Le gouvernement vient de recevoir officiellement un rapport sur la transformation numérique de l’économie française commandé en janvier dernier. Surprise : on y parle beaucoup de Bitcoin qui est présenté comme une alternative « sûre et peu coûteuse » aux solutions centralisées proposées par les géants du net (Google, Apple et Amazon), une option « que les banques pourraient proposer à leurs clients ».
En janvier dernier, une mission gouvernementale sur la transformation numérique de l’économie française était confiée à Philippe Lemoine, Président du Forum d’Action Modernités et Président de la Fondation internet nouvelle génération, par les ministres de Bercy et la ministre de la Décentralisation et de la Fonction publique.
À l’issue de 9 mois de travaux, au cours desquels plus de 500 personnes ont travaillé ensemble sur la question de la transformation numérique de l’économie, le rapport de la mission Lemoine a officiellement été remis vendredi 7 novembre 2014 à Emmanuel Macron, Marylise Lebranchu, Thierry Mandon et Axelle Lemaire à l’occasion d’une présentation publique à Bercy.
Il y est plusieurs fois fait mention de Bitcoin, modèle de « concept de confiance qui ne repose pas […] sur des protocoles de traçabilité des relations » et surtout de la blockchain dont les banques pourraient s’inspirer afin de « proposer à leurs clients [une] alternative aux solutions de paiements en ligne » digne de confiance car basée sur le principe de « dissémination de registres exhaustifs des mouvements » et « une procédure de « preuve par le travail », qui mobilise le vote de la totalité des tenants de ces registres […] pour authentifier chaque mouvement déclaré par un nœud. »
Quelques extraits :
P 71 :
Si la France veut participer à la construction d’une société numérique de liberté et de progrès, elle doit agir dans trois directions :
– prolonger l’action pionnière qu’elle a menée en 1978, en œuvrant pour un cadre juridique mondial « Informatique et Libertés » cohérent avec ceux de la loi française et de la directive européenne ;
– engager une nouvelle avancée des droits personnels, en devenant le pays qui promeut une architecture économique décentralisée des mémoires individuelles et en édictant les principes d’un « cloud personnel » attractif facilité par une portabilité intégrale des e-mails ;
– stimuler les travaux de recherche et de développement sur la « personnalisation anonyme », en contribuant à faire émerger des concepts de confiance qui ne reposent pas systématiquement sur la biométrie et des institutions-tiers de confiance mais sur des protocoles de traçabilité des relations, à la manière de Bitcoin. Dans le cadre de l’internet des objets, une « identité des relations aux objets » est à bâtir.
[…]
P 109 :
CONSTAT
Dans les années 70, les banques françaises se sont saisies du concept américain de cartes de crédit pour y adjoindre une puce et déployer un système interbancaire de débit formant une véritable « monnaie électronique ».
Depuis plus de 10 ans, des expérimentations diverses ont tenté de transférer ces fonctionnalités sur des mobiles. Sans parvenir à surmonter les divergences avec le monde des télécommunications, de la banque et celui du commerce, ces initiatives sont restées morcelées. Malgré quelques rapprochements récents, aucune n’a atteint la taille critique au moment où Google, Apple et Amazon et d’autres mettent sur le marché des solutions industrielles de paiement électronique, et se lancent dans une bataille de titans avec le pionnier du secteur, l’américain PayPal.
L’enjeu derrière ces modèles est celui du Big Data et de l’exploitation des informations personnelle pour identifier et tracer un individu en ligne de bout en bout. Or l’efficacité marketing de ces approches peut être remise en cause à une époque où la confiance des consommateurs envers les banques est entamée. Plutôt que d’engager une confrontation, les banques françaises gagneraient, pour des raisons d’image et d’efficacité concurrentielle, à déplacer le champ de bataille et à proposer à leurs clients une alternative : le paiement anonyme sécurisé. C’est également la voie choisie par Apple mais il est possible d’être plus performant tout en assurant un niveau élevé de sécurité en s’appuyant sur la technologie des blockchains de type Bitcoin.
PROPOSITION
Déployer une solution sûre et peu coûteuse de paiements anonymes fondée sur la technologie des blockchains que les banques pourraient proposer à leurs clients comme alternative aux solutions de paiements en ligne (les wallets) des géants de l’internet, qui se posent en intermédiaire des banques, et à la perspective du Big Brother Data de leur vie quotidienne.
[…]
P 136 :
Dans le contexte des interrogations et des réflexions qui ont suivi l’affaire Snowden et les révélations sur Prism, la question est apparue de savoir combien de temps aller durer l’éclipse de l’astre internet par la planète Google. Beaucoup de personnes croient en effet aller sur internet alors qu’en réalité elles ne quittent jamais le paysage dessiné par Google. Une des différences, c’est que l’astre internet se définit par un protocole de communication entre égaux, de pair à pair, mais qui peut être anonyme, alors que la planète Google, séduisante par bien des aspects, fonctionne selon un principe dissymétrique où les personnes sont identifiées pour alimenter un modèle d’affaires fondé sur la publicité ciblée.
Trois phénomènes sont alors apparus :
1 Une demande sociale croissante pour des réseaux sociaux protégeant l’anonymat des utilisateurs, non seulement dans des milieux militants utilisant des outils comme TOR mais dans le grand public avec des sites comme Whisper ou Secret.
2 L’invention de modèles d’affaires rentabilisant des applications dépourvues de traçabilité et de publicité, mais pouvant déboucher sur des valorisations très élevées comme WhatsApp, racheté sur la base de 19 milliards de dollars par Facebook.
3 La mise au point de technologies sophistiquées permettant d’étendre l’anonymat jusqu’à la sphère transactionnelle avec Bitcoin mais surtout avec son protocole de confiance, la technologie des blockchains.
Tirant le succès de Bitcoin, les blockchains sont des dispositifs de traçabilité intégrale des chaînes de transactions, avec un haut niveau de confiance lié à la dissémination de registres exhaustifs des mouvements (dupliqués et répartis en 5 à 10 000 nœuds du réseau) et à la procédure de « preuve par le travail », qui mobilise le vote de la totalité des tenants de ces registres (les « miners ») pour authentifier chaque mouvement déclaré par un nœud. Il s’agit d’un modèle mathématiquement avéré de « confiance par le protocole » bien différent d’une logique de tiers de confiance.
Ce dispositif est de nature à changer profondément les notions d’identité et de confiance en ouvrant, au-delà du bitcoin, un nouvel âge d’internet : l’âge de la personnalisation anonyme. Dans une vision prospective, la puissance de ce concept s’allie à la perspective de l’internet des objets. Si chaque être humain est amené à détenir 500 objets connectés, il n’est pas évident que toutes les données de chacun de ces objets doivent identifier de la même manière une personne. Est-il par exemple nécessaire de pouvoir fédérer sous une identité unique toutes les identités d’une personne en tant qu’acheteur d’une automobile, en tant qu’emprunteur de crédit, en tant qu’assuré, en tant que participant à Uber-Pop, en tant que corps dont les mensurations mémorisées vont régler le siège et le volant, etc.? Un concept d’« identity of things » émerge dans l’internet des objets et il fait de larges emprunts à la notion de personnalisation anonyme.
[…]
P 262 :
L’actualité récente nous montre que ces sujets d’identité et de confiance numériques sont considérés de plus en plus et au plus haut niveau. Trois exemples m’ont marqué et pourront servir notre discussion. L’Estonie promeut une identité 100 % numérique et la carte d’identité, grâce aux nouvelles technologies permet de réserver une place de parking, recevoir une ordonnance médicale ou payer ses transports publics. De même, le monde Bitcoin commence à proposer des systèmes d’authentification basés sur les mêmes technologies que la monnaie virtuelle. »
Source : Rapport sur la transformation numérique de l’économie française – novembre 2014