Suite à un décret exécutif signé en mars par Joe Biden, le Bureau de la politique scientifique et technologique de la Maison Blanche a publié jeudi un rapport de 46 pages sur l’impact climatique et énergétique des cryptomonnaies. D’après ce document, 38% de la puissance de calcul déployée actuellement par les mineurs à travers le monde proviendraient d’installations situées aux Etats-Unis.
« Pour permettre aux États-Unis d’atteindre leurs objectifs climatiques de réduction de 50% à 52% des émissions de GES [1] d’ici 2030, d’un approvisionnement électrique sans carbone d’ici 2035 et d’une économie à émissions nettes nulles au plus tard en 2050, une politique sur les cryptoactifs pendant la transition vers une énergie propre est nécessaire. Elle doit être axée sur plusieurs objectifs : réduire les émissions de GES, éviter les opérations qui augmenteront le coût de l’électricité pour les consommateurs, éviter les opérations qui réduisent la fiabilité des réseaux électriques et éviter les impacts négatifs sur […] les communautés locales et l’environnement. »
Selon les rapporteurs, dans la situation actuelle, « les cryptoactifs entraînent des émissions de gaz à effet de serre et d’autres impacts environnementaux ». Néanmoins, plutôt que d’envisager une prohibition sans nuance de cette industrie aux Etats-Unis – qui n’aurait pour conséquence qu’un déplacement dans des régions plus favorables – le rapport suggère des pistes susceptibles de rendre le minage compatible avec les engagements environnementaux américains.
Réduire l’impact environnemental du méthane
Les auteurs soulignent notamment l’intérêt et le potentiel du minage pour réduire l’impact environnemental du méthane indésirable produit par les activités humaines :
« L’industrie des crypto-actifs peut potentiellement utiliser du gaz méthane perdu, qui est le principal composant du gaz naturel, pour produire de l’électricité pour leurs opérations. Le gaz méthane est produit lors du forage et du transport du gaz naturel, ainsi que par les puits de pétrole, les décharges, le traitement des eaux usées et les processus agricoles. Le méthane est un puissant gaz à effet de serre 27 à 30 fois plus impactant pour le réchauffement climatique que le CO2 sur une période de 100 ans, et environ 80 fois plus impactant que sur une période de 20 ans. La réduction des émissions de méthane peut donc ralentir le réchauffement climatique à court terme […].
Ce gaz est brûlé, en raison du coût élevé de la construction de pipelines ou de lignes électriques pour transporter le méthane ou la production potentielle d’électricité depuis les puits souvent éloignés jusqu’aux utilisateurs finaux, ou en raison du coût élevé de l’installation d’équipements sur des sites d’enfouissement. Les sociétés de crypto-actifs développent dès à présent des moyens pour produire de l’électricité à partir du méthane ventilé ou torché par les puits de pétrole et du gaz émanant des décharges.
L’EPA [Department of Energy] et le ministère de l’Intérieur ont proposé de nouvelles règles pour réduire l’émission de méthane dans les exploitations pétrolières et gazières. Les installations de minage qui capturent le méthane ventilé pour produire de l’électricité peuvent donner des résultats positifs pour le climat, en convertissant le puissant méthane en CO2 lors de la combustion. Les opérations minières qui remplacent les torchères de méthane existantes n’auraient probablement pas d’incidence sur les émissions de CO2, puisque ce méthane serait autrement brûlé à la torche et converti en CO2, mais les installations minières pourraient potentiellement être plus fiables et plus efficaces pour effectuer la conversion du méthane en CO2 […].
L’exploitation de crypto-actifs, en installant des équipements pour utiliser du méthane ventilé afin de générer de l’électricité pour les opérations, est plus susceptible d’aider que d’entraver les objectifs climatiques américains. »
Utiliser le minage pour développer les capacités de production d’énergie renouvelable
Pour les rapporteurs, les mineurs peuvent également contribuer au financement des capacités de production d’énergie renouvelable :
« Dans certaines régions des États-Unis, il n’y a pas assez de demande ou de capacité de transmission pour utiliser les niveaux de pointe des énergies renouvelables produites, et les générateurs éoliens ou solaires sont contraints de réduire ou d’éliminer temporairement la production. Il s’agit d’électricité renouvelable gaspillée, car si une capacité de transmission ou une demande suffisante existait pendant ces périodes, les générateurs produiraient et vendraient de l’électricité renouvelable. En 2019, 2,6% de l’énergie éolienne aux États-Unis a été perdue. Au Texas, 5% de l’énergie solaire annuelle a été perdue, et en Californie, 2,4%. L’électricité [exploitée par les mineurs] peut fournir des revenus supplémentaires aux développeurs d’énergies renouvelables et encourager la construction d’une capacité d’énergie renouvelable supplémentaire. »
La dernière piste évoquée c’est celle qui consiste à inciter les mineurs à développer leurs propres installations de production électrique à partir de ressources renouvelables en leur imposant la revente d’une partie de cette production sur le réseau pour le bénéfice de tous : « Pour aider les États-Unis à atteindre leurs objectifs climatiques, le secteur pourraient se porter volontaire ou être tenu de construire une capacité énergétique sans carbone qui produit plus d’électricité que leurs opérations n’en ont besoin, revendant l’excédent d’énergie propre au réseau. »
Conclusion
Pour les auteurs du rapport, le développement rapide et anarchique du minage aux Etats-Unis a eu un impact négatif sur l’émission de gaz à effet de serre. Néanmoins, contrairement aux positions de courte vue des certaines institutions européennes, ils reconnaissent qu’un encadrement et une surveillance adéquate pourrait permettre d’inverser cette tendance pour faire du minage un atout pour la transition énergétique américaine. La direction qu’ils proposent n’est, au final, pas si éloignée de celle que certains mineurs suivent depuis longtemps, par exemple Sébastien Gouspillou, CEO de la société BBGS :
« Le minage de Bitcoin doit être socialement utile. Il ne doit jamais concurrencer la demande traditionnelle. Il doit être implanté là où il y a une capacité excédentaire afin d’optimiser le rapport puissance installée/consommation. Organisée de cette manière, l’exploitation minière devient une bénédiction pour un pays. Sinon, cela peut rapidement devenir une menace pour l’approvisionnement de la population et peut créer une situation chaotique. Il semble donc que le minage doive absolument être encadré par l’Etat, tant pour le confort de la population que pour la réputation du bitcoin et de son exploitation. Pour nous, le modèle idéal devrait être une situation gagnant-gagnant tant pour les mineurs que pour le pays ; jusqu’à présent, cela n’a jamais vraiment été le cas. Afin de respecter la règle fondamentale de non-concurrence avec la population, le mineur doit s’engager à arrêter immédiatement son activité en cas de pic de demande imprévu sur le réseau. Enfin, l’exploitation minière doit être mobile, dans des conteneurs, afin de pouvoir s’adapter à l’évolution de la carte électrique du pays. » – Rapport aux autorités salvadoriennes du 9 mars 2022.
Le rapport de l’OSTP : whitehouse.gov
[1] GES : gaz à effet de serre