La spirale de la mort de Bitcoin, un serpent de mer aussi probable que le monstre du Loch Ness

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Cette tribune vous est proposée en collaboration avec Le journal du Coin.

En cette fin d’été, un sujet technique s’invite à la table de la communauté bitcoin française, la perte de rentabilité du minage après halving, supposée conduire à la « spirale de la mort ». Il est clair que les mécanismes de la Pow restent mal compris, parfois jusqu’au sein même de la communauté ; Boursorama recevait début juillet un intervenant présenté comme un spécialiste du bitcoin, Philippe Béchade ; il ouvrait l’interview avec un jubilatoire « pourquoi la chute du BTC s’est miraculeusement arrêtée à 3100$ ? Parce que c’est le coût de production chinois d’un BTC, ça ne pouvait pas descendre plus bas ». Que Béchade n’entende rien à la PoW est anecdotique ; pas question de le contredire, il pourrait ne plus balancer des trucs aussi marrants, ce serait dommage. En revanche, quand Sisyphe, un twittos bitcoiner respectable s’interroge sur les dangers possibles des halvings successifs et évoque à ce propos « sa propre mort dans son code », ça secoue jusqu’au Slack du Cercle du Coin, d’où l’idée de ses membres de réaliser un article sur le sujet, qu’on espère définitif. Je m’y colle, donc…

Cette théorie, « la spirale de la mort », est un véritable serpent de mer ; on la croit définitivement noyée dans les hauts fonds qu’elle réapparait, toujours aussi tordue. Ce sujet a été débattu dès fin 2011, est revenu en 2014-2015, puis a été remis à la mode en 2017 par Roger Ver, qui parti dans un de ses délires, imaginait provoquer une spirale de la mort sur le réseau Bitcoin grâce à l’adoption de son Bitcoin Cash. La version la plus croquignolesque de l’histoire fut écrite par Atulya Sarin, professeur de finance à l’Université de Santa Clara, dans un édito intitulé « Bitcoin est sur le point de perdre toute valeur« . J’avais réagi abruptement à l’époque, me contentant de déclarer que cet obscur prof de finances en mal de publications aurait mieux fait de rester couché plutôt que de se sentir les ailes pour attaquer les fondements d’une architecture informatique géniale à laquelle il n’entendait rien. Si la suite lui a bien évidemment donné tort, je ne vais pas cette fois faire l’économie d’expliquer comment tout cela fonctionne, en vrai.

L’idée soulevée par Sisyphe, c’est qu’à force de halving, les mineurs ne seront plus rentables, et que ça remet en question l’avenir même de bitcoin.

C’est la fameuse spirale de la mort :

Dans ce scénario, un grand nombre de mineurs décident d’arrêter d’exploiter simultanément, l’activité n’étant plus rentable pour eux. Les règles de protocole de Bitcoin sont structurées de manière à ce qu’un nouveau bloc de transactions soit extrait toutes les dix minutes environ. Les blocs seront trouvés plus rapidement si plus de mineurs créent de la puissance de calcul sur le réseau et moins fréquemment lorsque les mineurs commencent à quitter le réseau.

L’idée fondatrice de cette « spirale de la mort » est qu’il suffit que beaucoup de mineurs décident de débrancher après une forte baisse de prix (par exemple) pour que le réseau soit paralysé et qu’aucune nouvelle transaction ne puisse être effectuée.

Logique ? Oui, tout à fait, si l’on ignore qu’il existe un mécanisme d’ajustement de la difficulté, et ce, tous les 2016 blocs, soit environ tous les 15 jours au rythme normal. Cet ajustement rendra plus facile la recherche de blocs en cas de chute du taux de Hash par rapport aux 2016 blocs précédents. Cela signifie que cette spirale de la mort hypothétique n’a que ce laps de temps, le temps d’ajouter 2016 blocs à la chaine, pour se développer et tuer bitcoin. Alors, bien sûr, si la hashrate baisse drastiquement sur quelques jours, le délai pour ajouter des blocs s’allonge, donc les 2 semaines deviendront vite 4, 6 ou 8 semaines. On sait que la correction à la baisse la plus brutale pour la difficulté d’exploitation minière de l’ère des ASIC a été de 15%, c’était en décembre 2018. Cela montre que même en plein bearmarket, la chute du hashrate est lente. Mais admettons, une chute dopée à la potion magique, une chute surnaturelle ; supposons un scénario extrême, donc, avec 75% de chute du hashrate entre deux ajustements de difficulté. Alors, un bloc serait extrait toutes les 40 minutes plutôt que toutes les dix minutes. Si la baisse se produisait au début de la nouvelle période de difficulté, il faudrait alors six à 7 semaines à partir du dernier ajustement de la difficulté pour qu’elle change à nouveau. Ce laps de temps n’est pas suffisant pour entrainer la mort du réseau : les mineurs payent leur électricité en avance, un mois pour les mieux lotis, trois mois pour d’autres. Donc, pendant 90 jours pour nombre de mineurs, quelle que soit la récompense, le travail continuera. Pour ceux qui produisent eux-mêmes leur jus, et pour ceux qui le volent, ça continuera indéfiniment. Alors, là, fin de la spirale…

De plus, dans un tel scénario, les frais de transaction auraient grimpé en flèche tout au long de la baisse en raison de l’ajout plus lent des blocs. Cela signifie que la baisse de la rentabilité de l’exploitation minière pourrait être compensée par une augmentation des frais de transaction, ça rebrancherait illico.

Ce mécanisme est fort bien résumé par LUDOM, membre du Cercle du Coin sur le Slack de l’asso : « Donc pour moi, le halving n’est pas un problème. La difficulté s’adaptera progressivement. Même si la puissance de calcul diminue de moitié d’un seul coup, ça signifie seulement que la fréquence des blocs sera de 20 minutes le temps que la difficulté s’adapte. Cela signifie qu’il y aura dans le pire des cas un petit engorgement des transactions momentané. Et les gens devront augmenter les fees pour faire passer leurs transactions le temps des embouteillages (ce qui augmentera la rentabilité de miner ces blocs). »

Par le passé, il est déjà arrivé que les frais de transaction représentent une part plus importante dans la récompense globale que la subvention (le bitcoin nouvellement créé). Les quatre dernières fois que c’est arrivé, c’était au cours du dégonflement de la bulle fin 2017. Là, les conditions étaient réunies pour une spirale de la mort, d’après les partisans de cette théorie… ça ne s’est pas produit.

Pour les plus pessimistes, une augmentation considérable, mondiale et simultanée des prix de KWh pourrait créer les conditions d’une telle spirale ; mais même dans ce cas, il y aurait une solution : le problème pourrait être résolu en modifiant l’algorithme d’ajustement de la difficulté de Bitcoin via un hard fork. Ça ne causerait pas de scission, tout le monde passerait sur le nouveau réseau avec sa méthode d’ajustement de difficulté revue, miner sur l’ancienne chaine n’aurait aucun intérêt.

Bon, là, on est dans la science fiction, ce fork n’arrivera pas ; mais il s’agit d’envisager le pire, notre communauté aime se faire peur, et c’est sain.

Il faut aussi rappeler que lorsque certaines mines cessent leurs activités, celles qui restent deviennent plus rentables dés qu’advient le prochain ajustement de la difficulté. En d’autres termes, le seuil de rentabilité d’un mineur passe de 6 000 dollars à 3 000 dollars si la moitié du hashrate disparait. Puis de 3000 à 1500, sans problème (c’est ce que n’a pas compris l’ami Béchade).

Il convient également de noter, comme le rappelle Julien Guitton (Weedcoder) que « le minage est un activité qui demande énormément d’infrastructure. ça ne se met pas en place rapidement. les mineurs essaient de faire assez de revenus pendant les bull markets pour survivre aux bear markets. les moins préparés disparaissent ou se font racheter. De plus, même s’il est assez calcifié, le protocle Bitcoin reste sujet à évolution. Des choses comme Segwit, Schnorr ou autre optimisation de taille de bloc permettent une optimisation du nombre de transaction par bloc et donc une augmentation des fees. »

Ce à quoi Jean Luc de bitcoin.fr ajoute : « Des optimisations oui… mais le nombre de transactions par seconde ne sera pas multiplié par 100. Au prochain ATH, le Lightning Network deviendra peut-être incontournable. »

Sans doute que le Lightning Network ne serait pas indispensable dès ce halving de 2020, mais LN existe, fonctionne et nous apporte la certitude qu’à moyenne échéance, chaque bloc pourra recevoir beaucoup, beaucoup plus de transactions (100 k/seconde selon le spécialiste Béchade), garantissant à terme un revenu aux mineurs via les fees.

Donc, quand on approchera de 2140, qu’on ne générera plus de nouveaux jetons, le mining ne sera pas ruiné et bitcoin ne disparaitra pas. André Stilman, administrateur du Cercle du Coin, nous rappelle que Satoshi avait évoqué le sujet dans ses rares écrits : « White paper SN. Point 6 (mais il faut lire entre les lignes…).’distribution initiale de monnaie’ puis ‘pourra passer sur… les frais de transaction’ ; Ça marche comme ça depuis 10 ans et deux halvings. Je pense que le plus gros risque était dans le premier halving. Maintenant que la machine est enclenchée, ce n’est plus vraiment de l’excès d’optimisme. »

Evidemment, nous ne serons pas là pour vérifier que bitcoin performe en 2140, mais il est important de comprendre que nous, mineurs, construisons un réseau que nous savons bâti pour le long terme. Peu d’entre nous mettraient autant d’énergie dans cette compétition en imaginant qu’elle puisse s’arrêter faute de cohérence du modèle ; nous avons définitivement exclu cette hypothèse de la liste des menaces qui pèsent sur nos exploitations. Satoshi a extrêmement bien travaillé, son protocole résiste au temps: bitcoiners, n’ayez pas peur du monstre du Loch Ness, c’est un fake.


A propos de l’auteur

Sébastien Gouspillou est cofondateur et Président de BigBlock Datacenter, société nantaise qui conçoit et gère à travers le monde des unités dédiées au « minage » de cryptomonnaies, notamment de bitcoins.