Lightning Network : la solution pour Bitcoin ?

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Des validations quasi-instantanées, des frais dérisoires, des micro-paiements jusqu’au satoshi [1], des millions de transactions chaque seconde garanties par la Blockchain Bitcoin sans pour autant l’encombrer… telles sont les incroyables promesses du Bitcoin Lightning Network. Thaddeus Dryja qui, avec Joseph Poon, a imaginé cette solution en 2014, a évoqué hier la conception du premier logiciel destiné à ce futur réseau de paiement qui opérera au-dessus de la blockchain Bitcoin.

Partant du principe que Bitcoin doit, pour rester décentralisé, n’enregistrer dans son registre qu’une quantité très limitée de transactions, Thaddeus Dryja et Joseph Poon ont imaginé un réseau de canaux de paiement « off-chain » reposant sur une myriade de nœuds rémunérés (et mis en concurrence, d’où les frais réduits) qui opéreraient sous l’autorité de la blockchain Bitcoin, ultime tribunal en cas de litige.

En attendant des explications plus poussées qui viendront avec la diffusion de l’interview [2] de Pierre-Marie Padiou d’ACINQ, qui, avec Fabrice Drouin, travaille sur une implémentation de Lightning [3], nous nous sommes tournés vers deux experts techniques du bitcoin, Nicolas Bacca, CTO de Ledger et le core developer Nicolas Dorier, CTO de Metaco, qui ont accepté de répondre à nos questions.


Bitcoin.fr : Dans un article publié récemment sur Coinjournal, Joseph Poon estime que le Lightning Network pourrait, si SegWit arrive dans les temps, être actif dès cet été. Pensez-vous que cette prédiction soit réaliste ?

Nicolas Dorier : Je pense que c’est réaliste mais que ça ne sera pas « user friendly » et donc pas prêt pour le grand public. Il y aura aussi probablement beaucoup de choses à régler comme le routing pour que ça « scale » correctement. Le Lightning Network part de zéro, il faudra le temps que l’infrastructure et l’écosystème au-dessus se construisent. En commençant par les frameworks, puis les wallets, puis les échanges, etc. Je ne pense pas cependant qu’il y aura des problèmes de capacité sur le réseau Bitcoin sur le court et moyen terme, même si Lightning Network prend son temps.

Nicolas Bacca : Réaliste, oui. Tous les éléments nécessaires pour qu’il tourne sont/vont être déployés dans Core (Segwit et CSV [4]). Après je pense que ça sera essentiellement en ligne de commande au départ. L’idée à terme ça sera d’avoir l’UX [expérience utilisateur] la plus transparente possible, et meilleure que les wallets actuels […]. Je pense que GreenAddress sera dans les premiers à avoir une implémentation « user friendly » puisqu’ils ont déjà une UX très semblable avec leur logique interne « Instant ».

Bitcoin.fr : Pensez-vous que le Lightning Network tiendra ses promesses ?

N. Dorier : Les promesses du Lightning Network – des milliers de transactions par seconde avec des frais très faibles et des transactions instantanées – sont réalistes. Il n’y a aucun doute que ça se fera, mais certainement pas dès la première version car les problèmes en termes d’UI [User Interface] et certains aspects techniques (routing) restent à résoudre.

Nicolas Bacca : Pour les promesses je pense que c’est très réaliste. Il faut déjà voir qu’aujourd’hui on est loin d’avoir ces besoins [en nombre de transactions], il y a peu de personnes qui « transactent » en bitcoins au quotidien. Le routage se mettra en place progressivement, je ne m’attends pas à voir un Lightning optimal au jour du déploiement !

Bitcoin.fr : Quels sont les principaux obstacles qu’il faudra surmonter pour que ce réseau voit le jour et se développe ?

N. Dorier : Le principal obstacle à surmonter, qui impliquera une période de « recherche », se situe au niveau de l’expérience utilisateur. Je ne pense pas qu’il soit possible d’avoir une interface utilisateur où les « payments channels » sont complètement cachés de la vue de l’utilisateur sans provoquer des incompréhensions. Je pense qu’il faudra plutôt voir un « wallet » Lightning Network comme un portefeuille contenant plusieurs cartes pré-chargées, où l’utilisation de chacune d’elles pour un paiement n’est possible que si un circuit entre l’utilisateur et la destination existe. Certains pensent probablement qu’il sera possible de cacher cela de l’interface utilisateur. On ne sait pas exactement encore. Il a fallu du temps avoir d’avoir une interface épurée comme Breadwallet, ça sera certainement pareil pour Lightning Network. En clair, LN marchera et tiendra probablement ses promesses, la v1 sortira probablement à temps mais il faudra du temps pour que l’écosystème et la technologie maturent autour.

Nicolas Bacca : Personnellement je n’hésite pas à balayer d’un revers de main toutes les prédictions sinistres qu’on peut faire sur Lightning : c’est un protocole en cours d’évolution (comme Bitcoin), on verra bien ce que ça donnera. Au mieux ça sera une solution de scalabilité sur étagère que tout le monde pourra déployer, au « pire » ça ouvrira la voie à tout un ensemble de solutions hybrides, « onchain » plus tard, similaires. Toute remarque négative concernant la centralisation ou la prise de contrôle de Blockstream est non fondée : la topologie du réseau n’est pas finale, et ce n’est pas une techno de Blockstream, on a déjà pas mal d’implémentations indépendantes dont une « made in France » avec ACINQ.

Vidéo : Qu’est-ce que le Lightning Network ? Comment ça fonctionne ? Quels sont ses avantages et ses contraintes ? Première partie de la présentation de Fabrice Drouin, CTO d’ACINQ enregistrée le jeudi 27 avril 2017 à l’Université Paris Diderot dans le cadre du cinquième séminaire de cryptofinance :

Explications de Vidal Chriqui (larevolutionblockchain.com) et Fabrice Drouin (Acinq) :

 


[1] Un satoshi = 0,00000001 BTC

[2] L’interview de Pierre-Marie Padiou sera diffusée en fin de semaine.

[3] Il existe quatre implémentations de Lightning :
– Lightning Corp (auteurs originaux) et Bitfury (pas d’implémentation propre mais une collaboration avec LN Corp. sur le routing)
– Blockstream
– Blockchain.info
– Eclair d’Acinq

Pour en savoir plus sur le Bitcoin Lightning Network lire également la FAQ (en anglais) rédigée par Audun Gulbrandsen.

[4] CSV : CheckSequenceVerify, nouveau code opération introduit avec le BIP 112.