Klara Sok, doctorante au Cnam [1] où elle mène une thèse autour de Bitcoin [2], présente le projet OpenResearch [3], une plateforme collaborative ouverte qui permet aux chercheurs d’enregistrer des preuves d’état de leurs recherches dans la blockchain Bitcoin, facilitant ainsi le partage et la revue des étapes successives de leurs travaux sans risque de plagiat. Proposé une première fois lors de la Blockfest 1.0 le 12 juin 2016, OpenResearch a obtenu une mention honorifique hackathon blockchain de Chainsmiths de Dublin la semaine dernière.
[1] Conservatoire National des Arts et Métiers
[2] « Bitcoin, blockchain et nouveaux dispositifs socio-techniques de création et d’échange monétaires à l’ère de l’Internet contributif – vers de nouveaux modèles de confiance ? »
[3] qu’elle conduit avec Quentin de Beauchesne, Stéphane Roche, Ludovic Maret, Paul-Emmanuel Raoul, Declan Oconnor, Mani Swaminathan, Michael Boland et Jason Ruane.
Le projet OpenResearch
Journal de bord*
Paris, vendredi 11 novembre 2016.
« “Publier ou Périr”. C’est la règle d’or de la recherche. La publication d’articles est la forme la plus tangible de production académique. Tout un système social s’est construit autour de ces quelques mots, cristallisant les espoirs et les peurs de chercheurs en quête de reconnaissance professionnelle. L’acte de publier est non seulement récompensé par un sentiment de satisfaction et de fierté, mais aussi, indirectement, par la probabilité accrue d’un avancement professionnel, d’une meilleure rémunération, et de tout ce qui va avec. Et si un/une chercheur(e) ne publie pas suffisamment, eh bien, tant pis pour lui/elle(dptp, sfyl). La publication est l’indicateur de performance principal que le monde académique considérera dans une optique d’évaluation professionnelle. Il faut donc s’y mettre, et sérieusement. Rédiger un article, le soumettre à une revue pour publication, passer la revue par les pairs, et, les doigts croisés, avoir son article accepté. Woute (woot). L’article part pour impression. Et la revue sur l’étagère d’une bibliothèque.
De ce fait, on pourrait avoir tendance à vouloir publier en quantité, parfois au détriment de la qualité, voire d’en oublier la pertinence. Les dynamiques sociales de la réussite professionnelle des chercheurs affectent, en quelque sorte, le système général d’incitation motivant les chercheurs en quête de publication. Cela peut mener à un état de production sous-optimal de tout un secteur d’activité qu’est celui de la recherche. Par ailleurs, dans un tel système, l’objectif principal de l’auteur d’un article n’est plus nécessairement de contribuer au savoir collectif à travers le partage de résultats scientifiques mais parfois d’accumuler des bons points… pour ne pas périr ; fin de la partie (game over).
Publiez et essaimez. C’est la raison pour laquelle le projet OpenResearch est né**. L’idée est simple. L’utilisation de la fonction d’horodatage immuable de la blockchain du Bitcoin comme base d’incitation à publier et à partager ses idées sur une plateforme ouverte, collaborative et résistante à la censure fournissant des preuves d’état de publication à chaque étape du travail de recherche.
Notre vision : Connectez-vous sur OpenResearch.me, inscrivez-vous, et générez une identité numérique unique enregistrée sur la blockchain du Bitcoin. Vous recevrez une adresse publique, ainsi qu’une clé privée. Gardez-la bien dans vos palettes. De façon sécurisée et accessible (par vous, pas par les autres), car avec cette clé, vous pourrez prouver que vous êtes bien l’auteur de votre travail. La clé privée est générée chez vous, du côté client. Vous pouvez utiliser un outil de stockage externe (cold storage wallet) si nécessaire. Prêt ? Partez ! Cherchez les sujets de recherche qui vous intéressent, trouvez une publication ouverte à la revue. Ou publiez vous-même votre propre recherche et donnez-lui une chance d’être débattue par le réseau d’experts d’OpenResearch.
Imaginons que vous soyez l’auteur d’un article et que vous cherchiez des volontaires pour l’évaluer. Pas seulement par deux professionnels du monde académique choisis par la revue que vous ciblez, mais par un nombre illimité de personnes provenant de tous les horizons professionnels, au-delà des frontières de la recherche traditionnelle. Avec OpenResearch, lorsque vous téléchargez votre document sur la plateforme, vous signez et enregistrez votre document sur la blockchain du Bitcoin. “Voilà !”, votre article est prêt à être revu par le réseau d’OpenResearch et à recevoir ses commentaires et, pourquoi pas, quelques conseils.
Comme vous êtes déjà connecté sur la plateforme, vous ne pouvez pas vous empêcher de chercher des articles sur vos sujets de recherche favoris. Vous trouvez une publication dans laquelle la méthodologie que vous avez développée il y a des années est utilisée par un chercheur clamant sa paternité. “Au vol !!! Police !!!”Avec OpenResearch, il vous suffit d’écrire un commentaire au plagiaire, d’y attacher votre ancien article comme référence et d’attendre la réponse. Avant de publier votre commentaire, respirez profondément et allez faire une bonne séance de Yoga Bikram pour calmer la furie vous brûlant encore les entrailles. Assurez-vous de rester courtois au risque d’affecter durablement votre réputation. OpenResearch est fondé sur un système d’autorégulation par la réputation visant à maintenir la communauté productive et professionnelle. Allez, respirez et lancez-vous. Votre prose sera conservée pour l’éternité dans la blockchain.
Prochaine étape : OpenResearch alerte l’auteur supposé du plagiat et partage avec lui votre commentaire. En fait, l’auteur du méfait a simplement fait preuve de négligence lors du recensement bibliographique de la littérature existante et a juste réinventé la roue. Pour excuse, votre article avait été publié, à l’époque, dans une revue n’existant qu’en version papier, uniquement disponible à la bibliothèque nationale de votre pays d’origine où vous avez passé vos plus belles années d’université. Rapidement, le malfaiteur rédige une nouvelle version de son article citant votre travail et le publie sur OpenResearch. Et le mieux, c’est que vous avez peut-être trouvé un collaborateur de recherche, un nouveau lecteur (le cinquième, après vous, les deux chercheurs responsables de l’évaluation de votre article et enfin votre meilleur ami qui avait perdu un pari et avait donc été condamné à lire votre article), et qui sait, peut-être un nouvel ami.
OpenResearch fournit des services de publication de preuve d’antériorité aux chercheurs mais aussi une opportunité de partage illimité de votre travail de recherche. C’est aussi le lieu où peuvent se construire des controverses, voire se lier des partenariats sur des sujets d’intérêts partagés très spécifiques. A travers ce mécanisme, OpenResearch incite chaque contributeur à partager son savoir, quel qu’en soit l’étendue, tout en garantissant une reconnaissance de ses apports. Avec OpenResearch, partager, c’est prouver la paternité/maternité de son œuvre, tout en augmentant son Facteur d’Impact réel. Publiez et essaimez***. » – Klara Sok.
* Un grand merci aux commentaires et encouragements de Nicolas Bacca, Quentin de Beauchesne et Yannick Losbar utiles à la rédaction finale de ce billet de blog, qui a été soumis pour revue sur plusieurs chaînes slack, dont la chaîne blockchain la plus importante en termes de nombre d’inscrits cryptofr.slack.com.
** J’ai présenté pour la première fois le projet OpenResearch au premier hackathon français dédié à la blockchain Blockfest 1.0, le 12 juin 2016, durant lequel l’idée fut développée mais aucune ligne de code n’avait encore été rédigée. Avec les encouragements de la communauté française blockchain – et plus particulièrement de Nicolas Bacca et Adrian Sauzade, j’ai décidé de présenter le projet lors du hackathon blockchain de Chainsmiths organisé par Kévin Loaec à Dublin la semaine dernière, du 4 au 6 novembre 2016. Quentin de Beauschene, Paul-Emmanuel Raoul, Jason Ruane, Manikandan Swaminathan, Stephane Roche, Ludovic Maret, Michael Boland un honnête homme connu sous le nom de Declan se sont joints à la cause et ont construit un premier prototype de plateforme. Sans compter les échanges et les apports précieux des mentors du hackathon de Chainsmiths, notamment Giacomo Zucco et Nicolas Bacca, et d’autres participants du hackathon, tels Pierre Lorcery, qui a généreusement partagé ses idées lors du week-end à Dublin, que ce soit sur la définition de spécifications techniques pour la plateforme, la complexité à monter un système de réputation, ou encore Jérome de Trichey, notamment sur ce dernier sujet. L’équipe, au final, a été décorée de la mention honorifique.
*** Autant que je sache, l’expression “Publish and Flourish” ayant donné la traduction je l’espère fidèle de « Publiez et essaimez » (volontairement conjuguée à la deuxième personne du pluriel) a été utilisée pour la première fois de façon publique dans le livre éponyme de Tara Gray (https://teaching.nmsu.edu/academy-bookstore/). J’avais moi-même cru « inventer » cette expression puis j’ai vérifié via Google si elle n’était pas déjà consacrée. J’ai choisi de la garder car elle reflète bien l’idée positive qu’OpenResearch cherche à véhiculer : partager son savoir au plus grand nombre de façon organique.