« Par définition, une vraie devise universelle doit pouvoir être lancée sans qu’aucune autorité centrale ne régule sa masse monétaire: cela exclut d’emblée toute forme de corrélation entre masse monétaire et indicateurs macroéconomiques. Un tel système de corrélation engendrait des discussions interminables et réclamerait une gouvernance utopique selon un standard démocratique universel inconnu à ce jour.
Pour la même raison, le logiciel de paiement, le porte-monnaie électronique, doit être absolument libre, open source et gratuit, pour échapper aux limitations et à l’opacité d’un programme propriétaire. Comme l’a dit Richard Stallman, un des fondateurs du mouvement pour le logiciel libre: “soit les utilisateurs contrôlent le programme, soit le programme contrôle les utilisateurs”.
Dans une très large mesure, les devises appuyées par les Etats, telles que l’euro ou le dollar, sont créées dans une boîte noire, avec beaucoup d’attention accordée par les médias aux taux d’intérêt, plutôt qu’à la masse monétaire. Une organisation centrale promouvant un système monétaire basé sur un programme propriétaire ne changerait pas la donne.
De ce fait, le mécanisme régulant la masse monétaire doit être inscrit et publié dès le départ dans les spécifications, sans aucun espace pour que la nouvelle devise y échappe quoi qu’il arrive.
Dans la même logique, il n’est ni possible, ni nécessaire de prédire le taux d’adoption ou de croissance de la base d’utilisateurs pour cette nouvelle monnaie: ces chiffres ne peuvent pas être déterminés avec précision. Le modèle de création monétaire doit donc définir une quantité maximale de monnaie, à moins que les règles de création ne soient liées au nombre d’utilisateurs par un protocole d’authentification par l’utilisateur. Ce protocole ne serait en aucune manière compatible avec l’objectif de décentralisation, puisque l’authentification par l’utilisateur implique, par définition, l’émission de certificats d’identité, le recours à un réseau de confiance ou à une autorité de certification.
Les spécifications de bitcoin respectent l’exigence d’une masse monétaire limitée. De plus, elles prévoient des frais de transaction pour maintenir durablement l’intérêt des mineurs, même après que les récompenses pour la création de nouveaux blocs de transactions valides sont tombées à un niveau proche de zéro.
Du fait qu’ils sont échangés électroniquement, les bitcoins, contrairement à l’or, sont infiniment divisibles et permettent une grande vélocité monétaire. Ainsi, une forte déflation des prix ne ferait que limiter bitcoin à un rôle de réserve de valeur, plus pratique que l’or. En fait, la déflation des prix n’aurait de conséquences économiques néfastes que si les bitcoins étaient la devise exclusive d’une aire géographique donnée. Cela n’est absolument pas le cas puisqu’en tant que devise complémentaire, les bitcoins coexistent avec la devise locale sponsorisée par l’Etat, sans chercher à la remplacer. Les prix dans les commerces de proximité continueront à être exprimés en devises locales. Dans une transaction électronique en ligne, le prix exprimé en devise universelle peut facilement être ajusté en temps réel par rapport à un taux de change variable. C’est uniquement pour les transactions qui ne sont pas en ligne que la stabilité des prix est une exigence pour toute devise universelle.
En bref, la déflation des prix augmente l’attractivité des bitcoins en tant que valeur refuge et n’affecte que marginalement son application en que moyen d’échange. »
Auteur : Pierre Noizat
Source : paristechreview.com