Dans l’avant-propos du rapport d’information sur les « crypto-actifs » de la commission des finances de l’Assemblée Nationale, Eric Woerth exprime de profondes réserves sur certaines préconisations du rapporteur. Parmi les propositions qu’il désavoue il y a notamment l’instauration d’une exonération de taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité (TICFE) [1] pour les « centres de minage en crypto-actifs ». Le président de la mission d’information déclare ainsi :
« Je ne partage pas non plus la proposition du rapporteur d’attirer les centres de minage en France en les considérant comme des entreprises électro-intensives. L’exonération de taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité (TICFE) qui concerne ces dernières a été pensée pour conduire la transition écologique sans pénaliser trop fortement l’emploi dans des industries fragilisées. Elle n’a absolument pas pour vocation d’attirer ici de multiples fermes de minage, très consommatrices en énergie (la consommation énergétique de l’Islande a doublé depuis l’arrivée sur son sol de ces “mineurs”). Certains vont d’ailleurs aujourd’hui s’implanter en Ukraine ou dans d’autres pays dans lequel la production électrique repose essentiellement sur le charbon, entraînant ainsi un impact climatique non négligeable bien que non mesurable avec précision […]. »
Afin de mieux comprendre les profondes divergences entre la vision du rapporteur et celle du président, nous nous sommes tournés vers Sébastien Gouspillou [2] qui a participé aux travaux de la mission en tant qu’expert et nous lui avons demandé ce qu’il pensait de la déclaration d’Eric Woerth :
« Je comprends tout à fait les réserves de M. Woerth : il est clair que la vision tronquée qu’il a de l’activité ne peut que conduire à cette réaction. Après dix mois de travail de la commission, il est cependant dommage qu’il garde une telle méconnaissance du sujet.
Lors de ma première audition, M. Woerth nous a accueilli, mais a dû immédiatement s’absenter ; lors de mon deuxième passage, il n’était pas présent. S’il avait pu m’exposer le raisonnement qu’il développe ici, j’aurais eu l’opportunité de lui donner des éléments de réflexion et de lui apporter des données plus fiables que celles qu’il évoque :
– L’Islande avait cette capacité d’accueil des mineurs, leur arrivée fut une aubaine dans le cas de ce pays à l’énergie verte abondante ;
– Plus personne ne va miner en Ukraine ;
– L’essentiel du mining est réalisé avec des énergies renouvelables, et cet état de fait se confirme après un an de Bear Market.
L’exonération de la TICFE est logique pour une industrie électro intensive et subissant la concurrence internationale ; nous n’avons pas fait de démarche auprès de la commission pour demander cette exonération qui nous apparaissait couler de source (l’industrie aluminium, polluante à bien des égards, y aurait droit et pas nous ?). Ce que nous demandions, c’était de classer notre activité sous le code APE “activité minière diverse”, ce qui nous officialisait comme industriels. L’exonération restait ainsi à l’appréciation des douanes en fonction des critères établis, mais notre statut était clairement défini. Systématiser par la loi une exonération de l’activité de mining était à mon sens perdu d’avance, dés lors que, comme M. Woerth, la plupart des français ne voient dans cette activité qu’une consommation énergétique néfaste. Avec de telles assertions du président d’une commission dédiée aux cryptomonnaies : “Certains vont s’implanter dans des pays dans lequel la production électrique repose essentiellement sur le charbon, entraînant ainsi un impact climatique non négligeable”, cette idée fausse n’a pas fini de se répandre.
Quoi qu’il en soit, que M. Woerth se rassure : une telle exonération aurait permis aux quelques mineurs français professionnels de négocier un prix de MW autour de 60-70 €, ce qui ne faisait pas de la France un pays en capacité d’accueillir des mineurs étrangers ; au mieux, cela nous aurait permis de garder une activité de recherche sur le territoire, et aurait donné aux pionniers du secteur de mining d’altcoins un peu de confort. L’idée partagée avec Pierre Person est d’avoir un savoir faire français sur un sujet aussi important que l’entretien des réseaux des cryptomonnaies. Il est clair que notre vision commune de l’avenir monétaire n’est pas partagée par M. Woerth, il ne perçoit sans doute pas l’irréversibilité du changement en cours.
Quand ce changement sera compris par nos personnels politiques, peut-être que l’importance du mining leur apparaitra ; dans ce cas, on pourra leur suggérer que la clé pour un mining français est dans le nucléaire : le talon de consommation garanti par le mining peut sans doute apporter à EDF une aide dans l’optimisation de la production des centrales, et ainsi apporter des fonds au développement des énergies renouvelables. Je serai bien sûr à la disposition des autorités françaises quand elles auront réalisé que ce sujet est réellement une question de souveraineté nationale en plus d’une opportunité économique.
D’ici là, BigBlock continuera à faire progresser la France dans la compétition minière, même en ayant une production 100% délocalisée. Nous nous passerons pour le moment du soutien de M. Woerth pour réaliser notre grande ambition, une “Poule BTC” bleu blanc rouge open source, la première du genre. »
[1] L’électricité consommée par une entreprise pour laquelle la valeur de l’électricité consommée représente plus de la moitié du coût d’un produit n’est pas soumise à la TICFE. Source : douane.gouv.fr
[2] Président de BigBlock Datacenter, société nantaise qui conçoit et gère à travers le monde des unités dédiées au « minage » de cryptomonnaies, notamment de bitcoins.