTCFacil possède à Montpellier. La boutique PcDuo à Bois-Colombes a fermé le sien, tout comme La Maison du Bitcoin et MineOnCloud n’existe plus.

[2] Know your customer (KYC) : pratique consistant, pour les entreprises du secteur financier, à conserver l’identité de leurs clients et le registre de leurs transactions.