La dépense énergétique de Bitcoin – Fatale électricité ?

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En ces temps de dérèglements climatiques, la dépense énergétique du Bitcoin est devenue une arme particulièrement efficace sur les consciences.

Bitcoin serait donc une espèce de monstre, glouton et sale, créé par un fou et qui précipiterait l’humanité vers sa perte…

Fatale électricité ? Quelle est la pertinence de cet argument ?

Plantons d’abord le décor…

La sécurisation de la blockchain Bitcoin est encouragée par une compétition qui récompense en bitcoins les « mineurs ». Ils sont incités à s’améliorer constamment et les machines de minage – qui délivrent la puissance de calcul nécessaire pour sécuriser les écritures de la blockchain – sont de plus en plus performantes et spécialement dédiées à cette activité.

Aujourd’hui, grâce au succès de sa cryptomonnaie, le minage de Bitcoin n’est plus une affaire de jeunes passionnés qui bricolent dans une cave ou un garage, c’est devenu une affaire d’entrepreneurs professionnels évoluant dans un milieu de type semi industriel. Cette montée en puissance du réseau Bitcoin s’accompagne d’une augmentation de la consommation électrique dans des proportions qui font s’émouvoir jusque dans les milieux scientifiques… bien sûr repris la bouche en cœur par les lobbyings bancaires et financiers.

Pour arriver à se forger une opinion véritablement correcte sur cette consommation électrique, il est nécessaire de surmonter trois représentations qui sont erronnées :

1. »L’électricité est une ressource matérielle comme les autres »

On considère à tort que l’électricité est une ressource qui, telle l’eau, le gaz ou le pétrole, attend gentiment dans un tuyau qu’un robinet s’ouvre pour avancer… Elle est en réalité une transformation de ressources, comme peuvent l’être la chaleur ou le mouvement. L’alimentation électrique fonctionne en fait comme une « charge » énergétique essayant de mettre à l’équilibre un côté du réseau (la « production ») avec un autre côté du réseau (la « consommation »). Cette charge est difficile à « transporter » car elle subit des pertes par dissipation dans le conducteur (l’effet « Joule »). Elle est aussi difficile à stocker et son stockage ne peut être que temporaire.

On l’aura donc compris : dès lors qu’un réseau existe et qu’une production d’électricité tourne, on a tout intérêt à la consommer, le plus vite possible et au plus près de sa source.

2. « Les centrales électriques peuvent faire varier facilement leur production »

Si le but est effectivement d’équilibrer au mieux la capacité électrique du réseau à la demande, on pense à tort que, sur le tableau de bord de toute centrale électrique, il existe un gros bouton allant de zéro jusqu’à 100… Là encore, ce n’est pas si simple. Si cela est envisageable pour les installations génératrices à source fossile, ça l’est beaucoup moins pour les installations plus complexes à grande inertie et à grande production. Pour assurer à la fois leur réactivité et leur pérennité (ainsi que leur amortissement économique), celles-ci doivent entretenir un régime de croisière et ce, quelle que soit la demande du réseau. C’est enfin totalement contre-productif pour les installations basées sur les ENR (photovoltaïque, éolien…) qui dépendent d’une ressource diffuse, intermittente et qui ne se conserve pas.

On arrive alors à l’expression d’un concept dont on parle assez peu : l’électricité fatale. Par définition, l’électricité fatale désigne une électricité qui est perdue si on ne la consomme pas au moment où elle est disponible. En réalité, il s’agirait plutôt d’utiliser de meilleure façon la capacité du réseau existant. C’est un défi quotidien pour les fournisseurs d’électricité : d’une part, ils doivent valoriser au maximum cette capacité sans trop consommer de ressources et d’autre part, ils sont obligés de maintenir en activité un important parc de centrales pour absorber les pics de consommation… à seulement quelques moments précis de la journée. On comprend mieux pourquoi des tarifs particulièrement bas sont proposés en heures creuses : il s’agit d’inciter les utilisateurs à équilibrer le réseau en consommant de l’électricité qui DOIT être produite pour des raisons techniques et économiques

Enfin 3. « Le mineur de Bitcoin ruine la planète par sa consommation électrique »

Il s’agit là encore d’une vision réduite de la réalité, car le mineur d’aujourd’hui ne consomme pas n’importe quelle électricité : il cherche cette électricité fatale. La consommation électrique du minage fait l’objet d’une véritable stratégie, à tel point que les mineurs ne se localisent pas au hasard et font de leur implantation un choix réellement économique. Dans le bilan d’un mineur, le coût en énergie est une donnée fondamentale et à elle seule, elle détermine son lieu d’implantation. Le mineur de Bitcoin est donc un entrepreneur nomade, qui déplace son activité en fonction du prix du kilowatt (le minage n’est pas une industrie lourde), qui n’hésite pas non plus à stopper ses machines lorsque sa formule de rentabilité baisse trop – car il doit non seulement ajuster son calcul au cours de la crypto qu’il mine, mais encore au prix de l’énergie disponible. Il cherche l’électricité la meilleure marché et se poste alors dans des lieux où l’offre dépasse significativement la demande. C’est un consommateur utile, qui achète au fournisseur l’électricité dont personne d’autre ne veut et ainsi, vient atténuer les déséquilibres production/consommation du réseau. Par cet achat, il permet en fin de compte un amortissement plus rapide de certaines centrales (souvent planifié sur plusieurs dizaines d’années). Pour assurer la survie de son activité, le mineur de Bitcoin cherche enfin une électricité dont la matière première est la plus pérenne possible et la moins dépendante des fluctuations du marché. Ce qui l’éloigne des ressources fossiles et l’emmène préférentiellement vers les ENR, l’hydroélectrique et le géothermique.

Le minage de Bitcoin fait donc partie des activités humaines qui consomment l’énergie avec le plus de discernement… puisqu’il recherche une énergie de surplus, voire même une énergie de rebut.

En conclusion, il est donc totalement erroné d’aborder le sujet de la dépense énergétique de Bitcoin par le seul biais quantitatif. Les calculs effectués deviennent alors simplistes et ne prennent en compte ni les spécificités de la production électrique ni celles de l’activité de minage, dont les comptabilités sont beaucoup plus nuancées.

Fatale électricité ou électricité fatale ?

Le lecteur avisé se forgera sa propre opinion… La mienne est faite !


J’ajoute ce paragraphe quelques jours après la publication du présent billet, à la lumière des premières réactions reçues. Ce texte n’est certainement pas exhaustif. Par exemple, il n’aborde pas le concept lié à la création de confiance par la puissance de calcul informatique délivrée, ce que d’aucuns outre-atlantique n’hésitent pas à appeler « l’électricité monétaire » (cette consommation électrique est-elle donc une véritable dépense ou bien plutôt une nouvelle création de valeur ?). Il ne réfute pas non plus complètement l’usage des ressources fossiles (elles sont toujours employées, par exemple dans les pays qui en sont producteurs) C’est une MISE AU POINT, une réponse aux poncifs qui nous sont servis dans les médias, un recadrage qui se veut plus juste. Ainsi je l’espère, les bons débats vont pouvoir commencer…


Publication originale: linkedin.com