Craig Steven Wright créateur de Bitcoin ou mystificateur ?

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Selon le magazine américain Wired, l’ingénieur australien Craig Steven Wright serait peut-être le créateur de Bitcoin. Andy Greenberg et Gwern Branwen, les deux journalistes qui ont travaillé autour de cette hypothèse, restent cependant prudents :

« Malgré le nombre important d’indices […] tout cela pourrait être un canular, peut-être orchestré par Wright lui-même […]. Soit Wright a inventé Bitcoin, soit c’est un brillant mystificateur »

Gizmodo, blog américain spécialisé dans les nouvelles technologies, affirme avoir également mené une enquête en Australie, sur la base des mêmes éléments : des emails fournis par Gwern Branwen, qui était déjà l’une des principales sources des journalistes du site Motherboard dans leurs enquêtes sur Silk Road et le cache d’un blog tenu par Craig Steven Wright, dans lequel il parlait ouvertement de ses projets de créer une « crypto-monnaie ». Pour Sam Biddle et Andy Cush de Gizmodo, un autre personnage serait également impliqué dans la création de Bitcoin : Dave Kleiman, un spécialiste américain de l’investigation numérique légale décédé en 2013.

Quant aux indices qui conduisent vers Wright, il y a d’abord les sommes colossales dépensées en bitcoins. En 2013, Craig Steven Wright a lancé Hotwire, sorte de banque de bitcoins, financée uniquement en bitcoins, à hauteur de 23 millions de dollars, soit 1,5% des bitcoins circulant dans le monde à l’époque. Il a aussi fondé avec son associé, David Kleiman, décédé depuis, un fonds baptisé « Tulip Trust » sur lequel auraient été déposés – sans qu’ils bougent pourtant de leur adresse initiale – les premiers bitcoins miné (1,1 million selon le magazine). Ce trésor aurait fait l’objet d’un accord entre David Kleiman et Craig S.Wright, ce dernier ayant accepté de ne pas toucher à l’argent avant 2020.

Parmi les autres éléments présentés, il y a cette capture d’écran du blog de Craig Steven Wright, qui montre un article (supprimé depuis), datant du 10 janvier 2010, annonçant la sortie, le lendemain, de la version alpha de Bitcoin (0.1.10). Rien ne prouve cependant qu’il n’a pas été antidaté (aucune trace sur archives.org) :

capture du blog de Craig Steven Wright

Wired révèle également cette étonnante transcription d’une réunion avec ses avocats, au cours de laquelle Craig Steven Wright aurait lancé : « j’ai fait de mon mieux pour cacher le fait que je gère bitcoin depuis 2009. Mais avec tout ça je pense que la moitié de la planète va finir par le savoir ».

Dans les mails reçus par les deux webzines on trouve ces confidences à son partenaire Dave Kleiman datant en 2011 :

« les gens aiment mon identité secrète et me détestent »

« j’ai des centaines de publications. Satoshi en a une. Rien d’autre qu’une putain de publication et je ne peux pas m’associer avec MOI MÊME »

« Je ne peux plus faire le Satoshi. Ils n’écoutent plus. Je suis mieux en tant que mythe. Retour à mes cours, mes gueulantes et au fait que tout le monde m’ignore. J’ai horreur de ça Dave, mon pseudonyme est plus populaire que je n’aurais jamais pu espérer »

Il y a ensuite cet email très suspect reçu par les journalistes de Wired. Après avoir contacté Craig S. Wright pour leur lui faire part de leur enquête, ils sont contactés par une adresse mail inconnue répondant au pseudonyme de Tessier-Ashpool, référence à une famille d’aristocrates apparaissant dans les œuvres du romancier « cyberpunk » William Gibson. L’adresse est hébergée par le même service de messagerie que celui utilisé par Wright et Satoshi Nakamoto. L’échange laisse entendre que l’interlocuteur serait le créateur du bitcoin et que ce dernier cherche à décourager les journalistes de poursuivre leur enquête… Étrange manœuvre, Wright chercherait-il à attirer l’attention sur lui qu’il ne s’y prendrait pas autrement.

Autre incohérence dans ce scénario : Craig S. Wright aurait investi près d’un million de dollars pour s’équiper de deux « superordinateurs » et payé cher pour amener la fibre optique jusqu’à l’une de ses fermes afin de miner des bitcoins… surprenant pour quelqu’un censé avoir été pendant longtemps un des rares mineurs sur le marché et qui, au rythme de 50 bitcoins toutes les dix minutes, n’a donc pas eu besoin de puissance de calcul pour faire fortune.

Bardé de diplômes (deux masters, en droit et en statistiques, et deux doctorats) et de certifications en sécurité informatique, abonné dans les années 90 à la liste de diffusion des cypherpunks, fan de culture japonaise, codeur C++ accompli, libertaire qui a lutté (et lutte toujours) contre les autorités fiscales, Craig Steven Wright, 44 ans, a en effet le profil de l’emploi, mais aucune preuve irréfutable de ne permet d’affirmer qu’il s’agit du créateur de Bitcoin.

Conclusion de Kevin Hottot, journaliste spécialisé dans les nouvelles technologies :

« Plusieurs zones d’ombre subsistent dans cette affaire. L’une des premières interrogations est de savoir qui est à l’origine de la fuite et quel intérêt elle peut avoir à voir de tels documents diffuser. L’authenticité des e-mails fournis peut elle aussi être remise en question. Wired et Gizmodo assurent avoir reçu des e-mails signés via PGP par leurs auteurs respectifs, mais seules des captures d’écran, inauthentifiables, ont été publiées par l’un des deux magazines. De son côté, Wired émet également quelques doutes quant à la véracité des indices, estimant qu’ils pourraient n’être qu’un hoax élaboré par Wright pour se placer sous le feu des projecteurs. Le journal note cependant que certains indices remontent à plusieurs années ce qui rendrait cette arnaque « aussi élaborée que Bitcoin lui-même »… et donc aussi difficile à démêler. La retranscription de l’entretien entre Wright et les autorités fiscales australiennes ne peut elle non plus être authentifiée en l’état. Difficile donc d’affirmer pour le moment que la citation est véridique, ni même que cet entretien a bel et bien eu lieu. Concernant les ordinateurs de Tulip Trading, il est également impossible de les lier factuellement à Dave Kleinman ou à Craig Wright. Dernier point de détail, une des preuves avancées par Wired tient au fait que l’une des clés PGP appartenant à Craig Wright, et publiée en novembre 2008 sur son blog a été associé à l’adresse satoshin@vistomail.com. Une adresse très similaire au satoshi@vistomail.com qui a publié le livre blanc du Bitcoin pour la première fois sur une liste de diffusion dédiée à la cryptographie. Jusqu’à preuve du contraire, entre « très similaire » et « identique », il existe un océan d’incertitudes, qu’on ne se risquera pas à traverser. » – Kevin Hottot – Source : nextinpact.com

Mise à jour du 9 décembre : Quelques heures seulement après la publication de ces articles, la police australienne a perquisitionné le domicile de Craig Steven Wright, soupçonné de fraude fiscale. Son compte Twitter a par ailleurs été fermé après ces publications. Les policiers fédéraux affirment que l’opération « n’a rien à voir » avec la publication, ce mercredi, des conclusions des enquêtes respectives conduites par Wired et Gizmodo pour tenter de trouver « M. Bitcoin ». Elle interviendrait en fait dans le cadre d’une procédure « d’observation » lancée par le fisc. Si l’on en croit certains documents exfiltrés, Chris Steven Wright a effectivement eu maille à partir avec les autorités; plus encore depuis que l’Australian Tax Office (ATO) a décidé, en décembre 2014, que les crypto-monnaies devaient être considérées comme des actifs plutôt que des devises pour ce qui est de l’imposition des plus-values. Selon une journaliste de l’agence Reuters, la police aurait également perquisitionné les bureaux de Wright dans un autre quartier de la ville, à l’adresse enregistrée comme le siège de deux sociétés qu’il a fondée : DeMorgan (banque « nouvelle génération » basée sur les devises alternatives) et Panopticrypt (sécurité informatique).

 

Sources : wired.com – gizmodo.com