[Mise à jour du 16 janvier 2019 : Voir ici le régime fiscal dubitcoin en 2019]
Alors que les échanges en crypto-monnaies sont de plus en plus nombreux, la question de la fiscalité du bitcoin et de ses cousines n’est pas anodine. En effet, à l’heure où la valeur du bitcoin croît de manière régulière malgré quelques couacs ici et là, les gains peuvent être conséquents.
Je pense notamment aux visionnaires ayant échangé leurs euros contre des bitcoins avant 2017 ou à ceux qui comparent l’or au bitcoin. Que faire de ces gains ? Que déclarer à l’administration fiscale ? Vous l’aurez compris, les réponses ne sont pas aussi précises que celles pour vos revenus du travail ou vos plus-values boursières…
Comment fiscalement définir le bitcoin ?
J’estime que la première difficulté est un problème rarement abordé : au fond, qu’est-ce que le bitcoin ? On l’oublie souvent mais le bitcoin n’est officiellement ni un placement boursier, ni un fonds obligataire mais bien une monnaie avec laquelle vous pouvez faire des achats. Pourtant, il est aujourd’hui principalement vu comme un investissement spéculatif soumis aux variations du marché de l’offre et de la demande.
Une importante décision de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), en date du 22 octobre 2015, permet de répondre à de nombreuses interrogations quant à la qualification fiscale du bitcoin. Dans ce dossier, l’administration fiscale suédoise estimait que les opérations de change entre devises dites traditionnelles (fiat) et les crypto-monnaies étaient soumises à la TVA. Une affirmation contestée par la personne physique pratiquant ces opérations.
La CJUE affirme que le bitcoin ne peut être qualifié de bien corporel car « la devise virtuelle n’a pas d’autres finalités que celle de moyen de paiement » (point 24). Elle doit donc être rapprochée, sur ce point, des devises traditionnelles (point 25). En conséquence, ces opérations ne sont pas des livraisons de biens mais des prestations de services (point 26). Enfin, concernant l’assujettissement à la TVA, l’article 135 de la directive TVA exonère les opérations portant sur les devises, billets de banque et autres moyens de paiement légaux (point 44).
Surtout, « les opérations portant sur des devises non traditionnelles, c’est‑à‑dire autres que les monnaies qui sont des moyens de paiement légaux dans un ou plusieurs pays, pour autant que ces devises ont été acceptées par les parties à une transaction en tant que moyen de paiement alternatif aux moyens de paiement légaux et n’ont pas une finalité autre que celle de moyen de paiement, constituent des opérations financières » (point 49).
En conséquence, les opérations de change entre les devises traditionnelles et le bitcoin sont exonérées de TVA car ce dernier est un moyen de paiement alternatif. Par ailleurs, ne voyez pas une contradiction de termes lorsque la CJUE évoque un moyen de paiement légal, en l’espèce la couronne suédoise, face au bitcoin. La Cour de Luxembourg se borne uniquement à rappeler que la législation suédoise ne reconnaît que la couronne comme monnaie d’échange sur son territoire, ce qui ne signifie pas qu’elle interdit explicitement les autres. L’euro est par exemple utilisé par certains commerces de Stockholm. Une monnaie illégale doit faire l’objet d’une interdiction, ce qui n’est pas le cas du bitcoin.
En conclusion, cet arrêt permet donc d’affirmer que le bitcoin est un moyen de paiement comme un autre et qu’il ne peut, à ce titre, être considéré comme un simple investissement spéculatif ou un placement boursier. Néanmoins, tout serait bien trop simple si l’on s’arrêtait à cette décision… Car, en effet, il n’existe pas de législation propre aux crypto-monnaies. Il faut regarder les dispositions fiscales françaises pour essayer d’y voir encore plus clair.
Qu’est-ce que le bitcoin au sens de la législation fiscale française ?
Avant tout, il convient de limiter cet article aux bitcoins et crypto-monnaies détenus par les particuliers lambda. En effet, si vous êtes à la tête d’une entreprise légale et déclarée spécialisée dans l’échange entre crypto-monnaies et devises traditionnelles, votre business model repose principalement sur les frais de transaction. L’imposition est donc identique à celle des gestionnaires de fonds. Concernant les particuliers, tout est plus complexe.
Au sens de la législation fiscale française, les crypto-monnaies n’ont pas de catégorie propre. Dans une réponse adressée à un pionnier en matière de possession de bitcoins (dès 2013, veinard !), l’administration fiscale les rattachait aux bénéfices non commerciaux (BNC). Les BNC sont un peu la catégorie fourre-tout puisqu’on y trouve les revenus ne relevant d’aucune autre catégorie. Il suffirait alors de remplir la case correspondant aux BNC en y entrant les gains acquis grâce aux bitcoins. Par gains, on entend la plus-value perçue par rapport à l’investissement de départ lorsque les bitcoins sont échangés en euros sur une plateforme de trading (Kraken, Coinbase, etc). Pour la grande majorité des gens, on parle même de micro-BNC puisque les plus-values n’excèdent pas 33 200 € HT sur l’année. HT ? De quelles taxes parle-t-on ? On ne sait pas trop avec le bitcoin. En outre, quel abattement est appliqué aux BNC ? Difficile de donner une réponse claire… C’est donc assez opaque pour tout vous dire. Surtout, je reviendrai sur la difficile détermination du point de départ.
Le bitcoin devrait donc être déclaré au titre d’un BNC. On s’arrête là ? Ce serait trop simple…
Pour l’administration fiscale française, le bitcoin est aussi bien un BIC qu’un BNC
Les BIC (bénéfices industriels et commerciaux) sont une catégorie bien moins opaque que les BNC puisqu’il s’agit des revenus perçus par une personne physique au titre d’une activité commerciale, industrielle ou artisanale. Que vient faire le bitcoin là-dedans ? La réponse est ici, une note du très sérieux Bulletin officiel des Finances publiques-Impôts (BOFIP) qui date du 11 juillet 2014. Il s’agit de précisions jurisprudentielles et doctrinales relatives à certaines professions.
Voici ce que dit le § 730 : « le bitcoin est une unité de compte virtuelle qui peut être valorisée et utilisée comme outil spéculatif. Par conséquent, conformément aux dispositions de l’article L. 110-1 du code de commerce qui répute acte de commerce toute acquisition de biens meubles aux fins de les revendre, l’achat-revente de bitcoins exercée à titre habituel et pour son propre compte constitue une activité commerciale par nature dont les revenus sont à déclarer dans la catégorie des BIC en application de l’article 34 du Code général des impôts (CGI). En revanche, les produits tirés de cette activité à titre occasionnel sont des revenus relevant des prévisions de l’article 92 du CGI (BOI-BNC-CHAMP-10-10-20-40 au XXIX § 1080« ).
Ainsi, si une personne fait du trading, elle est soumise aux BIC. Mais, s’il s’agit de petits bénéfices de temps à autre, il s’agit de BNC.
Cela vous paraît plus clair ? Au moins, la différence est nette. Mais, vous me direz, le bitcoin est un moyen de paiement pour la CJUE. Si je fais des achats avec mes bitcoins, suis-je taxé ?
Un moyen LÉGAL pour (peut-être…) échapper à l’imposition de ses bitcoins ?
J’ai mis en majuscule le terme légal pour bien montrer que le but n’est pas de frauder ! En tout cas, c’est la manière dont j’interprète la législation actuelle (décembre 2017) en mettant ma formation de juriste à contribution.
Si vous échangez vos bitcoins en euros sur une plateforme de trading et que vous les transférez sur votre compte en banque, il s’agit de BNC qu’il faut déclarer sur votre avis d’imposition pour éviter tout problème. Si les gains sont peu importants, vous ne serez de toute façon pas imposé au titre d’un abattement ou d’un seuil de non-imposition. Enfin, a priori, on n’en sait trop rien avec les BNC… ou les micro-BNC ! Pour ce dernier, l’assiette d’imposition serait de 29 % et l’abattement de 71 %. Premier accroc, pour se voir imposé au titre du BNC, les recettes perçues sont, pour l’administration fiscale, un chiffre d’affaire. Ce dernier est la base imposable. Or, pour avoir un chiffre d’affaire, il faut une société immatriculée… Ce n’est pas le cas avec le bitcoin. Mais, passons outre cette première difficulté, pourtant essentielle, car elle ne mérite pas plus de commentaire.
De même, si vous dépensez vos bitcoins pour acheter un produit quelconque , que se passe-t-il ? N’oubliez pas que l’arrêt de la CJUE du 22 octobre 2015 estime que la crypto-monnaie est un moyen de paiement alternatif. On pourrait donc penser que tout achat effectué en bitcoin auprès d’un commerçant les acceptant ne devrait pas faire l’objet d’une taxation au titre de l’impôt sur le revenu.
Sauf que, le BOFIP, dans la 2ème note que je cite, celle-ci relative aux BNC, précise que « les gains sont imposables, quelle que soit la nature des biens ou valeurs contre lesquels les bitcoins sont échangés (échange des bitcoins contre des euros, mais aussi achats de biens de toute nature réglés par des bitcoins : dans ce cas, le gain doit être déterminé par référence à la valeur en euros du bien acquis). »
Par exemple, vous échangez des euros contre des bitcoins au moment où le bitcoin valait 10 €, disons 3 bitcoins pour 30 € de valeur. Quelques semaines plus tard, la valeur du bitcoin est passée à 100 €. Le même jour, vous achetez une imprimante pour 2 bitcoins sur internet (une imprimante de qualité vu le prix !). Il vous reste toujours 1 bitcoin et une belle plus-value. Selon le BOFIP, vous devez déclarer la plus-value. Cette règle serait tirée d’une interprétation de l’article 92 du CGI précité plus haut. Mais cette note du BOFIP est contestable aussi bien juridiquement que techniquement.
Juridiquement, à la lecture de l’article 92, il est bien difficile de rattacher le bitcoin à une catégorie de BNC. L’alinéa 1er, sur lequel nous reviendrons au paragraphe suivant, définit le BNC. L’alinéa 2 § 1, relatif aux opérations de bourse, en donne un exemple. Un exemple qui pourrait intéressait le bitcoin. Serait-ce alors assimilable aux opérations financières ? Dans ce cas, le BOFIP et la CJUE seraient sur la même longueur d’onde. Pour moi, la réponse est non car la CJUE parlait bien uniquement des opérations de change qui seraient des opérations financières. Quant au bitcoin, il ne serait qu’un moyen de paiement alternatif. En outre, l’article évoque « des opérations de bourse effectuées dans des conditions analogues à celles qui caractérisent une activité exercée par une personne se livrant à titre professionnel à ce type d’opérations« . Avec le bitcoin, l’on semble bien loin d’investissements à titre professionnel pour 95 % des personnes lambda !
Mais que dit l’alinéa 1er de ce même article 92 ? Il dispose que « sont considérés comme provenant de l’exercice d’une profession non commerciale ou comme revenus assimilés aux bénéfices non commerciaux, les bénéfices des professions libérales, des charges et offices dont les titulaires n’ont pas la qualité de commerçants et de toutes occupations, exploitations lucratives et sources de profits ne se rattachant pas à une autre catégorie de bénéfices ou de revenus. » La dernière partie de la phrase est très ambiguë, sans doute volontairement pour inclure tout et n’importe quoi. L’alinéa 2, incluant le § 1 précité, se borne à citer des exemples de ce que serait un bénéfice non commercial. Ces exemples ne seraient, semble-t-il, pas une liste exhaustive à travers l’emploi de l’adverbe notamment. Deux remarques s’imposent.
La première, l’emploi de l’adverbe notamment permet d’estimer que la liste n’est pas complète. Sauf que, aujourd’hui, ni la loi, ni le pouvoir réglementaire, ni la jurisprudence, n’ont rattaché le bitcoin et les crypto-monnaies aux BNC, en dehors du BOFIP. Il ne convient pas de jouer avec le fisc, qui est plus fort que vous, mais il est certain qu’une disposition plus claire est nécessaire pour officiellement rattacher les crypto-monnaies à l’article 92.
La seconde est que cette dernière partie de l’article 1er volontairement vague signifie que vous devriez déclarer TOUS vos revenus « annexes » dans la case BNC. Vos ventes sur Leboncoin, votre voiture louée 2 fois dans l’année sur Drivy, vos covoiturages sur Blablacar, vos petits baby-sittings, etc. Des sommes le plus souvent ridicules, qui dépassent rarement les 1000 € sur l’année, pour l’écransante majorité de la population. Bercy estime que certaines de ces activités sont imposables, tandis que d’autres non. Voyez par exemple la fiche pour un covoitureur, celui-ci doit respecter 3 conditions pour voir son activité non imposée. Surtout, les ventes de biens, hors métaux précieux dont la valeur excède 5000 €, ne sont pas imposables ! Ainsi, comme le bitcoin est à ce jour un « rien du tout » juridique, on pourrait très considérer que celui-ci est un bien que l’on vend contre des euros… mais on sortirait du cadre du BNC car ce dernier n’englobe pas les biens ! Bon, je vous embrouille avec mes interprétations multiples mais cela prouve que le sujet est ô combien complexe !
En outre, pour revenir à l’imposition de la plus-value suite à l’achat d’un bien en bitcoin, il faudrait appliquer cette règle à l’ensemble de l’échange de devises. Ainsi, vous échangez 100 dollars contre des euros au moment où 1 euro vaut 1 dollar. Quelques mois plus tard, 1 euro vaut désormais 2 dollars. Vous échangez auprès du même bureau de change et vous vous retrouvez avec 200 dollars. Êtes-vous imposé sur cette plus-value ? Si vous n’avez pas un compte en devise ou que vous n’êtes pas un opérateur de trading, non. Pourquoi le bitcoin serait-il soumis à un autre traitement alors qu’il est aussi une devise et un moyen de paiement selon la CJUE ?
Enfin, la détermination du gain « par référence à la valeur en euros du bien acquis » mérite d’être précisée car c’est loin d’être limpide.
Techniquement, la situation peut paraître impossible. Imaginez que vous ayez acquis des bitcoins en plusieurs fois. Vous avez échangé 100, 50, 80 et 70 euros en bitcoins. Au vu de la volatilité de la crypto-monnaie, il est impossible que le taux de change soit resté stable ! Si vous achetez ultérieurement un bien en bitcoins, comment calculer la plus-value ? De quelle date faut-il partir ? L’administration fiscale ne fournit aucune réponse. Et, entre nous, ce serait un casse-tête monumental ! Ceux qui vous disent que le calcul pourrait être assimilé à celui des actions ont tort car les crypto-monnaies ne sont pas des actions. On ne résonne par analogie en matière de droit fiscal.
En conclusion, selon mon analyse et en raison du vide juridique actuel, l’achat de produits légaux sur des sites internet légaux ou auprès de commerçants légaux en payant avec ses bitcoins, peut difficilement être imposé. La CJUE, l’article 92 du CGI et la législation relative aux autres devises sont plutôt de votre côté. La valeur juridique du BOFIP est assez difficile à appréhender. Certes, la doctrine fiscale du BOFIP est opposable à l’administration. Mais quid lorsqu’elle est imprécise voire erronée ? Loin de moi l’idée de vous donner envie de frauder. Je vous conseille de mettre quelque chose dans la case BNC. La difficulté est que je ne sais pas quel chiffre serait plus pertinent qu’un autre…
Néanmoins, attendez-vous à une prochaine législation sur ce point précis car je doute que nous restions tels quels en raison de l’appréciation soudaine du bitcoin en 2017 et même des autres crypto-monnaies. Mon article sera alors mis à jour.
Par ailleurs, si vous laissez dormir vos bitcoins sur un wallet comme Ledger ou une appli telle que MyCelium, vous ne serez bien entendu pas imposé… et c’est peut-être la décision la plus sage.
Conclusion
Le bitcoin est un moyen de paiement alternatif aux moyens de paiement légaux selon la CJUE et les opérations de change entre les crypto-monnaies et les devises traditionnelles sont des opérations financières.
Selon l’administration fiscale française, à travers le BOFIP, le bitcoin relèverait à la fois des BIC et des BNC. Pour les BIC, cela concerne les opérateurs de trading et les personnes physiques tirant d’importants revenus grâce au bitcoin (exemple-type : les mineurs). Pour les BNC et les micro-BNC, ce serait ceux qui en tirerait un revenu occasionnel. Par exemple, un échange sur une plateforme mais aussi acheter un produit en bitcoins.
Pour ce dernier cas, cette note du BOFIP est contestable juridiquement car elle n’a pas la même valeur qu’une loi ou même qu’une décision de la CJUE. En outre, elle différencie les crypto-monnaies des devises traditionnelles lorsque cela concerne un simple paiement. Enfin, elle est très imprécise voire erronée. L’article 92 du CGI, qu’elle cite, est soumise à des interprétations multiples en raison de sa rédaction ambiguë, semble-t-il volontaire, pour y permettre d’y inclure tout et n’importe quoi. La note est aussi contestable techniquement car, selon notre situation, il peut paraître impossible de connaître la valeur du Bitcoin au moment de l’opération de change.
Mon conseil est clair : DÉCLARER VOS PLUS-VALUES ! Le but n’est pas de frauder et vous serez de toute façon rattrapé si vos plus-values sont importantes. Il ne faut jamais se mettre le fisc à dos. Mon intention est plutôt de mettre le doigt sur une difficulté juridique, bien plus complexe que certains auteurs et « experts » du sujet le laissent entendre. Il est donc nécessaire que l’administration fiscale et même le législateur se penchent sur le sujet pour créer une catégorie à part : l’imposition des plus-values au titre de la vente de crypto-monnaies. Car ces dernières ne sont ni un chiffre d’affaire, ni un BNC, ni un BIC.