Interdire le mining en Norvège : une énorme erreur stratégique

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Le gouvernement norvégien envisage d’interdire l’installation de nouveaux « centres de données dédiés au minage de cryptomonnaies », au motif de préserver une électricité dite « rare ». Cette décision repose pourtant sur une vision profondément erronée du système électrique norvégien. Loin d’être une menace pour les ressources du pays, le mining pourrait au contraire jouer un rôle structurant dans la valorisation des surplus d’hydroélectricité, en particulier dans certaines régions — là où les problèmes sont les plus manifestes.

Bien que la plus grande concentration de centrales hydroélectriques se situe dans le sud-ouest du pays, notamment dans la région de Vestland, c’est dans le nord que se pose aujourd’hui le véritable paradoxe énergétique. Le nord de la Norvège — moins densément peuplé, faiblement interconnecté, et doté d’une production hydro significative — se retrouve structurellement excédentaire en électricité. Faute de débouchés locaux ou de capacité de transfert vers le sud, cette énergie est souvent bradée sur les marchés ou tout simplement perdue, c’est-à-dire que les barrages doivent ouvrir leurs vannes sans produire un seul kilowattheure.

On pourra objecter que la Norvège héberge déjà une activité de mining significative, autour de 300 MW depuis plusieurs années, et que cela n’a pourtant pas suffi à éviter ces pertes. Mais cet argument, loin de décrédibiliser la solution, en souligne au contraire les limites actuelles : en 2022 par exemple, alors que cette puissance minière était déjà installée, le pays a tout de même dû se débarrasser d’environ 8 TWh d’électricité excédentaire. Cela démontre simplement que les capacités existantes sont très loin de saturer le potentiel disponible. Pour absorber un tel surplus, il faudrait au moins tripler la puissance de mining actuelle. Ce constat ne montre pas que le mining est inefficace, mais qu’il est encore trop marginal face à l’ampleur du gisement inexploité.

Dans ce contexte, le mining est tout sauf un parasite. C’est au contraire une solution technique élégante : une industrie capable de s’installer localement, d’absorber les surplus, de s’interrompre sur demande et de transformer des kilowattheures autrement gaspillés en un actif numérique mondialement liquide, le Bitcoin.

Il convient d’ailleurs de corriger une confusion souvent entretenue, y compris par les autorités norvégiennes : une ferme de mining n’est pas un « datacenter » au sens classique. Elle ne traite ni données clients, ni applications cloud, ni stockage numérique. Il s’agit d’un centre de calcul spécialisé, conçu pour exécuter des opérations cryptographiques simples et répétitives sur des machines dédiées. Contrairement aux centres de données traditionnels, qui doivent garantir une  disponibilité constante et ne peuvent être arrêtés sans compromettre la continuité de services essentiels, les fermes de mining sont hautement flexibles : elles peuvent être arrêtées en quelques minutes, sans perte de données ni impact pour des tiers. Cette flexibilité fait du mining le seul usage industriel capable de s’adapter dynamiquement à la production, et donc de contribuer réellement à la stabilité du réseau — bien plus que le cloud.

Envisager une interdiction uniforme sur l’ensemble du territoire revient à nier la réalité géographique et énergétique du pays. Le sud de la Norvège est peut-être sous tension, mais ce n’est pas le cas du nord. Dans ces zones rurales souvent délaissées, le mining représente une opportunité de développement local, sans pression sur les infrastructures nationales.

Comment une mesure aussi contre-productive peut-elle être envisagée ? Il faut pour comprendre considérer le contexte politique. Depuis le début de l’année, le Parti travailliste (Labour), jusque-là à la tête d’une coalition, gouverne désormais seul après le départ de ses alliés centristes, justement à cause des désaccords sur la question énergétique. À moins de trois mois des élections législatives prévues en septembre 2025, le gouvernement cherche à reconquérir une légitimité écologique, sous la pression des partis de gauche et de l’opinion publique. C’est dans ce cadre que s’inscrit l’annonce d’un moratoire sur les nouveaux centres de mining : un geste politique, plus symbolique qu’énergétique, destiné à montrer sa fermeté en matière de « transition climatique ». De plus, pour cette gauche aux réflexes puérils, s’opposer à une activité soutenue par Trump, c’est forcément être dans le camp du bien.

Alors on dénonce une activité  « spéculative », « bruyante » et « peu créatrice d’emplois » ; 

Bitcoin n’est évidemment pas qu’un actif spéculatif (quel actif ne l’est pas ?) mais aussi un outil de conversion énergétique, acheteur de dernier recours parfaitement adapté aux zones excédentaires. Il n’est pas bruyant si on le souhaite (immersion cooling) et crée beaucoup plus d’emploi que le déversement de l’eau des barrages (spillage). 

Il serait plus rationnel et judicieux pour la Norvège d’adopter une politique ciblée, plutôt qu’une interdiction : autoriser les installations uniquement dans les zones excédentaires et conditionner les contrats à une interruption en cas de tension sur le réseau. Car le véritable enjeu est là : faire de l’énergie excédentaire une richesse durable, au lieu de la laisser se perdre dans les rivières.

Mais peut-on encore espérer ce minimum de discernement de la part de ceux qui gouvernent la Norvège aujourd’hui ? Les deux inspirés qui portent ce funeste projet sont la ministre du Numérique qui n’a jamais exercé la moindre activité dans le secteur privé et celui de l’Énergie qui a quitté son métier de terrain depuis près de trente ans pour la politique politicienne. Ces deux purs apparatchiks veulent-ils réellement mener une réflexion lucide et utile sur l’avenir énergétique de leur pays ? Ou juste garder les manettes ?

Quand on méconnaît à ce point la réalité industrielle, économique, et même géographique de son propre territoire, il n’est pas surprenant qu’on préfère interdire plutôt que comprendre.


A propos de l’auteur

Sébastien Gouspillou est cofondateur et Président de BigBlock Datacenter et de BBGS, sociétés qui conçoivent et gèrent à travers le monde des unités dédiées au minage de bitcoins exploitant des énergies renouvelables et fatales.