L’État monétaire Bitcoin sous la grille de lecture économique libérale et ou libertarienne

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Bitcoin est un État virtuel dont la seule fonction est monétaire, un État virtuel qui ne demande pas de passeport pour rentrer/sortir, qui sous-traite l’émission de manière neutre (méritocratique) et conditionnée à l’énergie. Cet État virtuel n’augmente pas la quantité maximale d’émission (21 millions) sauf si les « citoyens utilisateurs » le demandent à l’unanimité (quasi-impossible), l’audit des comptes en temps réel est complète.

Cette description relève presque de l’utopie et pourtant Bitcoin existe, il n’est pas étonnant que la plupart des États détestent Bitcoin. Mais, au fait, pourquoi exactement la plupart des États détestent Bitcoin ?

L’État comme super prédateur

Dans la pensée économique libérale et/ou libertarienne, quasiment tous les groupes sociaux peuvent être décrits comme des pyramides hiérarchiques (chef(s), sous-chef(s), exécutants…), c’est le cas des entreprises ou des associations. Un réseau de petites et moyennes pyramides hiérarchiques sur un territoire donné (bassin méditerranéen, France, Amérique du nord ou Russie…) est considéré comme un marché décentralisé (les différents royaumes au début du moyen-âge, les colonies américaines juste après leur indépendance, etc.).

Or il arrive qu’une pyramide hiérarchique se développe jusqu’à devenir un pouvoir central ayant des monopoles établis dont ceux de la violence légitime, la monnaie et la législation. C’est le cas notamment de l’empire romain du IIIe au Ve siècle, de l’ancien régime absolutiste du XVIIe au XVIIIe siècle ou de l’union soviétique après Lénine au XXe siècle…

Que ce soit l’empire romain (empereur, sénateurs, la plèbe, les esclaves…), l’ancien régime absolutiste (roi, haute noblesse/clergé, basse noblesse/clergé, tiers-État…) ou l’État soviétique (apparatchiks, nomenklatura, fonctionnaires, travailleurs…), dans tout les cas, il est question d’une pyramide hiérarchique qui, s’étant mutée en pouvoir central, établit des monopoles. Concernant la mutation, les conditions et le temps du processus varient selon les époques et leurs contextes.

Dans la pensée économique libérale/libertarienne [1], tout pouvoir central (Sénat, cour du monarque absolu, secrétariat général du parti…) finit par atteindre un niveau de centralisation maximale avant son effondrement. C’est dans sa dernière phase de centralisation (en général le régime est incarné par un seul homme) que ce pouvoir central devient « prédateur », dans le sens où il ne s’occupe plus que des intérêts de l’élite de la pyramide hiérarchique au détriment du reste de l’édifice [1].

Bitcoin, la citadelle-État décentralisée comme refuge monétaire et financier

Bitcoin est en tout point différent d’une pyramide hiérarchique devenue un pouvoir central, « by design » Bitcoin est pair à pair, non censurable, décentralisé… Tout cela conditionné à une grandeur physique universelle : l’énergie.

De plus, Bitcoin laisse la majorité des utilisateurs décider (l’utilisation fait office de vote) quelles améliorations implémenter (mises à jour…).

D’ailleurs certains, comme le « remarquable » Craig Wright, ont proposé une version plus centralisée de Bitcoin (BSV) et le protocole a laissé ces « talentueux » entrepreneurs faire leurs forks, or il semble que ces chaînes de blocs alternatives ne soient pas devenues majoritaires. C’est un peu comme s’y l’on proposait son propre État virtuel mais en s’établissant dès le départ comme empereur, roi ou glorieux leader de cet État, pour convaincre les « nouveaux entrants » c’est compliqué…

Bitcoin représente la forme la plus aboutie de l’application de l’idéologie économique libérale/libertarienne.

Remarque : Il est d’ailleurs plutôt comique de voir de grands défenseurs du libéralisme économique (lesquels sont « bien installés » économiquement) se méfier de Bitcoin et lui préférer une monnaie encadrée par l’État…

Si d’autres protocoles et réseaux comme Monero sont en beaucoup de points comparables à Bitcoin (preuve de travail, décentralisation), il n’existe pas (du moins pour le moment) de concurrent à la hauteur de Bitcoin.

J’ai comparé Bitcoin dans le domaine monétaire au protestantisme (plutôt Luthérien) dans le domaine religieux [2,3], les similitudes sont en effet nombreuses, or il existe d’autres modèles de pensées pour appréhender ce qu’est Bitcoin.

Dans l’imaginaire des maximalistes Bitcoin il est souvent question de « citadelle », en effet Bitcoin peut être perçu comme un lieu virtuel lequel fait barrage à l’inflation et à l’arbitraire monétaire (gèle des virements et saisie des dépôts bancaires). Une alternative dans le domaine monétaire au système fiat des pyramides hiérarchiques dont le pouvoir se fait de plus en plus pesant.

Bitcoin, l’État et le problème de l’agence

En économie, le dilemme de l’agence est le suivant : les actionnaires ont intérêt à dégager de leur entreprise le maximum de bénéfices (dividendes), les dirigeants de l’entreprise ont intérêt à réinvestir le maximum de bénéfices dans l’entreprise. Il est question des divergences d’intérêts possibles entre actionnaires et dirigeants.

Appliqué à l’État, ce sont les dirigeants (gouvernement, hauts fonctionnaires, élus…) qui ont le dernier mot (par la loi ou la violence « légitime »…). D’ailleurs il est rarement question de distribuer des dividendes aux actionnaires que sont les citoyens, c’est même plutôt le contraire. Ainsi, pour l’État, le problème de l’agence penche en faveur des dirigeants (principalement le gouvernement, les hauts fonctionnaires et les élus).

Bitcoin règle le problème de l’agence dans le sens où ce sont les utilisateurs qui, tels des actionnaires de « l’entreprise décentralisée » (DAO) Bitcoin, ont le dernier mot [4,5]. Sachant qu’ils peuvent à tout moment être dirigeant en proposant à la communauté implémentations, dispositifs de stockage à froid, échanges décentralisés ou autre sans jamais rien imposer. Dans Bitcoin le problème de l’agence penche en faveur des actionnaires que sont les utilisateurs.

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Références :
[1] Jean-jacques Rosa, le second 20ème siècle.
[2] https://bitcoin.fr/paralleles-qualitatifs-et-quantitatif-entre-le-bitcoin-et-leprotestantisme/
[3] https://bitcoin.fr/esquisse-historionomique-bitcoin-par-analogie-auprotestantisme/
[4] https://bitcoin.fr/bitcoin-et-la-guerre-des-blocs/
[5] https://www.youtube.com/watch?v=zh5l3R6PKhg


A propos de l’auteur

Thomas Mang, ancien doctorant au CEA de Grenoble, est ingénieur en Photonique depuis 2017. Passionné par les technologies du numérique (l’impression 3D, Bitcoin), il s’y intéresse non pas à travers le prisme des « sciences dures » mais par les sciences humaines : l’histoire ou l’anthropologie.

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